Handicap et savoir-faire / Dans l’univers des personnes handicapées aux multiples talents

  • 03/10/2021
  • Source : LeBabi.net
Obtenir un emploi en Côte d'Ivoire n'est pas à la portée du premier venu. Diplômés ou pas, la quête d'un emploi n'est pas chose aisée. Selon les statistiques officielles, moins de 60% de la population active (jeunesse) jouit d'une insertion véritable et acceptable dans le tissu socioprofessionnel. Et là, nous faisons cas de toutes les composantes de la population jeune du pays. Quid des personnes en situation de handicap ?, cette frange de la population qui est particulièrement stigmatisée et marginalisée.

 

Déjà qu'obtenir un emploi stable n'est pas évident pour les personnes dites "normales", il apparaît évident qu'il est doublement plus complexe pour celles en situation de handicap.

Selon le ministre Dogo Raphaël, président de la Fédération des Handicapés de Côte d'Ivoire (FAHCI), ce sont plus de 3 millions de personnes en Côte d'Ivoire qui sont frappées par un handicap, qu'il soit moteur, mental ou psychique. 

Pour lui, la question de l’emploi des personnes handicapées exige une réflexion plus poussée. Même diplômés, ce sont moins de 49% des personnes handicapées qui obtiennent un emploi au terme de leur formation malgré la politique dérogatoire en faveur des personnes handicapées initiée par le gouvernement pour le secteur publique.

Concernant le secteur privé, il a pointé du doigt le fait que 98% des entreprises assujetties à l’obligation d’emploi instituée par le décret n° 2018-456 du 9 mai 2018 relatif à l'emploi des personnes en situation de handicap dans le secteur privé, ne respectent pas l’obligation réglementaire de 1 à 2% d’emploi de travailleurs handicapés, en raison des réticences des employeurs à embaucher des personnes handicapées.

Partant de ce constat, certaines d'entre elles ayant surmonté leurs différents handicaps, ont décidé de se lancer dans de petites activités, certaines par passion et d'autres par nécessité de survie, ne faisant pas de la mendicité une option.


Travailler plutôt que Mendier

Par habitude ou facilité, elles sont nombreuses ces personnes handicapées qui préfèrent mendier plutôt que de subir l'abnégation et la rigueur qu'impose un métier. C'est ainsi qu'on peut les voir errer ça et là, aux abords des routes ou souvent faisant du porte à porte pour quémander leur pain.

S' il est courant de les voir mendier dans les rues ou devant les établissements religieux, certains d'entre eux font la fierté du pays de par leur créativité, motivations et talents en dépit de leur handicap.

 Admirables conquérants, nous sommes allés à la rencontre de certains d'entre eux. Il s'agit de Nicole Kouamé, Koné Siaka et Armel Kouman.


Nicole Kouamé, non-voyante et créatrice d'accessoires de beauté

Secrétaire administrative à l’INIPA (Institut National Ivoirien pour la Promotion des Aveugles), Nicole Kouamé est une décoratrice exceptionnelle.  Domiciliée à Yopougon et âgée de 41 ans, elle est non-voyante et créatrice d’accessoires de beauté tels que les colliers et boucles d’oreille et aussi des porte-clés en forme d’animaux. Crocodile, chien, lapin, papillon, éléphants (liste non exhaustive). Tels sont en substance les animaux que Nicole Kouamé revisite lors de ses créations.

Il faut noter que tout ce qu’elle conçoit comme accessoires, elle le fait essentiellement avec des perles. L’on est en droit de se demander comment cela est possible pour quelqu’un qui a perdu la vue.

« Je fais acheter les perles par un de mes amis avec qui je les range par couleur dans des bols et des sachets. Une fois les perles séparées par couleur, je réalise l’objet en question en me basant sur l’image que j’ai de lui en mémoire ».

En effet, Mlle Kouamé n’est pas née non-voyante. Victime d’un glaucome congénital, elle perd la vue à l’âge de 15 ans. Dès lors un combat perpétuel se présente à elle pour surmonter ce handicap. Inscrite à l’INIPA, elle y fait ses armes et finit aujourd’hui secrétaire administrative dans ledit établissement.

Amoureuse de décoration, elle décide malgré son handicap de se lancer dans cette aventure qu’elle trouve ‘’palpitante’’.

« Avant de perdre la vue, j’ai eu la chance de voir et de connaître les couleurs. J’aimais déjà la beauté qui se dégageait des couleurs ».

