Elle luttait contre les cartels, ils annoncent sa mort sur son compte Twitter

  • 23/10/2014
  • Source : France24.com
Les assassins d’une activiste mexicaine anti-narcotrafiquants ont utilisé son propre compte Twitter pour annoncer son assassinat. Maria del Rosario Fuentes Rubio a payé de sa vie sa lutte contre les cartels sur les réseaux sociaux.

"Nous arrivons très près de beaucoup d'entre vous, méfie-toi Felina." Cette menace, publiée sur Twitter le 8 octobre, avec tant d’autres, n’a pas réussi à intimider la Mexicaine María del Rosario Fuentes Rubio, alias Felina, médecin et militante anonyme anti-narcotrafiquants sur les réseaux sociaux.
 
Sur son compte Twitter, Felina avait pour avatar une image de Catwoman, l’héroïne de bande-dessinée qui combat le crime et les forces du mal. Jusqu’à son assassinat, survenu entre le 15 et le 16 octobre, le combat de María del Rosario Fuentes n’avait lui rien de fictif et se déroulait à Reynosa, surnommée "Cartel city". Cette ville se situe dans l'État mexicain de Tamaulipas (nord-est), frontalier avec le Texas.
 
Il s’agit de l’un des territoires les plus touchés par les violences, tombé aux mains de deux cartels sanguinaires et rivaux, les Zetas et le cartel du Golfe, bien plus puissants que les autorités locales et la police, qu’ils ont par ailleurs infiltrées et placées sous leur coupe.
 
Les réseaux sociaux, seule arme pour lutter contre les narcos
 
Ainsi pour ceux qui, comme "Felina", ne veulent pas se soumettre, il ne reste plus que le Web et ses réseaux sociaux pour lutter dans un certain anonymat contre les cartels en rendant compte de leurs crimes. La couverture des violences liées au narcotrafic a été abandonnée par les médias locaux sous la pression et les menaces des narcos, qui ont même pris le contrôle de certains journaux.
 
María del Rosario Fuentes Rubio était l’une des administratrices anonymes d’un réseau de journalisme participatif "Valor por Tamaulipas" (Courage pour Tamaulipas) qui se bornait à renseigner ses lecteurs sur les risques et les incidents sécuritaires liés aux cartels en temps réel sur l’ensemble du territoire de l’État. Il publie également des avis de recherche de personnes portées disparues, et des photos d’individus présentés comme étant des criminels liés aux cartels. Un travail qui rencontre un certain succès, puisque le réseau dispose d’une page Facebook qui est suivie par 510 000 abonnés et d’un compte Twitter qui comptabilise plus de 103 000 followers.
 
"Felina était connue pour ses posts d’alerte qui donnaient la localisation exacte d'incidents violents en temps réel, rapporte le site "The Daily Beast". Les gens lui envoyaient des informations car c'était une manière pour eux de résister à l'hégémonie des cartels. Elle écrivait pour implorer les victimes de crimes de ne pas rester silencieuses et de porter plaine à la police... Elle postait des numéros de téléphone à utiliser en cas d'urgence."
 
"Mon vrai nom est María del Rosario Fuentes Rubio. Je suis médecin. Aujourd'hui, ma vie prend fin"
 
Autant d’actes civiques courageux qui lui ont valu la haine des narcotrafiquants, qui cherchaient à tout prix à l’identifier. Il y a plus d'un an et demi, un cartel local avait imprimé des centaines de tracts promettant une récompense de 37 000 euros à quiconque divulguerait l'identité des administrateurs de "Valor por Tamaulipas".
 
Une traque sinistre qui a fini par payer, puisque Felina, qui n’a jamais renoncé à ses activités malgré les nombreuses menaces reçues en ligne et les mises en garde de ses proches, a fini par être identifiée.
 
Le 16 octobre, au lendemain de son enlèvement par des hommes armés, ses assassins ont utilisé son propre compte Twitter pour annoncer son exécution avec un cynisme macabre, photos du crime à l’appui. "Mon vrai nom est María del Rosario Fuentes Rubio. Je suis médecin. Aujourd'hui, ma vie prend fin", publient-ils dans un premier message. Dans un deuxième tweet, toujours rédigé en lettres capitales et à la première personne, ses meurtriers lancent un avertissement : "Ne faites pas la même erreur que moi, il n’y a rien à gagner (…) sauf la mort en échange de rien."
 
Le troisième message s’adresse à des collègues de Felina et au réseau "Valor por Tamaulipas" : "Ils sont plus près de nous que ce que vous croyez." Enfin, dans un dernier tweet, deux photos d’elles sont publiées. L’une la montrant captive, à côté d’un autre cliché où elle gît sur le sol avec du sang sur le visage et autour de la tête, avec la mention "Fermez vos comptes, ne risquez pas la vie de vos familles comme j’ai pu le faire, je vous demande pardon."
 
Les autorités locales affirment mener l’enquête sur "la disparition" de María del Rosario Fuentes Rubio, un terme juridique employé tant que son corps n’aura pas été retrouvé. Reste à savoir pour le réseau comment, malgré toutes les précautions, sa véritable identité a pu être démasquée par ses tueurs. Plusieurs versions circulent à ce sujet dans les médias mexicains, dont une qui stipule que Felina aurait été enlevée pour des motifs sans rapport avec ses activités sur le Web, mais qu’au final ses ravisseurs auraient fini par découvrir sa véritable identité en fouillant son mobile.
 
"Un ange qui a tout donné"
 
Sous le choc de la nouvelle, le réseau "Valor por Tamaulipas" a réagi sur sa page Facebook en rendant un vibrant hommage à María del Rosario Fuentes Rubio, "un ange qui a tout donné : sa vie, son avenir, sa sécurité et sa tranquillité aux gens de bien de notre État". Et d’ajouter : "Mais ce que ne savent pas les délinquants, c’est que Miut3 [du nom offciel du compte Twitter de la victime, désactivé depuis son assassinat, NDLR] est présente dans notre âme, et elle ne nous laissera jamais nous rendre au crime organisé."
 
Hélas, Felina n’est ni la première ni la dernière victime des cartels qui ont déjà tué plusieurs activistes ou journalistes ayant osé les défier. En septembre 2011, María Elizabeth Macias Castro, une rédactrice en chef d’un journal local qui avait dénoncé anonymement sur Internet les agissements des cartels, avait été retrouvée décapitée dans un jardin public de l’État de Tamaulipas.