Pourquoi c’est si bon d’être amoureux

  • Source : psychologies.com


 C’est lui, c’est elle. Nous sommes éblouis, émus, béats, en transe. Et si l’état d’amour n’était dû qu’à un subtil dosage d’ingrédients, une simple affaire de molécules et d’inconscient ? Enquête dans les laboratoires de l’alchimie amoureuse.

Testostérone, ocytocine, lulibérine, endorphines… Toutes ces molécules, libérées à grands flots lors de la rencontre amoureuse, nous font planer, désirer, jouir, oser. Aucun amoureux n’échappe à la révolution hormonale qui transforme son organisme en un véritable petit labo de chimiste confirmé. « Nous sommes programmés pour être dépendants à l’autre, aveuglés par l’amour, car nous sommes conditionnés par le besoin », explique Michel Reynaud, psychiatre et professeur de psychiatrie, spécialiste des addictions. Besoin de fusionner, de faire le plein de plaisir physique et de sécurité affective. Tout commence avec la testostérone, l’hormone du désir sexuel, produite par les hommes et par les femmes. A cette production succède celle de lulibérine, l’hormone libérée au début de la relation sexuelle. C’est elle qui pousse à rechercher toujours plus de contact et de caresses.

Vient ensuite l’explosion d’endorphines au moment de l’orgasme, qui modifie radicalement l’état de conscience ordinaire : euphorie ou extase, ces molécules nous font décoller. Mais en même temps que les sens et la conscience s’affolent, nous produisons de l’ocytocine, l’hormone de l’attachement. Et c’est ainsi que le plaisir devient amour. « Toutes ces hormones qui travaillent en surrégime produisent de la dopamine, qui booste ce que l’on appelle le “circuit de la motivation”, poursuit Michel Reynaud. C’est la dopamine qui nous pousse à agir, à oser, à relever des défis. »
C’est aussi sa chute, générée par l’absence ou l’abandon de l’objet d’amour, qui nous fait des nœuds à l’estomac, nous déprime plus ou moins sévèrement selon notre structure psychoaffective et notre capacité à gérer le manque.

La rencontre de deux inconscients
On sait aussi, grâce à la psychanalyse, que l’alchimie amoureuse ne doit rien au hasard, mais qu’elle naît de la rencontre de deux inconscients qui se choisissent. Une gestuelle, une voix, un grain de peau, une façon de dire ou d’être viennent réveiller ce qui sommeillait au plus profond de nous et réactiver à notre insu notre mémoire affective la plus ancienne, celle de nos premiers liens.
« Dans l’état amoureux, nous vivons une forme de régression qui réactive le premier lien affectif fusionnel – avec la mère – ou, au contraire, le répare s’il a été défaillant », explique Marie-Laure Colonna, psychanalyste et philosophe.

En état d’amour, la réalité ordinaire se dilate, toutes les portes – en soi et autour de soi – semblent s’ouvrir, les émotions s’intensifient, la banalité se dissout dans l’euphorie.

Un état hallucinatoire
Le regard se voile, l’ouïe devient sélective, nous ne voyons ou n’entendons que ce qui répond à nos attentes conscientes ou inconscientes. « On ne voit de l’autre que ce que l’on projette sur lui, c’est la base même de la passion, de l’état amoureux, avance le psychiatre et psychothérapeute François-Xavier Poudat. Nous minimisons ses défauts, nous modifions notre propre comportement, nous n’hésitons pas à tricher sur nos goûts pour intéresser l’autre davantage. C’est le temps du mensonge et personne n’y échappe. » Et selon Jean-Pierre Winter, psychanalyste, le mot « idéaliser » est encore trop faible pour exprimer le regard amoureux : « Il s’agit de rêve, au sens freudien du terme. Freud définit le rêve comme la réalisation d’un désir, et dans ce rêve, l’être aimé comble nos attentes, nos désirs et nos besoins. »

L’état amoureux est un état hallucinatoire qui nous invite à décrocher temporairement de la pesanteur du réel… C’est un authentique état modifié de conscience : pour celui qui l’aime, l’être le plus anodin se transforme en héros magnifique. Alors que nous avons vécu sans lui plusieurs décennies, en quelques heures ou quelques jours, il nous est devenu indispensable. Et pour prolonger le rêve, toute constatation susceptible de mettre en cause la perfection de l’aimé est immédiatement refoulée, les mises en garde de l’entourage sont taxées de calomnies, de jalousies…

Les personnes dotées d’une faible estime de soi sont spécialement douées pour ce processus d’idéalisation. Freud évoquait en son temps ces femmes fragiles qui changent de personnalité, de centres d’intérêt à chaque nouveau partenaire, certaines de s’être enfin trouvées.

