Interview/ Ali Ouattara (Pdt de la Coalition ivoirienne pour la CPI) : “Le retrait des Etats africains n’arrêtera pas les poursuites”

  • 12/10/2013
  • Source : Le Patriote
La question du retrait ou non des pays africains de la CPI fait débat. De plus en plus, des chefs d’Etat et des intellectuels accusent l’institution d’être à la solde des grandes puissances. Ce n’est, en tout cas, pas l’avis d’Ali Ouattara, président de la Coalition ivoirienne pour le Cour pénale internationale.

Le Patriote : Monsieur le président, les chefs d’Etat et de gouvernements africains sont actuellement réunis à Addis-Abeba. A l’ordre du jour, le retrait en bloc des pays africains de la Cour Pénale internationale. Quels commentaires vous inspirent cette démarche ?

Ali Ouattara : Je voudrais faire savoir que l’Union africaine n’est pas Etat partie à la CPI. Ce sont les Etats qui, de façon individuelle, de façon libre, de façon autonome et indépendante ont décidé d’adhérer au Statut de Rome. Par conséquent, l’Union africaine ne peut pas demander aux pays africains de se retirer en bloc de la CPI. Si cela devrait avoir lieu, ce sont les Etats qui peuvent se retirer individuellement et de façon libre. Chaque Etat a signé et a ratifié le Statut de façon indépendante. Il faut dire que l’article 4 de l’acte constitutif de l’Union africaine met en exergue la lutte contre l’impunité. La CPI est un instrument de lutte contre l’impunité. C’est le plus grand instrument de lutte contre l’impunité dans le monde qui est là de façon permanente. Contrairement aux tribunaux spéciaux qui sont limités dans l’espace et dans le temps. Il faut faire savoir aussi que la CPI a été créée pour les victimes. Elle a été créée pour défendre les victimes, pour que personne ne soit au dessus de la loi. Pour que, par conséquent, quel que soit votre statut, quel que soit votre rang social, quelles que soient vos immunités, si vous avez commis des crimes graves, vous puissiez répondre devant cette juridiction. Au niveau de l’Afrique, les Africains dans leur grande majorité, s’étant rendu compte qu’il n’y avait pas de juridiction compétente au plan local, ont adhéré en masse à la CPI.

LP : Ont-ils été contraints ou l’ont-ils fait à leur demande ?


AO
: On adhère librement au Statut de Rome. C’est une convention internationale. D’abord, vous signez et après quand vous êtes d’accord, vous ratifiez. La Côte d’Ivoire a signé depuis 1998. Ce n’est qu’en 2013 qu’elle a ratifiée. C’est de façon libre et souveraine que chaque Etat adhère à un instrument international.

LP : Il ne peut donc pas avoir de retrait en bloc ?

AO
: Le terme bloc n’est pas approprié. C’est de façon individuelle que les Etats sortent. Beaucoup d’Etat peuvent sortir, mais c’est de façon individuelle qu’ils vont le faire. Même si dix ou vingt Etats signent, la CPI les reçoit individuellement. Ce qu’il faut ressortir, c’est que ces Etats n’ont pas adhéré en bloc.

LP : La CPI continuera-t-elle d’avoir de la compétence sur un pays qui se retire ?

AO
: Bien sûr. Je vous rappelle que la CPI est un tribunal qui est permanent. Selon l’article 14 du Statut de Rome, il y a plusieurs façons de saisir la CPI. Un Etat partie peut demander au Procureur de venir mener des enquêtes dans son pays. L’article 15 fait cas de l’auto-saisine. Enfin, il y a le chapitre 7 des Nations Unies qui permet au Conseil de sécurité de saisir le Procureur pour enquêter dans un pays donné. Ce sont des Africains eux-mêmes dans leur grande majorité, dans les différents pays qui ont demandé d’enquêter dans les pays où il y a des situations de conflit, notamment l’Ouganda, la RD Congo, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, le Mali. Ce sont les Etats de façon souveraine qui ont demandé à ce que la CPI vienne s’immiscer dans leurs affaires intérieures.

Pour ce qui est de la Libye et du Darfour, ce n’est pas la CPI qui s’est saisie du dossier, c’est le Conseil de sécurité qui a saisi la CPI et lui a demandé de mener des enquêtes dans ces pays. Lorsque la résolution sur le Darfour devrait être votée, il y avait des Etats africains qui étaient au Conseil de Sécurité : le Bénin, le Botswana et l’Algérie. Ces différents Etats ont donné leur accord. Ils auraient pu dire non sur le cas du Soudan. Ils ne l’ont pas fait. Seule l’Algérie s’est abstenue. Aujourd’hui, quand on fait le point, c’est seulement au Kenya que la CPI s’est autosaisie.

Cela a été fait avec l’accord de la Chambre préliminaire. En résumé, lorsqu’on fait le point, ce sont les chefs de l’Etat, les chefs de gouvernement des pays, de façon souveraine et autonome qui ont demandé à la CPI d’intervenir dans la plupart des cas. Si un pays se retire, la CPI continue toujours ses enquêtes. Aujourd’hui les chefs d’Etat africains se rendent compte que les enquêtes qui sont menées au niveau de la CPI peuvent les toucher du jour au lendemain. Par conséquent, il faut faire bloc, il faut se comporter comme un syndicat. Finalement, on se demande si l’UA n’est pas un syndicat des chefs d’Etat. Parce qu’on devient soi-même les bourreaux de notre propre peuple.

LP : Quelles conséquences du retrait massif des pays sur la CPI ?

