Crise ivoirienne, justice, nationalité... Les graves révélations d'un proche de Soro sur la mort de Gueï

  • 26/08/2013
  • Source : L'Inter

Professeur agrégé de philosophie à l'Université de Rouen, Franklin Nyamsi est un philosophe franco-camerounais marié à une Ivoirienne. Lié au président de l'Assemblée nationale au point d'être parmi les trois chroniqueurs de son site, il nous a accordé une interview de passage à Abidjan, à l'occasion de la visite de Guillaume Soro dans le Goh. Dans cet entretien, l'auteur de l’œuvre ''De l'anti-colonialisme dogmatique à l'anti-colonialisme critique'' tente de décrypter la politique ivoirienne à la lumière de la crise ivoirienne.

Vous êtes en Côte d'Ivoire depuis quelques jours et vous avez parcouru, aux côtés du président de l'Assemblée nationale (PAN), Guillaume Soro, la région du Goh. Quelle impression?


Ma première impression, c'est l'émerveillement devant l'accueil chaleureux reçu par Guillaume Soro. Je parlerais même d’un accueil triomphal que les populations de Gagnoa ont réservé au PAN, contrairement à la volonté de ceux qui voulaient un échec. Je pense ici aux propos anti-républicains de l'ambassadeur Abiet, de Mme Odette Lorougnon ou du ministre Sébastien Dano Djédjé, qui malheureusement a raté là le coche, parce qu'il était aux antipodes de son ancien ministère de la Réconciliation.

Ce que nous avons vu sur le terrain, c'est un peuple du Goh, de la région de Gagnoa, à la recherche du développement, de la modernisation de ses infrastructures de santé, des adductions d'eau potable, de dispensaires, d'hôpitaux, d'écoles publiques. C'est ce peuple-là qui s'est adressé à Guillaume Soro et qui l'a accueilli massivement dès l'aérodrome tout à fait rudimentaire de Gagnoa, jusqu'à l'intérieur des terres.

Nous sommes allés à Gnagbodougnoua, à Gnaliépa, à Mama, Guibéroua, Kpogrobouo et enfin sur la grande place de Gagnoa. Guillaume Soro a délivré un message de vérité. Je pense qu'il s'est adressé au cœur des populations de Gagnoa. Et il a un avantage, c'est qu'il est leur ''otouhouri'', c'est-à-dire leur beau- frère, et il sait comment leur parler.

Au-delà de la passion que cette visite a suscitée, les cadres de la région n'étaient-ils pas fondés à faire monter la pression vuqu'un de leurs fils, Laurent Gbagbo, a été transféré à la Haye à l'issue d'une guerre dont Guillaume Soro est l'un des acteurs ?


On a tendance, en Afrique, à voir là où quelqu'un tombe, au lieu de voir d'abord où il a glissé. Il faut quand même rappeler que le président de l'Assemblée nationale est avant tout un combattant de la liberté. Il a sacrifié sa jeunesse dans ce pays pour mettre fin à l'ignominie la plus profonde, à la plaie purulente de la politique ivoirienne qui s'appelle l'ivoirité. Voilà l'origine du combat de Guillaume Soro.

Que ce soit au cœur de la FESCI, où je l'ai connu combattant déjà de l'ethnicisme, ou au cœur de la nation, il a voulu une Côte d'Ivoire conforme à son idéologie originelle de terre d'espérance, de pays de l'hospitalité. Voilà l'origine du combat de Guillaume Soro. C'est une origine morale, éthique, idéologique et politique. Il a une vision humaniste de la politique, c'est un panafricaniste actif et concret. On ne peut en vouloir à Soro que pour une raison : c'est que Soro étant pour la vérité et la justice en Côte d'Ivoire, ceux qui sont contre la vérité et la justice sont contre lui.

C'est ce que j'appelle le syllogisme de l'amertume. Guillaume Soro incarne tout le contraire de ce que l'anti-démocratie, la xénophobie, la pensée identitaire ivoirienne incarnent. Il est l'anti-modèle de la haine de l'autre qui anime le bloc identitaire. Il incarne l'esprit d'inclusion, de partage, d'hospitalité. Ceux qui se sont opposés à sa visite à Gagnoa sont ceux qui, en réalité, veulent opposer certains Ivoiriens à d'autres. Guillaume Soro, quant à lui, est dans une logique de composition, alors que certains sont dans une logique d'opposition systématique.

Selon vous, ils n'avaient pas le droit de s'opposer à cette visite ?


Laissez-moi vous dire de prime abord pourquoi ils se sont opposés. C'est parce que Soro est allé délivrer les populations de Gagnoa qui étaient devenues le bétail captif de l'idéologie chauvine du FPI. Il est allé leur dire : ''vous n'allez pas sacrifier votre vie à un individu''. Un pays ne dépend pas d'un individu, fut-il Guillaume Soro, Alassane Ouattara ou Laurent Gbagbo. Un pays, c'est d'abord un bien commun.

