Rencontre : les pièges du coup de foudre

  • Source : psychologies.com/


Une brûlure intense, une merveilleuse douleur… Le " bonheur à l’état pur " peut frapper n’importe qui, n’importe quand, et souvent ceux qui s’y attendent le moins. Son principal danger : faire croire encore plus fort en l’illusion de l’accord parfait.

Quand Pierre a croisé Sylvie, ni lui ni elle ne cherchait l’amour. Du moins en étaient-ils persuadés. Il venait d’aménager son loft et comptait profiter de sa somptueuse garçonnière ; elle s’apprêtait à partir étudier en Californie pour trois ans. Ce soir-là, elle organisait une fête pour son départ. Il débarqua chez elle au bras d’une vague conquête, le choc ! " L’attirance que j’ai éprouvée pour Sylvie était si violente que j’en ai eu peur, se souvient Pierre. Je ne voulais pas y croire, je me mentais à moi-même parce que ce coup de foudre dérangeait ma tranquillité !

J’ai quitté la soirée, persuadé d’en rester là, mais le lendemain matin sa présence me manquait déjà. Je l’ai appelée. " Même révélation chez Sylvie : " Dès que j’ai aperçu Pierre, j’ai été hypnotisée. J’ai su que mon destin se jouait en cet instant précis, qu’il était la mystérieuse pièce du puzzle qui manquait à mon bonheur. Quand il m’a téléphoné, j’ai pris la décision totalement folle d’annuler mon départ. Je ne l’ai jamais regrettée. "

Des coups de foudre, il en existe des milliers. Tous racontent la même chose. Une rencontre soudaine et violente qui projette les amoureux sur une autre planète où émotions, sensations et désir sont à leur paroxysme. En quoi ce type de rencontre est-il différent des autres ? Peut-il déboucher sur une relation durable ? Marie-Noëlle Schurmans et Loraine Dominicé, sociologues, Alain Delourme, docteur en psychologie, et Elsa Cayat, médecin psychiatre et psychanalyste, nous invitent à en comprendre les mécanismes pour mieux en déjouer les pièges.

Il ou elle est déifié(e)
Le coup de foudre est un amour d’emblée entier qui remet en cause l’existence même des êtres qu’il frappe. Comme envoûtés, ils ne suivent plus les étapes normales du processus d’intimisation et de la connaissance de l’autre, propres à la naissance classique d’une relation. L’effet de surprise court-circuite la réflexion et sidère la pensée. " C’est comme un choc physique, raconte Séverine. Un coup sur la tête qui change les couleurs, les formes. On ne contrôle plus rien, on est propulsé sur orbite sans cesser de tourner.

" En un instant, les amoureux se sentent seuls au monde, sans repères. Une brûlure intense – une merveilleuse douleur – les consume. " Love at first sight ", disent les Anglo-Saxons : " l’amour au premier regard ", le bonheur à l’état pur. " C’est un mélange d’aspects fascinants et effrayants, une mise en magie du destin, un brusque condensé des rapports de la vie et de la mort ", comme le définissent Marie-Noëlle Schurmans et Loraine Dominicé. Cet élan fusionnel repose sur un ensemble de désirs satisfaits simultanément : complicité, humour, sensualité, sexualité.

D’où une " complétude " absolue. " C’est aussi un choc “spéculaire” ", précise Alain Delourme. C’est-à-dire qu’inconsciemment chacun des partenaires croit se trouver en relation avec un autre lui-même, un jumeau, une image idéale de lui. Mais le coup de foudre n’est pas qu’un tête-à-tête narcissique, c’est aussi une rencontre paroxystique pendant laquelle " l’autre nous touche car, soudainement, il nous apporte ce qui nous manque. Et comme nous n’en avons pas conscience, cet autre est déifié ", souligne Elsa Cayat.

Ça n’arrive pas qu’aux autres
Personne n’est à l’abri. La foudre peut frapper n’importe qui, n’importe quand. Et, le plus souvent, elle tombe sur ceux qui s’y attendent le moins. Ils en sont si surpris qu’ils subissent de plein fouet ce qu’ils croient être " le " grand amour. Penser que ça n’arrive qu’aux autres est une erreur qui peut coûter très cher. Pris dans une déferlante amoureuse, certains sont prêts à tout lâcher sur un coup de tête, quitter mari ou femme, enfants, travail. S’y attendre incite à plus de prudence, à mieux comprendre qu’il peut s’agir d’une crise, sans prendre immédiatement des décisions radicales.

