Adama, artiste plasticien / Ni bras ni jambes, il refuse de mendier.

  • 17/12/2013
  • Source : topvisages.net
Adama Traoré, dit Adamo, 33 ans. Sans bras ni jambes, il est une véritable curiosité quand on le voit pour la première fois. En fait d’homme, c’est juste une tête posée sur un tronc. A l’entrée du supermarché Sococé, aux Deux-Plateaux, on voit Adama transpirer sur ses toiles.

Là où les autres peintres créent avec leurs bras, leurs mains, Adama, lui, peint avec sa bouche. Des moignons de quelques centimètres, voici ce qui lui reste comme membres supérieurs. En guise de jambes, il a un moignon et une toute petite jambe qui lui sert à garder l’équilibre, quand il marche avec sa béquille.

Adama a vu le jour à Treichville, dans une famille de 12 enfants. Alors que tous ses frères et sœurs sont «normaux», lui, naît infirme avec une seule jambe ! Mais celle-ci est si minuscule qu’on ne la remarque même pas. Là-bas, à Treichville, la venue au monde de ce bébé pas comme les autres avait suscité la curiosité chez certains. Des quolibets et des moqueries chez d’autres. Mais, la maman d’Adama, sans se décourager, s’est occupée de son enfant. Certaines personnes avaient peur de l’approcher. Ça a été d’ailleurs l’un des premiers murs de méfiance auxquels le jeune homme a été confronté, en grandissant. Les autres enfants le fuyaient ou le chassaient carrément. Pour se déplacer, Adama devait rouler sur lui-même. Comme une boule. Et cela faisait peur aux autres gosses. On aurait dit un remake de l’histoire de Soundjata Kéita (mais sans le happy end et la victoire sur Soumangourou Kanté).

Malgré tout, Adama ne s’est jamais senti différent des autres. Il voulait juste s’amuser, jouer comme les autres gamins de son âge. Il a grandi avec cette idée en tête : «Pour moi, le handicapé, c’est celui qui a tous ses membres au complet, mais qui est fou, ou malade mental», dit-il.

A l’âge de 9 ans, la mère d’Adama le conduit chez Sœur Benedicta, une religieuse catholique d’origine italienne, à Treichville. Celle-ci le confie à une autre femme du nom de Marie-Odile, propriétaire d’un centre d’accueil pour handicapés, à Abobo. C’est cette dame qui aidera Adama à devenir autonome. Elle lui apprend par exemple à se servir d’une cuillère, à manger seul, à faire sa toilette, à lire et à écrire, etc. Elle lui donne une béquille, pour se déplacer. Cette béquille deviendra un peu comme la seconde jambe pour Adama.

Dans le centre d’accueil, il y avait différentes activités ludiques dont la peinture. Un jour, Adama décide de s’essayer au dessin. A l’aide de ses moignons, il prend un pinceau et le cale entre l’un de «ses bras» et son menton. Puis, il se met à barbouiller quelque chose. Son premier dessin, Adama se souvient que ce fut un oiseau. Peut-être une envie de liberté, une volonté de s’évader inconsciemment traduite ? Petit à petit, Adama s’exerce en dessinant des paysages, des petits animaux, des personnages de dessin animé, etc.

Plus tard, la protectrice d’Adama décède. Il se retrouve à la rue. Au lieu de faire la manche, il décide d’affronter la vie. Avec son talent, comme seule arme. Il fait des dessins que des personnes achètent souvent par compassion. Autrefois à Abobo, aujourd’hui Adama expose ses œuvres à l’entrée du magasin Sococe des Deux-Plateaux grâce à la bienveillance des vigiles. Les dessins attirent les regards autant que le personnage. C’est juste extraordinaire de le voir à l’œuvre. Il joue des pinceaux, fait le mélange des couleurs, peint ses tableaux d’un geste vif, précis, ordonné. Les œuvres terminées sont exposées. On reconnaît Dora l’exploratrice (son héroïne), des paysages, des êtres vivants (oiseaux, poissons)….

Aujourd’hui, Adama vit à Abobo, avec deux de ses frères. Son souhait est d’avoir son propre atelier pour arrêter de peindre dans la rue. Mais pour cela, il lui faut des moyens qu’il n’a pas encore. «Je veux profiter du don que Dieu m’a donné. Je sais que je ne peux pas travailler dans un garage. Mon seul travail, c’est le dessin. Donc, je prends soin de ça», dit-il, l’œil pétillant d’espoir. Aussitôt, il se remet au travail, comme mu par une énergie invisible. «Nous qui sommes en bonne santé, on se plaint souvent de la vie. Quand tu vois ça, tu réalises combien de fois tu as de la chance d’avoir tes membres au complet», dit un passant épaté. Une vraie leçon de vie.