Vingt ans après, le rugby ivoirien n'a toujours pas transformé l'essai

  • 03/07/2015
  • Source : RFI
En 1995, les Ivoiriens avaient pris part à la Coupe du monde de rugby à XV en Afrique du Sud. Et aujourd'hui encore, la sélection ivoirienne reste la seule équipe d'Afrique francophone et d'Afrique de l'Ouest à avoir réalisé une telle performance. Malgré cela, la discipline se porte mal en Côte d'Ivoire.

Les raccourcis sont parfois cruels, mais révélateurs. Il y a près de vingt ans, alors que l'équipe de football de Côte d'Ivoire était tristement éliminée au premier tour de la Coupe d'Afrique des nations (CAN 1996) en Afrique du Sud, celle de rugby à XV réalisait un exploit : prendre part à la Coupe du monde 1995. Malgré une élimination expéditive au premier tour du Mondial sud-africain, cette participation reste encore une grande première pour une sélection d'Afrique francophone et d'Afrique de l'Ouest.

Vingt ans plus tard, alors que le football ivoirien est sur son nuage, après une victoire à la CAN 2015, le rugby ivoirien, lui, est loin des sommets. Loin d'une Coupe du monde 2015 qui se déroulera en Angleterre et au Pays de Galles du 18 septembre au 31 octobre 2015. Et loin d'être favori d'une Coupe d'Afrique des nations 1B - le deuxième échelon continental derrière la CAN 1A - qui se déroulera du 5 au 11 juillet à Kampala, en Ouganda.

« Le niveau a vraiment régressé »

Les rugbymans ivoiriens n'ont plus joué les premiers rôles en Afrique depuis une quinzaine d’années. Ce qui désole profondément Aboubacar Camara, qui était demi d’ouverture des Eléphants (surnom de l'équipe nationale) lors du Mondial 1995. « Ces dernières années, le niveau a vraiment régressé, soupire-t-il. On a fait ce qu’on a pu pour qu'au moins il stagne. Mais ça n’a pas pu tenir longtemps ». Celui qui a dirigé l’équipe nationale entre 2004 et 2010 ajoute : « Le niveau des joueurs de 1995 et celui des joueurs d’aujourd’hui n’est plus le même. Il y a vraiment une grande différence. »

Une analyse que partage Thierry Kouamé, qui était également de l’aventure sud-africaine. « Au niveau du jeu, il y a une baisse énorme, assure le président de l’Olympique Rugby Club de Koumassi. C’est d’abord dû au fait que notre championnat se déroule en dents de scie. Ensuite, au niveau du développement de notre sport, il y a plusieurs manques. Ça ne suit pas toujours. Il y a un creux entre les différentes catégories d’âge des participants, notamment entre les tout-petits et les séniors. Donc, le niveau du rugby est bas ».

Un Championnat à l’arrêt et une formation en berne

Signe des temps, le championnat ivoirien, qui compte treize équipes, est suspendu depuis plusieurs mois. Les clubs réclament, en effet, des assurances pour leurs joueurs, suite à la grave blessure de l’un d’entre eux. Pour l’heure, les négociations entre les acteurs du rugby ivoirien restent dans l’impasse. Même si la Fédération (FIR) assure que le championnat va reprendre en août, après la Coupe d’Afrique 1B.

La Fédération ivoirienne, justement, concentre une bonne partie des critiques. La fédération internationale de rugby (World Rugby) lui a retiré sa subvention. Elle reproche à la FIR une gestion financière opaque et défaillante. Aboubacar Camara décrypte : « Il faut penser au développement du rugby. Mais il n’y a pas de travail fait à ce niveau-là. En-dehors de trois clubs, l’Olympique Rugby Club de Koumassi (Orck), le Treichville Biafra Olympique (TBO) et le TA-Rugby Club de Koumassi (Truck), il n’y a pas de centres de formation pour les jeunes joueurs. La Fédération n’aide pas à ce niveau-là. »

« Il y a vingt ans, des joueurs ivoiriens partaient en France, parce qu’ils maîtrisaient les fondamentaux du jeu, lâche Thierry Kouamé. Ils sortaient de petits centres de formation des quartiers. Aujourd’hui, c’est devenu plus difficile. La majorité des joueurs de l’équipe de Côte d’Ivoire viennent actuellement de France. Avant, c’était du moitié-moitié. »

Du côté de la FIR, on concède que le nombre de licenciés (environ 4 000) a énormément baissé ces dernières années. Mais on se défend d’en être responsable. « La Côte d’Ivoire a traversé une période difficile avec une crise militaro-civile qui a divisé le pays en deux parties, rappelle à juste titre Amon Roger Motchian, vice-président de la FIR. Des centres de rugby au Nord et à l’Ouest ont fermé. Avec la pacification, nous essayons de rouvrir ces centres. Malheureusement, nous n’avons pas les moyens humains et financiers de le faire. […] Avec la crise, les partenaires et sponsors ont reculé, faute de moyens. » Une ligne de défense corroborée par Aboubacar Camara : « Malheureusement, le rugby ne fait pas partie de notre culture en Côte d’Ivoire. C’est donc difficile de trouver des sponsors. »

La blessure traumatisante de Max Brito lors du Mondial 1995

Le rugby est, de fait, l’un des nombreux parents pauvres du football sur le continent. « Nous avons les mêmes difficultés que dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest, déplore Amon Roger Motchian. Le rugby ivoirien est à la croisée des chemins. Nous avons connu un développement fulgurant au cours des années 1980 et 1990, jusqu’à ce summum : la participation à la Coupe du monde 1995. Mais avec l’accident de Max Brito durant le tournoi, qui a été mal médiatisé, le rugby a connu un recul, car nos licenciés venaient des établissements scolaires ».

Max Brito. C'est un nom qui est tristement entré dans les mémoires. Le 3 juin 1995, lors du match de Coupe du monde face aux Tonga, l’ailier ivoirien est grièvement blessé aux vertèbres. Le joueur se retrouve tétraplégique. Un accident rare, mais qui conforte les préjugés sur le rugby, souvent perçu comme un sport violent. « De l’épopée de 1995, les mémoires ont davantage retenu le malheureux accident de Max, reconnaît Aboubacar Camara. Les gens s’en souviennent encore. C’est ce qui est resté gravé dans l’esprit des Ivoiriens ».

Pour que la grande aventure de 1995 ne tombe toutefois pas dans l’oubli et que Max Brito soit honoré, ses anciens partenaires ont organisé son retour, en mai dernier. « Vingt ans après, on a souhaité se retrouver autour du rugby, qui est notre famille, sourit Aboubacar Camara. On a voulu revivre quelques moments de bonheur qu’on a connu ensemble entre 1990 et 1995 ». Thierry Kouamé raconte également : « On a rencontré les dirigeants du pays, avec Max, pour leur dire qu’il fallait continuer d’accompagner le rugby, qu’il ne fallait pas s’arrêter à la blessure de Max. »

La belle initiative a toutefois créé des tensions entre les anciens de 1995 et les autorités ivoiriennes. Les ex-Eléphants ont demandé à la FIR de contribuer au voyage de Max Brito, ce que celle-ci s’est déclarée incapable de faire. S’en est suivi une dispute entre les deux parties. Preuve qu’en Côte d’Ivoire, l’art du plaquage se pratique désormais mieux en dehors des terrains sablonneux d’Abidjan.