Rebondissement dans le dossier « Laurent Gbagbo à la CPI »: quatre Professeurs de droit s’invitent au débat

  • 13/09/2013
  • Source : Soir Info

Altit s’oppose et déclare : « Ils ne font que reprendre les arguments du Procureur ». C’est un épisode plutôt inattendu dans le dossier Laurent Gbagbo, un rebondissement qui pourrait, suivant le verdict de la Chambre d’appel, infléchir le débat dans un certain sens. Quatre éminents juristes ont introduit, le 5 septembre 2013, une requête près la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (Cpi). Les professeurs Darryl Robinson, Margaret de Guzman, Charles Jalloh et Robert Cryer, ont demandé l'autorisation à la Chambre d'appel de présenter des observations dans l'appel du Procureur Fatou Bensouda contre la décision de la Chambre préliminaire, en date du 3 juin 2013, ajournant l'audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo.
La démarche de ces juristes qui ne sont pas parties prenantes dans le dossier « Gbagbo », est conforme à la règle 103 du règlement de procédure et de preuve de la Cpi. Cette règle offre un cadre à l’intervention d’éventuels amici curiae (voir encadré) et dispose : « À n’importe quelle phase de la procédure, toute chambre de la Cour peut, si elle le juge souhaitable en l’espèce pour la bonne administration de la justice, inviter ou autoriser tout État, toute organisation ou toute personne à présenter par écrit ou oralement des observations sur toute question qu’elle estime appropriée ». Les quatre Professeurs de droit veulent être autorisés à intervenir et comptent- si les juges leur en donnaient l’autorisation- soumettre un mémoire. La Chambre d’appel, avant de rendre sa décision, a le plus logiquement du monde, demandé l’avis des principales parties : Accusation et Défense.

A la date du mercredi 11 septembre 2013, les parties ont donné leurs positions dans des documents écrits disponibles sur le site de la Cpi. L’accusation, peu bavarde, a juste indiqué, dans un document de 3 pages signé du procureur Fatou Bensouda, qu’elle n’était pas opposée à l’intervention des quatre juristes. La Défense conduite par Emmanuel Altit a, en revanche, demandé aux juges de la Chambre d’appel de rejeter la demande de ces juristes. « Les demandeurs (les 4 professeurs de droit, ndlr) ne font que reprendre les arguments du Procureur, ce qui pose la question des conséquences de leur intervention sur le caractère équitable de la procédure si leur demande était acceptée », argumente Me Altit, dans un document de 12 pages.

Relevons que les quatre juristes ont soulevé deux points qu’ils comptent développer dans leur mémoire. Le premier point porte sur le fait de savoir « si plusieurs incidents sont requis pour une «attaque » ; le second porte sur le fait de savoir s’il faut la preuve d’une « politique » à l'égard de chaque incident particulier ». Les crimes contre l’humanité attribués à Laurent Gbagbo sont inscrits dans la période de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire, entre décembre 2010 et avril 2011. Dans son document contenant les charges, le Procureur Fatou Bensouda s’était attelé à montrer l’existence d’une politique mise en place par Gbagbo et son camp visant à perpétrer des crimes.

Dans son texte adressé à la Chambre d’appel, Altit pointe du doigt une curieuse similitude entre les thèses du Procureur et celles des 4 Professeurs de droit : « (…) du fait que les demandeurs calquent leur argumentation aussi clairement sur celle du Procureur et la fondent sur une même interprétation de la décision du 3 juin 2013, autoriser les demandeurs à intervenir risque de mettre en cause l’équilibre de la procédure en renforçant le Procureur et en affaiblissant la défense obligée de se battre sur trois fronts. Il y a là un risque d’atteinte au caractère équitable de la procédure ».

Il reviendra aux juges de la Chambre d’appel de trancher, dans les meilleurs délais. Ils détermineront si Darryl Robinson et ses confrères sont autorisés à déposer un mémoire dans l’affaire « Laurent Gbagbo c. le Procureur de la Cpi ».

Kisselminan COULIBALY

Encadré

L'Amicus curiae

L’expression d’amicus curiae à laquelle il est fait référence, dans le cas des 4 juristes demandant à intervenir dans le dossier « Gbagbo », est un concept de droit. La définition qu’en fait le dictionnaire de droit international public est assez intéressante : « notion de droit interne anglo-américain désignant la faculté attribuée à une personnalité ou à un organe non-partie à une procédure judiciaire de donner des informations de nature à éclairer le tribunal sur des questions de fait ou de droit » (Jean Salmon (Dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, AUF, 2001, pp. 62-63). Amicus curiae (amici curiae, au pluriel) vient du latin et signifie « ami de la cour ». Il s'agit d'une personnalité ou d'un organisme, non directement lié à une affaire, qui se porte volontaire pour offrir des informations et assister une cour dans le but de trancher l'affaire portée devant elle. L'information fournie peut être une opinion juridique sous la forme d'un mémoire. C'est un témoignage qui n'a pas été sollicité par une des parties, ou un document qui traite d'un sujet qui porte sur le cas. La décision sur l'opportunité d'admettre les informations est à la discrétion de la cour.

La Cour pénale internationale, dans ses procédures, prévoit « l'amicus curiae ».