Le fantasme de ne faire qu’un
Il y a aussi dans l’état amoureux une force obscure qui pousse au dévoilement total, à la mise à nu. L’autre ne doit rien ignorer de moi et je dois tout savoir de lui. C’est le fantasme de la fusion : en amour, un plus un égale un ! En l’autre, je retrouve ma partie manquante. Le sexe donne à ce fantasme une consistance toute particulière. Pour des raisons anatomiques évidentes, le coït nous amène effectivement à ne faire qu’un, éliminant, ne serait-ce que temporairement, la sensation d’incomplétude qui si souvent nous étreint. La puissance de ce fantasme fusionnel au cœur de la sexualité conduit parfois à censurer nos désirs réels au profit de scénarios qui plaisent surtout à l’aimé.

D’où « ces femmes qui, par amour, acceptent l’échangisme, explique le sexothérapeute et psychothérapeute Alain Héril, ces couples qui glissent dans les relations sadomasochistes que seul l’un des deux désire. Ce sont aussi des mots, des positions ou des caresses que l’on n’accepte que pour garder l’autre ».
Mais ce qui nous attache le plus, c’est la révélation d’un plaisir inouï, inconnu auparavant, qui installe l’aimé en position d’inégalable maître en érotisme. Difficile alors de s’affranchir d’une emprise aussi délicieusement puissante.

Tout est possible
L’amour est la répétition de nos premiers émois d’enfants, pourtant nous ne nous y habituons jamais. Chaque fois, c’est comme si c’était la première. Ou la vraie, la bonne, celle qui nous donne envie de repartir de zéro, de tout recommencer. Quitter son conjoint du jour au lendemain pour quelqu’un rencontré la veille, démissionner pour ouvrir avec lui une maison d’hôtes dans les Ardennes, claquer ses économies pour s’offrir ensemble un tour du monde en voilier… Nous le ferions sans hésiter ! Les conséquences ? On verra bien.

L’exaltation amoureuse procure une sensation d’invulnérabilité. Ocytocine, quand tu nous tiens, la raison nous fuit. « Amoureux, on ne se soucie que de l’intensité de l’émotion, confirme Marie-Laure Colonna, comme si sa force était la preuve de son authenticité. » Or la décision radicale de tout quitter par amour peut simplement traduire le désir inconscient de se fuir, de fuir ses responsabilités. Je me jette alors dans l’amour comme certains sombrent dans le sommeil. Rien de très glorieux… mais si l’amour cessait de nous aveugler, serait-il encore l’amour ?

De la passion à la durée
La passion et l’état de transe qu’elle génère sont éphémères. Quels sont les ingrédients indispensables pour qu’un couple dure ? Réponse en six points.
- Un besoin d’appartenance : « Nous ne désirons pas créer un couple durable pour des raisons sentimentales, mais à cause d’un besoin d’appartenance », assure Robert Neuburger, psychanalyste et thérapeute de couple. Autrement dit, c’est parce que nous traversons un moment de questionnement durant lequel notre sentiment d’appartenir à un groupe est flou que nous aurons envie de vivre en couple.

- Un mythe commun : il y avait une nécessité à cette histoire, se disent les couples qui durent. D’où la recherche de preuves qu’ils sont faits l’un pour l’autre – goût commun pour le cinéma, la littérature, la musique… « Sans ces mythes fondateurs, pas de couple possible », affirme Robert Neuburger.

- Des rituels particuliers : les habitudes permettent au couple de s’installer dans une intimité qui le distingue des autres. Ce sera « leur » restaurant du samedi, le cinéma le dimanche, les vacances à Cavaillon…

- La reconnaissance du social : la passion se passe aisément du reste du monde, pas le couple constitué. La première preuve d’engagement consiste à présenter le partenaire aux autres : famille, amis, collègues.

- Le souci de l’autre : chacun des partenaires du couple doit lutter contre son narcissisme et s’intéresser réellement au cheminement de l’autre, à son évolution, à ses aspirations.

- Le soin de l’autre : dans l’amour naissant, la question de savoir si l’autre est bien ne se pose pas. Dans le couple constitué, en revanche, il faut être attentif aux signes de malaise. S’installer dans la durée, c’est passer de « On est bien » à « Est-ce que tu vas bien ? »

Les idées clé du jeu de l'amour
Jeux d’hormones
Libérées au moment de la rencontre, elles nous font planer, désirer, jouir, oser. Et nous rendent dépendants à l’autre.
Jeux de mémoire
Amoureux, nous vivons une forme de régression qui réactive – ou répare – le premier lien affectif fusionnel (avec la mère).
Jeux de dupe
Exaltés, nous ne voyons de l’autre que ce que nous projetons sur lui. Mais gare à l’aveuglement.