C’est ainsi que depuis 2002, elle s’est lancée dans la décoration et aujourd’hui, elle souhaite professionnaliser son activité.  

« J’ai besoin de me faire connaître pour trouver d’autres marchés. J’arrivais à vendre quelques articles lors des expositions auxquelles je participais, mais avec l’avènement de la pandémie de la maladie à coronavirus, il n’y a plus d’exposition et donc mon activité a pris un coup. J’ai besoin de moyens financiers pour créer une PME au sein de laquelle je pourrai former les personnes en situation de handicap et mettre sur pied un magasin pour faire des expositions ».

Profitant de cette entrevue, Nicole Kouamé a invité les personnes handicapées à ne pas se laisser démoraliser par leur situation mais à plutôt se battre pour se réaliser car ‘’les personnes en situation de handicap ont du génie’’.

 

Koné Siaka, handicapé moteur et couturier

Koné Siaka, 37 ans, résidant à Koumassi est couturier de formation. Couturier, styliste et modéliste, Koné Siaka a débuté en 2002.  Après trois ans d’apprentissage, il devient un couturier confirmé en 2005. Depuis, il travaille pour le compte de plusieurs personnes jusqu’à ce jour. Sa particularité ? Il est handicapé moteur. Il souffre d’une distorsion des deux avant-bras et ce, depuis la naissance.

Nous l’avons approché pour savoir comment il arrive à pratiquer son activité dans ces conditions qui paraissent être aux antipodes des conditions idéales.

« Mon handicap ne m’empêche pas de travailler, j’arrive à faire tout ce que je désire et mon corps me le permet ».

Parlant de sa clientèle, Koné Siaka s’est réjouit du fait qu’elle est satisfaite de ses créations et va même jusqu’à l’encourager par des conseils et des dons en espèce.

« Les clients sont contents de me voir ainsi me battre. Certains m’encouragent à continuer dans ce sens. Ils aiment ma combativité et mon courage ».

Comme tout bon entrepreneur, il souhaite à long terme pouvoir s’installer à son propre compte.

« Depuis la période de l’apprentissage, je ne travaille que pour des gens. Je veux m’installer à mon propre compte et pouvoir en retour former à la couture tous ceux qui le désirent ».

 

Armel Kouman, Handicapé auditif et agent de fluidité


Armel Kouman, handicapé auditif de 25 ans, est convoyeur à YAYA FOFANA, la gare intercommunale de Koumassi. En tant qu’agent de fluidité, il a pour fonction première d’orienter les passagers et guider les véhicules de la gare.

Sourd et muet, comment arrive-t-il à communiquer avec tout ce beau monde?

Tel un maître de chœur, c’est à l’aide de grands gestes qu’il indique à chacun son chemin et le véhicule préposé au voyage. Visiblement, la gare YAYA FOFANA a en son sein un virtuose qui pratique l’art de communiquer avec un sens particulier.

En mimant l’action, l’agent de fluidité nous explique qu'à la vue du ticket il sait automatiquement où conduire l’usager.

Pour Isidore DANFO, le chef superviseur de la gare, Armel Kouman a mérité sa place dans l’effectif du fait de sa ténacité, son courage et son amour pour le travail.

 « Nous travaillions avec lui depuis le grand carrefour de Koumassi. C’est un battant et c’est même la raison pour laquelle nous l’avons recruté ici dans cette nouvelle gare ».

Ce ne sont que trois petites histoires de ces braves gens relatées en ces quelques lignes. Comme eux, ils sont nombreux à affronter avec fierté les difficultés de la vie. Malheureusement, ils sont frappés par un manque criard de moyens comme l'ont signifié certains des héros ci-dessus présentés.

Selon Camille Tano, le président de l’Union Nationale des Organisations des Parents et Amis des personnes Handicapées de Côte d’Ivoire (UNOPAH-CI), c’est le rêve de tout parent de voir son enfant se réaliser être indépendant.

Il a exhorté l’Etat de Côte d’Ivoire dans sa politique nationale de promotion des personnes handicapées à mettre sur pied des programmes en faveur des enfants handicapés visant à les rendre autonomes et indépendants.

L'émergence de la Côte d'Ivoire se fera avec tous ses enfants. Toutes les franges de la population sont concernées par le développement du pays. L'État gagnerait donc à accompagner ses soldats prêts à lutter à ses côtés dans la marche vers L'émergence.

Varol