Quand on est saoul, on prend des décisions plus pragmatiques

  • Source : slate.fr


Deux chercheurs en psychologie, Aaron Duke (Yale) et Laurent Bègue (université Pierre Mendès-France de Grenoble), se sont intéressés à la manière dont les gens saouls abordaient les dilemmes éthiques. Ils ont donc envoyé leurs étudiants dans deux bars de Grenoble, avec pour mission de poser quelques questions aux clients (102 personnes) puis de leur faire passer un test d’alcoolémie. Notons pour l’anecdote que seul un participant a été exclu de l’étude pour n’avoir pas réussi à se conformer au déroulement de l’expérience.

Leur étude, à paraître en janvier 2015 dans la revue Cognition, établit que plus la concentration d’alcool dans le sang est importante, plus la probabilité est forte que les participants prennent des décision utilitaristes, c’est-à-dire les choix pragmatiques qui prennent pour mesure de la moralité de l’action ses conséquences pratiques. Pour arriver à ce résultat, ils ont présenté aux clients un dilemme moral classique, le dilemme du tramway (trolley problem), élaboré dans les années 1960, qui se présente ainsi:

Vous vous situez près d’une voie ferrée lorsque vous apercevez un tramway dont les frains ont lâché arriver vers vous: cinq personnes sont allongées sur la voie et attachées et le trolley fonce sur eux. Mais vous vous trouvez à proximité de l’aiguillage et vous pouvez détourner le trolley sur une autre voie, où il n’y a qu’une personne attachée. Actionner le levier implique donc de tuer une personne –et d’en sauver cinq. Que faites-vous?

Dilemme du tramway (à droite) et variante de l'homme obèse (à gauche)


Une variante du dilemme dite celle de «l’homme obèse», dans laquelle on peut pousser d’un pont l’homme sur la voie pour faire dérailler le tram et sauver cinq personnes en en sacrifiant une, était également présentée.

Ce résultat «amoindrit fortement l’idée selon laquelle les choix utilitaristes sont le résultat de plus longues délibérations», explique le coauteur de l’étude, Aaron Duke, précise The Atlantic. Par ailleurs, l’association entre choix utilitariste et faible implication émotionnelle est aussi contredite par l’expérience: les personnes éméchées étant à la fois plus émotionnelles dans leur jugement, mais également susceptibles de prendre plus rapidement une telle décision parce qu’elles se soucient moins du sort de la personne située du mauvais côté de la voie… Ainsi une «baisse d’empathie» prédirait le comportement utilitariste plus sûrement que la durée de la délibération.

Si cette étude vous fait rire, c’est normal. Le coauteur français, Laurent Bègue, professeur de psychologie, n’en est pas à son premier recrutement de cobayes dans un bar de Grenoble. Une précédente étude dont «les résultats ont montré que plus ils avaient bu, plus ils se trouvaient attirants», lui a valu un prix IG Nobel en 2013, une récompense scientifique réservée «aux recherches qui font d’abord rire les gens puis les font réfléchir». Une cérémonie dont Slate.fr vous a récemment présenté un générateur de résultats.