Musique, Côte d'Ivoire, Islam, Charlie Hebdo : Alpha Blondy et Magic System se livrent

  • 19/05/2015
  • Source : Le Parisien
Avec Alpha Blondy, tout commence et finit par un éclat de rire. Surtout lorsqu'il retrouve ses amis de Magic System, qu'il n'a pas vus depuis un an. Alpha Blondy, 62 ans, sort aujourd'hui un nouvel album engagé et engageant, le bien nommé « Positive Energy ».

Les Magiciens, comme on les surnomme, du Magic System lui rendent hommage en reprenant « Sweet Fanta Diallo », premier titre de l'album de reprises des grands classiques africains qu'ils dévoileront le 29 juin.

Heureux hasard, les stars de la Côte d'Ivoire étaient mardi dernier pour quelques heures à Paris, leur capitale d'adoption et d'enregistrement. L'occasion rare de réunir Alpha Blondy et A'Salfo, le leadeur de Magic System, 36 ans. Et quand ils parlent, on écoute.
 
LA CÔTE D'IVOIRE 
 
Alpha Blondy. « Je veux profiter de cette opportunité pour dire à Magic System que je suis très fier d'eux. Deux choses ont tué la guerre en Côte d'Ivoire. D'abord le zizi des Ivoiriens, qui leur a permis à une époque de se mélanger entre ethnies et régions.

La mère de mon premier fils est de l'Ouest, et moi je suis du Nord par exemple. Ensuite l'humour des Ivoiriens. On prend tout à la dérision. Et Magic System ramène cela, le vivre-ensemble et le rire. Les responsables du pays, qui veulent faire la réconciliation, doivent se servir de cela. »
 
A'Salfo. « Alpha est une icône de la musique africaine. Il a ouvert la voie, a permis à la jeunesse africaine de croire en sa chance de pouvoir faire carrière à l'étranger. Avant lui, personne ne pensait qu'un artiste africain pouvait partir faire des tournées dans le monde. Nous avons le même parcours, nous sommes partis du ghetto pour être là aujourd'hui. Comme toi, nous voulons donner espoir à ceux qui l'ont perdu et montrer que la jeunesse africaine peut faire de grandes choses avec peu de moyens. »
 
LA MISSION 
 
A'Salfo. « Quand on a été champions d'Afrique de football, en février, toute la Côte d'Ivoire était dans la rue. On essaie de faire la même chose. L'artiste a une mission. Pas seulement de vendre des albums, mais aussi faire passer des messages positifs, pour le bien-être, la cohésion, l'union, la solidarité... Il y a quelques années, Alpha nous avait fait la faveur d'un duo, « Tikilipo » -- « politique » à l'envers --, dans lequel nous évoquions ce qui est arrivé en 2010 dans notre pays, la guerre civile. Nous disions aux politiciens d'arrêter leurs palabres, qui divisaient les Ivoiriens. »

Alpha Blondy. « On ne fait pas tout ça pour flatter nos vanités. Dieu nous a confié à tous une mission divine. C'est lui qui met les moyens. Quand j'ai fait la chanson Brigadier Sabari, je m'étais fait bastonner par les flics. J'ai pris la douleur, je l'ai transformée, et Dieu m'a habillé de lumières. Au tour de Magic System. »
 
LA MUSIQUE AFRICAINE
 
A'Salfo. « Nous commençons notre album avec Alpha Blondy, celui qui nous a le plus inspiré, celui qui a fait la liaison entre l'ancienne génération et la nôtre. C'est la quintessence de la musique africaine que nous reprenons dans cet album, Papa Wemba, Cesaria Evora, Salif Keita... En France, on fait des reprises de Goldman, Aznavour, Renaud... Nous, on ne peut reprendre que ce qui vient de chez nous. »
 
Alpha Blondy. « Tu m'imagines chantant Noir, c'est noir de Johnny Hallyday ( il éclate de rire)... Chez nous aussi il y a de la richesse, de la variété, de la rythmique. Mais à la Fnac, combien d'artistes africains ont la chance comme nous d'avoir leur propre présentoir ? La musique africaine est soit classée dans la variété française, soit dans la musique du monde. Cela ne veut rien dire, musique du monde. Moi, j'ai grandi en écoutant Pink Floyd, je reprends une chanson de Claude François sur mon nouvel album. »
 
« CHARLIE HEBDO »
 
Alpha Blondy. « Je vais citer le pape : La liberté d'expression est un droit fondamental et inaliénable, mais cela ne nous donne pas le droit d'insulter la religion d'autrui. La liberté d'expression sans limite est une forme d'extrémisme et moi je voudrais que l'on se respecte. Mais ça ne donne pas le droit de tuer au nom d'une religion. Il y a deux fautifs. »
 
A'Salfo. « Je suis d'accord. Il a tout résumé. Rien ne peut justifier la tuerie. Celle de Charlie Hebdo nous touche forcément, mais au même moment, il y avait 2 000 personnes qui étaient massacrées au Nigeria par Boko Haram. Et on n'en a pas beaucoup entendu parler. »
 
L'ISLAM
A'Salfo (né de père musulman, mais non pratiquant). « On reste croyants, mais on est désemparés. On a l'impression qu'il y a plusieurs dieux. Celui des terroristes qui disent qu'ils tuent au nom d'Allah, et notre Dieu, celui qui nous protège, nous montre la sagesse. »
 
Alpha Blondy (déiste, d'origine musulmane). « Ma grand-mère, qui m'a élevé -- c'est elle en photo sur la pochette de mon album -- m'a dit : Il n'y a de Dieu que Dieu. C'est-à-dire que personne ne peut agir en son nom. Il n'est écrit nulle part dans le Coran que tu vas tuer. Jésus-Christ y est cité plus de fois que Mahomet. En tant que croyant et homme de foi, je dis que ce qu'ils font n'est pas juste. En vérité, les terroristes sont là pour combattre Dieu.

L'Etat islamique, Boko Haram et Al-Qaïda ne représentent pas les musulmans du monde mais une frange de vengeurs. Les pays occidentaux ont bombardé l'Afghanistan, l'Irak, la Libye, au nom de la démocratie et se sont créé des ennemis inutiles. Certains sont morts et d'autres ont juré vengeance. L'Occident doit savoir que ce n'est pas avec les bombes que l'on enseigne la démocratie. C'est en se parlant. »