Pourquoi y a-t-il des cadeaux à Noël? Et depuis quand on en offre?

  • 10/12/2013
  • Source : Slate.fr
Comme toute tradition, Noël fait partie des événements qui «vont de soi»: si l’on fête Noël cette année, c’est parce que nous l’avons fêté l’année dernière et parce qu’il sera fêté l’an prochain.

Contre le ronflement rodé de toute tradition –qui est une tendance à «naturaliser» les phénomènes sociaux–, l’analyse sociologique propose dans ses grandes lignes de s’éloigner du sens commun en interrogeant la genèse et les fonctions remplies par un événement collectif. Theodore Caplow écrivait ainsi de la fête de Noël: «tout ethnographe qui découvrirait un rituel si important dans quelque culture exotique pourrait être tenté d’en faire la pièce maîtresse de sa description de la culture».
 
C’est dans cette voie que s’inscrit Martyne Perrot avec son dernier ouvrage Le cadeau de Noël. Histoire d’une invention. Chercheuse au CNRS, Martyne Perrot se consacre depuis les années 1990 –en complément de ses recherches sur la consommation alimentaire et le monde rural– à l’étude des fêtes de Noël: d’un premier article portant sur les mythes accompagnant la Nuit de Noël  à son Cadeau de Noël, ce n’est pas moins d’une dizaine d’articles et de cinq ouvrages qu’elle a publiés.
 
Au vu des titres des précédents ouvrages, Le Cadeau de Noël. Histoire d’une invention constitue alors un résumé des travaux de Martyne Perrot. Au cours des cinq chapitres que forment l’ouvrage, cinq questions sont abordées successivement:
 
-Pourquoi offre-t-on des cadeaux à Noël?
-Pourquoi la fête de Noël est-elle une fête de famille?
-Pourquoi les cadeaux sont-ils offerts par le Père Noël plutôt qu’une autre figure?
-Pourquoi les cadeaux sont-ils surtout donnés à l’enfant?
-Quelles sont les règles sociales qui entourent l’offrande de cadeaux? 
 
Pour répondre à ces questions, Martyne Perrot privilégie l’usage d’archives, de travaux scientifiques plus ou moins classiques (sur l’échange et le don , l’histoire des fêtes de Noël et de la mythologie de Noël) et d’ouvrages littéraires, mais sans jamais arriver à fournir une chronologie précise et non contradictoire des événements étudiés et sans jamais faire part d’une enquête de terrain ou d’observations empiriques (qualitatives ou quantitatives) récentes.
 
On retrouve ici un travers classique des sociologues à s’éloigner de plus en plus du terrain à mesure de leur ancienneté dans le métier. Il est cependant dommage de noter qu’un tel reproche était déjà fait par Monique Pinçon-Charlot il y a 12 ans de cela dans sa chronique pour la Revue Française de Sociologie du premier ouvrage de Martyne Perrot intitulé Ethnologie de Noël, une fête paradoxale. Les deux ouvrages font comme si Noël était fêté par toutes les catégories sociales de la même manière .
 
Tout en tenant compte de ces remarques liminaires, l’ouvrage constitue alors un voyage plaisant dans l’histoire des fêtes de Noël et correspond à n’en pas douter à la ligne éditoriale choisie par l’auteur et ses contractants. On y découvre ainsi l’émergence progressive de la version moderne de la fête de Noël à partir du XIXe siècle. Différents éléments la composent.
 
D’une part, la fête de Noël passe de l’espace public à l’espace privé à mesure que les pratiques bourgeoises gagnent en visibilité et deviennent une source d’inspiration des pratiques sociales. Ce passage du public au privé fait de Noël une fête de famille centrée de plus en plus sur l’enfant compris comme un individu en soi, avec ses particularités de comportement (dont son imaginaire ludique), et non comme un homme en miniature . À cette occasion, le cadeau de Noël prend au fil du temps la place des «étrennes» offertes anciennement aux subalternes pour le Nouvel An. Quant aux produits offerts, ils évoluent à mesure que s’inventent les grands magasins, hérauts des pratiques bourgeoises. Leur touche finale fut de proposer l’emballage cadeau qui constitue de nos jours la norme pour la cérémonie des cadeaux lors d’une fête de Noël occidentale.
 
