Un nez lui poussait dans le dos

  • 15/07/2014
  • Source : Lemonde.fr
Ce n'est pas sans rappeler ce personnage d'un sketch de Pierre Palmade qui, après avoir tiré sur un joint, se plaint d'avoir "un géranium qui [lui] pousse dans le dos". Ici, l'histoire est réelle (et pas comique du tout) : ce n'est pas un géranium qui poussait dans le dos d'une femme mais... un ersatz de nez. Pour comprendre ce cas unique, publié le 8 juillet par le Journal of Neurosurgery : Spine, il faut remonter une douzaine d'années en arrière.

Cela commence par un accident de la circulation dont est victime cette Américaine, à l'époque âgée de 18 ans. Résultat : colonne vertébrale brisée. La vertèbre dorsale fracturée est remise en place lors d'une opération mais, en raison de la lésion de sa moelle épinière, la jeune femme ne sent plus rien en-dessous de la taille et perd l'usage de ses jambes. Trois ans plus tard, pour essayer d'améliorer son sort voire de vaincre sa paraplégie, elle se laisse tenter par une opération audacieuse proposée par un hôpital de Lisbonne. L'idée consiste à prélever un peu de la muqueuse de sa cavité nasale, laquelle contient notamment des cellules souches de neurones mais aussi des cellules (les cellules engainantes olfactives) qui aident à la croissance des fibres nerveuses, et à insérer cet extrait de muqueuse dans son dos, au niveau de la vertèbre lésée. Les médecins espèrent ainsi régénérer une partie de la liaison nerveuse entre le cerveau et le bas du corps.

Le résultat est décevant car aucune amélioration ne se fera jour. Huit ans après cette opération, la jeune femme retourne à l'hôpital américain qui l'a soignée après son accident. Depuis un an, elle souffre de douleurs dans le dos qui ne font qu'augmenter en intensité. L'imagerie médicale montre une masse de près de 4 centimètres de long, qui appuie sur la moelle épinière, un peu au-dessus de la blessure originelle. Une nouvelle opération est donc programmée pour l'ôter. Lors de celle-ci, on découvre une espèce de masse fibreuse, un groupe de kystes contenant, comme le révèlera ensuite l'analyse, des muqueuses respiratoires, des cellules nerveuses, des fragments d'os mais surtout un épais mucus.

D'après l'étude, la greffe de la muqueuse nasale est bien parvenue à créer les fibres nerveuses recherchées mais c'est bien son seul résultat positif. Non seulement ces neurones ne se sont pas reconnectés comme espéré mais cette greffe a aussi conduit à la production de cellules nasales non désirées. C'est un peu comme si toutes les composantes d'un nez s'étaient installées, dans le désordre le plus total, sur la colonne vertébrale de cette femme. Et ce nez interne, comme tous les nez, était doté d'une fonction excrétrice et fabriquait du mucus...

Pour les auteurs, le résultat aurait pu être meilleur ou, en tout cas, différent si, au lieu de greffer en bloc un morceau de la muqueuse nasale, les chirurgiens portugais avaient "écrémé" leur échantillon et uniquement conservé les cellules souches neuronales et les cellules engainantes olfactives. "De tels cas, dit la conclusion de l'étude, ne devraient pas dissuader les chercheurs de poursuivre leurs travaux sur les cellules souches. Cependant, ils alertent les communautés scientifique et médicale. Même si, dans des études menées sur l'animal, les résultats de l'implantation de cellules souches sont encourageants et ont démontré des améliorations neurologiques sur de nombreux modèles animaux, il est encore nécessaire de mieux comprendre comment contrôler la prolifération, la survie, la migration et la différenciation des cellules (...), afin de prévoir et de prévenir leur croissance anormale ou incontrôlée chez les patients humains."

On peut aussi aller plus loin. Par leur capacité à régénérer des tissus abîmés (ou des cellules détruites dans le cas du diabète de type 1, par exemple), les cellules souches ont fait naître des espoirs énormes et certains patients sont prêts à tenter des traitements expérimentaux qu'on leur présente comme révolutionnaires ou prometteurs mais dont les résultats demeurent imprévisibles. On a beaucoup entendu parler du scandale italien de la méthode Stamina, un protocole très controversé qui n'a pas empêché le décès de plusieurs personnes. D'autres thérapies à base de cellules souches ont abouti à la mort des patients. On sait moins que se développe un tourisme des cellules souches, notamment en Chine, où parfois pour des dizaines de milliers d'euros, des malades misent leurs derniers jetons de vie sur des traitements hasardeux non validés par la recherche et sur des médecins peu scrupuleux.