CPI/ Demande de prorogation de délai: Me Altit casse les arguments de Bensouda

  • 11/12/2013
  • Source : L'Inter
Dans un document produit le 04 décembre 2013, et publié hier mardi 10 décembre, Me Emmanuel Altit, l'avocat principal de Laurent Gbagbo, réagit à la demande du Procureur Fatou Bensouda, d'avoir une prorogation de délai au fin d'expurger des informations supplémentaires dans son document de preuve contre Laurent Gbagbo.

Mais pour l'avocat de l'ancien président ivoirien, expurger ces informations qui portent sur des procès-verbaux d’audition de témoin et un document présenté à un témoin,  porterait préjudice à la Défense. En effet, il explique que « leur expurgation est susceptible d’avoir de graves conséquences sur la capacité de la défense à évaluer lesdites pièces et sur sa capacité à mener des enquêtes ».

Me Altit poursuit pour dire que s’agissant des procès-verbaux d’audition de témoin, « il est crucial que la Défense puisse disposer de toutes informations utiles pour analyser les déclarations de ce nouveau témoin du Procureur ». Selon lui, cela vise à « limiter le préjudice causé à la Défense par d’éventuelles expurgations, il convient donc d’appliquer strictement les critères déterminés par la jurisprudence et de rejeter la demande du Procureur aux fins d’expurgation ».

 
Donc par ces motifs, l'avocat de Laurent Gbagbo a demandé dans son document à la Chambre préliminaire 1, au regard de la Norme 35 du Règlement de la Cour, « A titre principal, de rejeter la demande de prorogation de délai présentée par le Procureur ; à titre subsidiaire, de rejeter la demande d’expurgations présentée par le Procureur comme insuffisamment motivée et préjudiciable à la Défense ; d'ordonner au Procureur de communiquer immédiatement à la Défense les éléments d’informations manquants ». Mais avant de requérir, Me Emmanuel Altit a fait une démonstration pour ''casser'' les arguments avancés par l'Accusation notamment sur sa demande d'expurger les nouveaux éléments de preuve.

« La Défense soumet respectueusement que lorsqu’il est question de respect des règles et d’équité de la procédure, l’intention ne compte pas ; seul comptent les actes. Le fait est que le Procureur avait les documents entre ses mains avant le 15 octobre 2013 et ne donne aucune explication raisonnable au fait qu’il n’ait pas respecté le délai établi par la Chambre. Il n’existe donc aucun motif valable au sens du Règlement de la Cour pouvant expliquer qu’il n’ait pas agi à temps : la première condition pour obtenir une prorogation de délai n’est donc pas remplie », a écrit l'avocat français.
 
Par ailleurs, il a noté que dès lors que le délai imparti au Procureur pour présenter sa demande était échu, Fatou Bensouda aurait dû démontrer qu’elle avait été incapable de présenter sa demande dans les délais « pour des raisons échappant à son contrôle ». Or, avant Me Altit, sur cette seconde condition, le Procureur de la CPI n’a rien dit.

« Certes, il est possible que le Procureur ait pu « oublier », lors du dépôt de sa requête le 15 octobre 2013, les trois documents dont il est question. Néanmoins, un oubli ne peut pas être considéré comme un acte échappant à son contrôle. Bien au contraire, un oubli résulte d’un défaut de contrôle suffisant. Ce défaut de contrôle pose une véritable difficulté à la Défense car l’« oversight », que le Procureur invoque une nouvelle fois pour justifier une demande de prorogation de délai, commence à devenir une véritable « matter of practice » au Bureau du Procureur », a-t-il martelé.

Et la Défense de M. Gbagbo d'enfoncer le clou. « En effet, ce n’est pas la première fois qu’il (Procureur) demande à bénéficier d’un délai supplémentaire sur ce fondement ; c’est la cinquième fois. De plus, si cette raison devait être retenue au bénéfice du Procureur qui dispose de dizaines de collaborateurs et de moyens matériels et logistiques extraordinairement importants, quel devrait être le niveau d’exigence de la Chambre vis-à-vis de la Défense qui, elle, ne dispose que de moyens limités ? Accepter un vague « oversight » comme raison valable au bénéfice du Procureur reviendrait en fait à accentuer l’inégalité de moyens entre les parties et donc à attenter à l’équité de la procédure ».

Une chose est certaine pour le Conseiller principal de Laurent Gbagbo dans cette affaire qui dure aujourd'hui deux ans, le Procureur Bensouda « n’a rempli ni l’une, ni l’autre des conditions posées par la norme 35 du Règlement de la Cour et la jurisprudence. Il convient donc de rejeter sa demande de prorogation de délai. Y faire droit dans ces conditions reviendrait à nier la jurisprudence de la Cour ». Ce serait donner, à le lire, un blanc-seing au Procureur qui serait désormais tenté de solliciter des délais « lorsque cela l'arrange ».

« Cela reviendrait à le soustraire au régime commun, à accepter le postulat que ses demandes seraient toujours fondées et pour les juges, à renoncer à les vérifier. De l’avis de la Défense, si une difficulté technique ne justifie pas une prorogation de délai, une erreur humaine le peut encore moins. Estimer le contraire reviendrait pour la Chambre préliminaire à se contredire ; ne pas sanctionner l’erreur du Procureur conduirait à considérer qu’il peut continuer à faire preuve de légèreté quant à ses obligations procédurales.

Un tel raisonnement – en particulier lorsque la Juge unique se montre inflexible vis à vis de la défense – amènerait à rompre la stricte égalité des armes qui doit exister entre les parties. La demande du Procureur relative à la prorogation du délai doit donc être rejetée car elle ne remplit pas les conditions exigées par la norme 35 du Règlement de la Cour », a réclamé Me Altit.
 
L'avocat de la Défense qui estime que l'Accusation ne respecte pas les critères posés par la jurisprudence, a demandé le rejet pur et simple de sa requête. Pour lui, le Procureur de la CPI ne remplit pas ses devoirs et ses obligations, notamment d’explication vis-à-vis de la Défense et des juges.
S’agissant de la compatibilité de la mesure d’expurgation avec les droits de la Défense, Emmanuel Altit a rappelé que les informations que le Procureur Bensouda veut expurger, « à savoir les informations concernant les tierces personnes et/ou les membres de la famille des témoins, pourraient être importantes pour la vérification de la crédibilité des éléments de preuve ».
« En conséquence, les expurgations demandées par le Procureur ne peuvent que porter préjudice à la défense et menacent, donc, le caractère équitable du procès », a craint l'avocat du célèbre prisonnier de La Haye.
 
 
 
Hervé KPODION