D’autre part, dans ce mouvement de transformation, au croisement des évolutions de la bourgeoisie et du commerce, se configurent dans le même temps les symboles du Noël occidental moderne. La pratique du sapin de Noël s’étend à partir de la tradition allemande qui gagne en visibilité par les pratiques de cour, puis par leur usage croissant dans les vitrines inventées par les grands magasins. Quant au Père Noël, sa généalogie est chaotique. En Europe, il apparaît épisodiquement au Moyen-Âge parmi d’autres personnages colporteurs de cadeaux (comme les «saints et les personnages bibliques, les fées et sorcières, et les vieillards», p.70) mais sans être décrit de manière précise.
 
Son pendant le plus net est alors Saint-Nicolas, personnage ambigu pouvant aussi bien ressusciter les enfants qu’être le «Nicolas à la fourrure» (Pelzenickel), autre nom du Père Fouettard, qui utilise son sac pour capturer les enfants. La période de la Réforme luthérienne, en abolissant le culte des saints au XVIe constitue une date importante en déplaçant la fête des enfants du 6 décembre au 25 décembre, jour de la Noël où c’est le Christkindl qui devient le dispensateur des cadeaux. Différentes traditions coexistent alors selon les traditions religieuses, catholiques ou protestantes, et selon les régions.
 
Aux Etats-Unis, où Noël correspondait au calendrier anglican, la figure du Saint Nicolas prend une valeur révolutionnaire. C’est au début du XIXe siècle que les personnages du Bonhomme Noël et du Saint Nicolas commencent à converger, notamment dans des œuvres littéraires (Washington Irving ou Clement Clarke Moore), et parce que les Etats américains officialisent la célébration de la Saint Nicolas le jour de Noël à partir de 1836. De ces influences éparses naît alors progressivement la figure du Père Noël sous sa forme contemporaine qui se diffuse en Europe occidentale tout au long du XIXe et du XXe siècle .
 
Enfin, la célébration du Noël occidental moderne s’accompagne de tout un ensemble de règles sociales émergeant progressivement. Comme la fête est d’abord issue de la bourgeoisie et se fonde sur la privatisation de la célébration, une des valeurs l’accompagnant devient la charité faite aux pauvres (et aux inférieurs en général). Les ouvrages destinés à la jeunesse bourgeoise utilisent la nuit de Noël comme un événement où l’enfant découvre les inégalités sociales, la compassion pour l’inférieur, mais aussi la nécessaire distance sociale (car jamais n’est offert à l’enfant pauvre des cadeaux hors de portée ou inutiles). Dans le même temps, les cadeaux et la cérémonie de leur remise, autrefois mérités, deviennent progressivement un dû et même un droit de l’enfant.
 
Caplow indique notamment que la première règle sociale autour de Noël dans les Etats-Unis des années 70 est «la règle de l’arbre de Noël qui oblige les couples mariés avec enfants à la suivre». Se développent tout au long des deux siècles les cadeaux typiques de la petite fille et du petit garçon aussi bien dans les catalogues publicitaires que dans les pratiques. Quant aux adultes, ils ne sont pas en reste (avec notamment les cadeaux pour l’époux ou pour l’épouse), même si les règles de don et de contre-don fonctionnent sur un registre différent de celui des enfants (tandis que le cadeau aux enfants se fait sans contrepartie, la «règle de réciprocité» observée par Caplow laisse penser que tout cadeau entre adultes doit se faire dans les deux sens pour correspondre aux attentes des deux parties).
 
Ainsi Martyne Perrot propose-t-elle une plaisante histoire de Noël, parsemée de plusieurs développements passionnants, mais qui mériterait une plus grande attention au terrain et à la diversité des pratiques sociales concrètes aussi bien selon les pays, les régions que selon les catégories sociales des célébrants.
 
Patrick Cotelette