AO
: Il est indéniable qu’un retrait massif va affaiblir la CPI. Aujourd’hui, ce sont 122 Etats qui sont concernés par la CPI. Si le nombre diminue, il y aura un affaiblissement. Mais cela n’a aucune conséquence sur le fonctionnement de la CPI. Il fallait seulement 60 Etats pour ratifier le Traité pour que le Statut rentre en vigueur. Même si toute l’Afrique se retire, la CPI va toujours fonctionner.

LP : A l’instar du président guinéen, Alpha Condé, des Chefs d’Etat africains affirment que la CPI est une institution juridique borgne qui ne regarde que d’un seul œil, particulièrement les Chefs d’Etat africains.

AO
: Je rappelle que ce sont ces Chefs d’Etat, eux-mêmes, qui ont invité la CPI à enquêter dans leur pays. J’ai cité plus haut les pays qui ont invité la CPI à enquêter sur leur territoire. La CPI n’est pas venue d’elle-même dans ces pays. Il faut être objectif, il faut dire la vérité aux uns et aux autres. Lorsqu’un Etat quitte la CPI, il faut un an pour que cela soit pris en compte. Deuxièmement, les poursuites ne s’arrêtent pas. Quelles que soient les décisions qui seront prises par les chefs d’Etat, cela n’entachera en rien le fonctionnement de la CPI.

Les procédures vont continuer. L’Afrique va perdre. Elle va perdre parce que lorsqu’on ratifie le Statut, le préambule du Statut de Rome dit que la primauté des affaires, des poursuites revient à l’Etat partie. Lorsque vous ratifiez le Statut, vous avez la souveraineté judiciaire de façon théorique. Mais pour avoir la souveraineté juridique de façon pratique, il faut avoir une loi de mise en œuvre. Il faut adapter vos textes avec le Statut de Rome, une norme supra qui vient sur la norme locale. Il faut introduire les éléments qui sont de la compétence de la CPI dans les textes locaux.

Cela nous donne la capacité juridique de pouvoir nous-mêmes juger comme le demande la CPI. Il faut donc que la Côte d’Ivoire puisse avoir la loi de mise à nouveau. Nous avons remis un projet dans ce sens au gouvernement ivoirien. Ce qui est plus grave, lorsqu’on n’est pas Etat partie, comme c’est le cas pour la Lybie, le Conseil de sécurité peut demander de mener une enquête. Si vous quittez la CPI, vous n’avez plus de souveraineté. La CPI en réalité a été créée pour permettre aux Etats d’être souverains juridiquement. La CPI a été créée pour qu’il n’y ait personne au dessus de la loi. Cela manque aux Etats africains.

LP : Est-ce un faux procès contre la CPI ?

AO
: Il s’agit en réalité d’un débat politique et politicien. C’est une instrumentalisation des populations. On n’a pas demandé l’avis aux milliers de victimes africaines avant de parler de retrait de ces pays de la CPI. Le débat aujourd’hui concerne plus les victimes que les Chefs d’Etat. Pour un individu qui veut être au dessus de la loi, on ne peut pas laisser pour compte les victimes. Tout le monde est victime potentiel. Nos Etats sont tellement instables que du jour au lendemain, chacun de nous peut être dans une situation de victime. Tout le monde a intérêt à ce qu’il y ait une structure qui s’occupe, au niveau international, de ces différentes victimes. On sait que c’est un faux procès. On sait aussi que ce sont des personnes qui défendent leurs intérêts égoïstes. Ces personnes ont pu amener malheureusement beaucoup d’intellectuels africains, beaucoup d’opinions africaines, à entrer dans la danse, oubliant ainsi qu’eux-mêmes sont des victimes potentielles.

LP : Vous parliez tantôt de la prise en compte des victimes par la CPI. On va malheureusement selon des opinions vers la libération de l’ex-président de la République de Côte d’Ivoire. Dans ces conditions, quelle sera la place des victimes ?

AO
: Nous n’entrons pas dans ce débat. Ce sont les juges qui décident s’il faut oui ou non libérer un détenu. Les juges sont les personnes les mieux habilitées pour pouvoir dire le droit. Pour nous, il faut que le droit soit dit. S’il n’y a pas de preuves contre lui, il sera libéré. S’il y a des preuves contre lui, il va rester là-bas. Et il va avoir un procès. Nous disons que tous ceux qui fautent, qui commettent des crimes, doivent répondre devant la justice.

LP : La Côte d’Ivoire renonce à faire transférer Simone Gbagbo à La Haye.

AO
: Nous avons produit un communiqué pour dire qu’aujourd’hui la Côte d’Ivoire n’a pas la capacité de juger Simone Gbagbo. Pour le faire, il faut que les textes qui ont été soumis au gouvernement soient adoptés. A l’état actuel des choses, pour nous, elle doit être transférée. Il faut, pour ne pas que cela soit, que la Côte d’Ivoire accélère le processus pour pouvoir avoir cette capacité. Nous avons été rassurés par le ministère de la Justice qui nous a indiqué qu’un travail est en train d’être fait sur le Code pénal, sur le Code de procédure, pour que la Côte d’Ivoire puisse avoir cette capacité.

LP : Un mandat d’arrêt a été lancé contre Blé Goudé. Doit-il être lui aussi transféré à la CPI ?

AO
: Bien sûr. Nous avons dit également, cela est une question de logique que, tant que l’harmonisation des textes n’est pas faite, il va de soi que tous ceux pour qui la CPI a émis un mandat d’arrêt puissent répondre devant elle. Pour le moment, la Côte d’Ivoire n’est pas capable de juger ces cas sur son sol. Il faut que les textes s’alignent sur ceux de la CPI.

Réalisée par Thiery Latt