Demande d’extradition de Blé Goudé par la CPI : coup de glaive dans la lagune Ebrié ?

  • 03/10/2013
  • Source : L'Observateur Paalga
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les responsables de la Cour pénale internationale (CPI) savent conserver jalousement le secret. Ce qui n’est pas rien dans un monde où bien des personnes trouvent un malin plaisir à parler de ce qu’ils savent, de ce qu’ils croient savoir et de ce qu’ils ne savent pas.

En effet, le mandat d’arrêt lancé contre le "général de la rue", Blé Goudé, en décembre 2011 n’a été rendu public que le mardi 1er octobre 2013, soit au moins 22 mois après. Près de deux ans donc à garder un si lourd secret. Ex-ministre de la Jeunesse du régime précédent en Côte d’Ivoire et chef des "jeunes patriotes", milices pro-Gbagbo parfois extrêmement violentes, Blé Goudé avait été arrêté le 17 janvier 2013 au Ghana après plus d'un an et demi de cavale puis extradé dès le lendemain vers la Côte d'Ivoire, où il est détenu.

Après Laurent Gbagbo et son épouse, Simone, il est le troisième suspect à faire l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI pour les violences ayant fait plus de 3 000 morts à la suite de l'élection d'Alassane Ouattara, contestée par le président sortant d'alors, Laurent Gbagbo. La CPI soupçonne Charles Blé Goudé, 41 ans, de quatre chefs de crimes contre l'humanité, à savoir meurtre, viol, persécution et autres actes inhumains, commis entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011. Mais l’ex-ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo a beau être le dernier des sacripants, on verrait mal comment les vainqueurs de la crise ivoirienne l’enverraient devant Fatou Bensouda, la procureure de la CPI.

La probabilité de son extradition est d'autant plus faible qu’Alassane Ouattara a déjà refusé de transférer à la Haye l’épouse de l’ex-numéro 1 Ivoirien, Simone, au prétexte que la Justice ivoirienne est en mesure de juger l’ex- Première Dame. Alors comment la même institution judiciaire pourrait déclarer urbi et orbi qu’elle peut juger Simone Gbagbo et se déclarer incompétente à situer le «général de la rue» sur son sort ?

A contrario, on pourrait penser que si Gbagbo s’est retrouvé à la Haye, c’est qu’à l’époque, le pays d’Houphouët-Boigny sortait d’une longue crise qui avait fini de désaxer le système judiciaire, remis en ordre depuis. Alors si le système est opérationnel pour dire le droit, pourquoi aller chercher ailleurs, pourrait-on avancer ?

Cependant, la mère des équations serait de savoir si comme elle se proclame compétente, la Justice ivoirienne est également prête à juger les auteurs présumés d'exactions qui ont combattu en faveur d'Alassane Ouattara en 2011 et sur lesquels pèsent également des soupçons de crimes contre l'humanité.

A ce jour, officiellement, aucun responsable du camp présidentiel n'a été mis en examen, encore moins inquiété. Et pourtant les quelque 3000 morts par suite de cette crise ne sont pas le fait du seul camp Gbagbo ! Bien au contraire, les anciens «commandants de zones» tels les Ouattara Siaka, dit Wattao, les Chérif Ousmane, les colonels Adams, entre autres figures de la rébellion qui a contrôlé la moitié Nord du pays dix ans durant, n’ont pas fait dans la dentelle et devraient par conséquent intéresser la CPI.

Peut–être bien qu’en rendant public ce mandat d’arrêt contre Blé Goudé, la Cour pénale internationale voudrait tout simplement mettre Abidjan devant ses responsabilités, en refusant toute justice des vainqueurs. Et Alassane Ouattara aura certainement bien compris le message, qui résonne comme un coup de glaive dans la lagune Ebrié.

Boureima Diallo