Situation socio-politique / Geneviève Bro Grébé (ex-ministre, pro-Gbagbo) : « J'ai mal...»

  • 13/11/2018
  • Source : Linter
Geneviève Bro Grébé signe son retour sur la scène politique après plusieurs années de silence dû à la crise post-électorale. Dans cette interview, l'ex-présidente des femmes patriotes parle de son nouveau combat avec le Mouvement citoyen pour une nouvelle Côte d'Ivoire (Mcnci) dont l'objectif est de contribuer à la réconciliation entre les Ivoiriens. L'ancienne ministre des Sports aborde également des questions d'actualité telles que la réforme de la Cei, la mort d'Abou Drahamane Sangaré, la crise au Fpi, la gestion du pouvoir Ouattara…

Ancienne ministre des Sports et des Loisirs et ex-présidente des femmes patriotes de Côte d'Ivoire, vous avez décidé de lancer le Mouvement citoyen pour une nouvelle Côte d'Ivoire (Mcnci). A quoi répond cette initiative ?

C’est une initiative qui répond à l’appel des Ivoiriens qui aspirent à la paix. Les Ivoiriens ont trop souffert des turbulences qui ont abouti à la guerre. Les gens ont souffert de la perte des êtres humains, des êtres chers, de biens matériels et de l'absence de cohésion sociale. Avec ce que nous avons vu récemment lors des élections municipales et régionales, les Ivoiriens ont peur. Ils ont besoin d’être apaisés et rassurés. Et nous, nous pensons répondre à leur appel en essayant d’apaiser les cœurs. Nous le faisons parce que nous avons souffert des affres de cette guerre, nous avons tout perdu. Nous avons perdu même notre dignité. Nous avons été en prison. Nous avons été battus. Nous disons qu'il faut aller de l'avant. Nous ne pouvons pas continuer à alimenter la haine. Donc, on rentre en soi en se disant, faut-il continuer dans la belligérance, dans la haine ? Nous disons non. Si on veut vivre, il faut pardonner. Il faut pouvoir parler aux autres pour demander à tout le monde d'arrêter les dégâts. Il y a eu la guerre, il faut pouvoir se parler pour aller à la paix dans l’intérêt de notre pays. Le pardon est une force de résurrection. Le pardon est divin. Aujourd'hui, nous qui avons beaucoup souffert, voulons pardonner pour aller de l'avant.

Quand est-ce qu'est né votre mouvement ?

Le mouvement est né il n'y a pas longtemps, avec des personnes de bonne volonté, femmes patriotes et des amis du Mouvement ivoirien pour la défense des institutions (Midi) qui a longtemps travaillé pour le changement de mentalités en Côte d'Ivoire. Nous sommes convaincus que ces crises à répétition sont arrivées parce que nous tous avons adopté de mauvais comportements. Il faut les changer. On ne pourra pas faire la réconciliation sans changement de mentalités. Notre objectif, c'est de contribuer à la réconciliation et, de faire en même temps, la promotion d’un citoyen nouveau.

La réconciliation n'est-elle pas effective en Côte d'Ivoire huit ans après la crise post-électorale ?

Non ! Il y a eu beaucoup d’initiatives qui ont été créées, notamment celle du gouvernement à travers la Commission dialogue vérité et réconciliation (Cdvr). Est-ce que les Ivoiriens connaissent le contenu de son rapport ? Est-ce que les dédommagements ont été faits ? Est-ce qu'il y a eu réparations ? Qu'est-ce qui a été fait après ? Nous avons tout perdu. Personnellement, nous n'avons pas été dédommagé. Et, c'est le cas de plusieurs personnes.

Alors, qu'est-ce qu'il faut pour une vraie réconciliation ?

Pour une vraie réconciliation, il faut d'abord la vérité. La vérité, ça rougit les yeux mais ça ne les casse pas. Il faut qu'on s'asseye entre frères et sœurs et qu'on se dise les vérités. Aussi qu'on se demande mutuellement pardon pour aller de l'avant. Si vous avez un abcès et que vous vous contentez de nettoyer la surface, si l'abcès n'est pas crevé, la plaie se transforme en cancer.

La vérité dont vous parlez se résume en quoi ?

Chacun a sa vérité. Mais, si on ne se parle pas, son ne peut pas s'entendre. Il faut qu'il y ait une communication, une vraie communication, entre les enfants de Côte d'Ivoire.

Avec la création du Mouvement citoyen pour une nouvelle Côte d'Ivoire, est-ce à dire que le mouvement des femmes patriotes n'existera plus ? Comment gérez-vous tout cela ?

Nous venons de loin. Au lendemain du coup d’Etat du 24 décembre 1999, nous avons créé '' Femmes paix et vision,'' une organisation de la société civile. Nous avons travaillé pour amener la junte militaire à respecter sa parole. Nous avons fait cela pendant dix mois. Notre objectif était vraiment de suivre la junte militaire pour ne pas qu'elle s'éternise au pouvoir. Malheureusement, il y a eu le 19 septembre 2002, nous nous retrouvons avec les femmes du Pdci, du Fpi, de la société civile, le Réseau ivoirien des organisations féminines, les femmes du Pit, celles de l'Usd, pratiquement tous les partis qui comptaient en ce moment en Côte d'Ivoire. Nous avons créé la Coordination des femmes patriotes pour dire non à la rébellion. Nous arrivions, j'espère, au moment où la rébellion est terminée. On a eu des accords. On a voulu aller à la paix, finalement, elle n'est jamais revenue. Nous avons connu la guerre avec son lot de meurtrissures, de tristesse et de désolation. Aujourd'hui, nous recherchons la paix. Nous ne voulons pas rester seulement au milieu des femmes. Nous voulons que ça soit et les femmes et les hommes. Donc, nous sommes passé des Femmes patriotes au Mouvement citoyen pour une nouvelle Côte d’Ivoire avec d'autres organisations de la société civile. Depuis 1999, nous évoluons mais notre discours est le même. Nous avons dit non à la rébellion, non à la guerre. Aujourd'hui, nous disons oui à la paix. C'est le même discours. Il n'a pas changé. Nous évoluons vers d'autres structures pour rassembler beaucoup plus d'Ivoiriens.

Ce que vous entreprenez n'est-il pas du déjà vu ou du déjà entendu avec le président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro, qui le 3 avril 2018, a également prôné la réconciliation entre Ivoiriens ?

Le président de l'Assemblée nationale n'a pas déroulé son programme ou son projet. Nous, nous venons de naître, nous avons un programme d'activités que nous allons présenter après notre séminaire qui va se tenir bientôt. Nous verrons ce que nous voulons faire exactement sur le terrain. Nous avons notre projet parce que nous l'avons mûri depuis la prison. Notre équipe est constituée d'anciens détenus de la crise post-électorale et nous voulons aller à la paix avec les enfants de Côte d'Ivoire. Si non, nous n'avons pas pris contact avec Guillaume Soro. Nous voulons parler aux gens sur le terrain. Ce n'est pas un discours. Ce sont des activités de terrain que nous allons mener.

Dans son projet, Guillaume Soro dit qu'il va demander pardon aux Ivoiriens et même à l'ex-président Laurent Gbagbo actuellement à La Haye. Il a aussi cité l'ancien président Henri Konan Bédié et l'actuel président Alassane Ouattara…

Ce serait une bonne chose s'il veut demander pardon aux uns et autres. Nous l'encourageons. Mais, il ne faudrait pas que cela s’arrête à des discours. Que des actes soient posés...