Il n’existe pas de prédispositions au coup de foudre. Mais il est vrai, toutefois, que certaines personnes s’engouffrent volontiers dans des conduites adolescentes avec, pour modèles, des personnages de contes de fées. Elles croient que le véritable amour doit fatalement commencer par cet envoûtement immédiat, puis croître dans une parfaite harmonie sexuelle et mentale, pour disparaître à la première déception. Une illusion que médias et cinéma favorisent en exposant sans cesse des amours de starlettes aussi brèves que fréquentes. L’amour en reste à ses débuts romantiques faits d’attirances sensuelles et de satisfactions narcissiques.

Le danger de la réciprocité imaginaire
Ce " miracle de l’amour ", ce rêve d’accord parfait, n’est pas seulement la naissance d’un lien, c’est aussi celle d’une aliénation. La confrontation irrémédiable avec la réalité n’en sera que plus brutale. Car toute rencontre amoureuse connaît l’étape nécessaire et douloureuse de la fin de la " lune de miel ". Mais, dans le coup de foudre, la prise de conscience de l’illusion est particulièrement difficile. En effet, ne sommes-nous pas persuadés qu’il s’agit d’un amour sacré, béni des dieux, reposant sur des bases solides car signe d’un destin infaillible ?

Attention ! Le piège de l’illusion peut conduire dans un autre piège, celui de la réciprocité imaginaire. En effet, dans bien des cas, cet attachement vertigineux n’est pas partagé. " S’accrocher désespérément à un être qui n’éprouve pas les mêmes sentiments peut conduire à l’érotomanie, cette forme de psychose passionnelle fondée sur l’illusion délirante d’être aimé ", prévient Elsa Cayat.

Par ailleurs, avec cette perception d’amour total et absolu, les attaches du passé semblent fades et sans valeurs. Aussi, quand disparaît l’illusion du coup du foudre, les amoureux déçus ont-ils le sentiment d’avoir raté leur vie. Cependant, que cette rencontre se solde par une rupture rapide n’est pas nécessairement plus douloureux que dans d’autres relations. Plus fulgurante, la passion n’a pas avancé dans la maturité de l’amour, le partage du quotidien avec un projet de vie commun. Ne résistant pas à la vie " ordinaire " de " gens ordinaires ", le feu s’éteint aussi vite qu’il s’est allumé.

Une seconde rencontre s’impose
" Le coup de foudre induit forcément une crise, mais celle-ci n’est pas toujours fatale, reconnaît Alain Delourme. D’ailleurs, beaucoup de belles et longues histoires d’amour commencent ainsi. Leur continuité tient au fait qu’elles se sont accompagnées d’un travail de distanciation nécessaire à toute rencontre, encore plus lorsqu’il s’agit d’un coup de foudre. " L’image du partenaire ayant été surinvestie, il faut être capable d’entrer en relation avec la vraie personne : c’est-à-dire avec quelqu’un d’autre. Alors seulement, une vie de couple peut commencer.

Mais à condition que chacun prenne en charge sa propre problématique : pourquoi ce coup de foudre a-t-il eu lieu ? Pourquoi l’autre prend-il tant de place ? Des questions valables d’ailleurs pour n’importe quelle rencontre amoureuse. Inconsciemment, la personne que nous aimons a été placée en position d’objet que l’on a peur de perdre. " Mais, dans le coup de foudre, cette peur prend aussi – paradoxalement – la forme d’un désir car un amour si fort est trop lourd à porter ", observe Elsa Cayat. Prochaine étape donc : une seconde rencontre du même partenaire.

Les rabbins marieurs reprennent du service
Retour de l’orthodoxie aidant, plutôt que d’attendre un hypothétique coup de foudre, de plus en plus de jeunes juifs religieux passent par leur rabbin pour trouver l’âme sœur. Leur règle de vie interdisant tout rapport de séduction, ils préfèrent renouer avec cette tradition ancestrale quelque peu oubliée par leurs parents. La procédure ne laisse aucune place au hasard : le rabbin propose des rencontres arrangées en tenant compte des envies et affinités de chacun, mais aussi du niveau social et intellectuel des familles.

Dans un endroit public, cinq rencontres de cinq heures chacunes sont alors organisées entre les deux partis. Le refus est toujours possible, mais la plupart des couples ainsi formés ne tardent pas à échanger leurs engagements. " Mon fils a refusé deux jeunes femmes, la troisième a été la bonne, explique Annie Ammar. Mariés trois mois après leur première rencontre, ils forment un couple exemplaire. Très amoureux, ils ont trois enfants et nos rapports avec la belle-famille sont exceptionnels. " Un conte de fées… ou presque.