C'est quelque chose qui permet à des générations nouvelles de naître, de vivre et de mourir dans la dignité. On ne peut donc pas sacrifier l'avenir de Gagnoa à un individu. Mieux encore, qu'est-ce que Guillaume Soro leur a rappelé ? Il leur a dit qu'il y a d'autres fils de Gagnoa qui ont subi des affres infiniment plus graves que Laurent Gbagbo. Il faut quand même poser la question de savoir qui a tué le Dr Benoît Dacoury Tabley ?

N'est ce-pas le même Laurent Gbagbo ? N'est-ce pas le corps de Benoît Dacoury Tabley qui a été criblé de balles et que des militants du FPI à Gagnoa ont jeté hors du cercueil sur la place Laurent Gbagbo de Gagnoa en disant : « il n'a eu que ce qu'il voulait » ? Alors que ce monsieur n'a eu que le tort d'être le frère de Louis André Dacoury Tabley, qui s'était prononcé comme étant le n°2 du MPCI, dirigé par Guillaume Soro.

Ne sont-ce pas ces mêmes extrémistes du FPI qui sont allés dans le village de Zakoua où résidait Monsieur Tagro, le beau-père de Guillaume Soro, dans la région de Daloa où il était d'ailleurs chef coutumier ; ne sont-ce pas ces mêmes extrémistes qui sont allés, armés d'une voiture, écraser ce vieillard sur la route parce qu'il avait refusé de s'associer à la déclaration des chefs de la région pour soutenir Laurent Gbagbo à la présidentielle 2010 ? Soro ne peut être détesté que par ceux qui détestent la vérité. Il aura dit enfin une troisième vérité extrêmement importante. Qui a tué le Général Gueï ?

Nous vous retournons la question ?


C'est bien Laurent Gbagbo qui a donné l'ordre au Capitaine Séka d'abattre le Général Gueï, lequel l'a abattu de sang-froid d'une balle dans la tête. Bien que cet homme, qui était quand même un homme d’État, se soit mis à genoux pour lui demander pardon, il l'a abattu. Pourtant, Guillaume Soro a aidé Laurent Gbagbo à aller négocier le pardon des Yacouba pour enterrer le Général Robert Gueï à Gouessesso, dans son village. Qui sont-ils, ces extrémistes du FPI ? Ces gens-là pédalent à contre-courant de l'histoire. (…)

Dans les villages de Gnaliepa, Kpogrobo, Gnangbodougnoa, par exemple, Soro a répondu de manière concrète aux doléances des populations. Guillaume Soro a dit aux populations : « j'ai demandé pardon, les présidents Ouattara et Bédié ont demandé pardon. Mais pourquoi le FPI, qui a assassiné Benoît Dacoury, Gueï Robert, refuse de demander pardon ? »

Le FPI vous rétorquera qu'il a été attaqué en 2002 par une rébellion dirigée par Soro, et que sans cela, il n'y aurait pas eu de crise avec des morts

Le FPI souffre de ce que j'appelle volontiers une monomanie mentale. C'est-à-dire que le FPI a comme logique de fonctionnement, la répétition sempiternelle du même. Ils disent tout le temps la même chose et ils font tout le temps exactement le contraire de cette même chose. C'est un parti duplicitaire.

Voici un parti qui a pris le pouvoir en Côte d'Ivoire en 2000 à l'issue d'une élection calamiteuse, grâce à la bienveillance de la France qui était alors dirigée par le parti socialiste français, ami du FPI dans le cadre de l'Internationale Socialiste. Au lieu de reconnaître qu'il devait la prise du pouvoir à la France qui a d'ailleurs sécurisé ce pouvoir en 2002 parce que la rébellion devait l'écraser, ils se sont présentés comme les champions de la lutte contre la France.

Un monsieur comme Lida Kouassi Moïse cachait ses enfants à la résidence de France avec sa femme alors qu'il allait à la RTI accuser la France de tous les crimes. Un monsieur comme Laurent Gbagbo demandait à la France de faire jouer les accords de défense afin de protéger son pouvoir contre une rébellion ivoirienne alors qu'il se présentait comme le Lumumba, le Nkrumah, le Sankara, le Um Nyobè de la politique ivoirienne. Ce parti a construit toute sa logique politique sur la duplicité, le double langage, le mensonge. Guillaume Soro, quant à lui, incarne, à mon avis, la cohérence entre le dire et le faire.

Sur quoi vous fondez-vous pour l'affirmer ?


Il a dit : « nous n'accepterons pas d'être exclus de notre pays » ; il a mis sa vie à prix et celle de ses camarades pour résister. Il a dit : « le vainqueur de l'élection présidentielle 2010, je vais le reconnaître ». Il a mis sa vie à prix et celle de ses camarades pour reconnaître le président Alassane Ouattara, qui avait été réellement élu, mathématiquement et évidemment à la tête de la Côte d'Ivoire.

En 2007, il s'est engagé dans le dialogue politique de Côte d'Ivoire alors qu'on le traitait, dans son propre camp, de traître. En témoigne l'histoire de l'attentat du 29 juin 2007. La cohérence, elle est où ? Bel et bien dans le camp de Soro. Ce sont les suiveurs de Laurent Gbagbo qui, en réalité, sont des hiboux. Ce sont des individus qui disent ce qu'ils ne font pas et qui font ce qu'ils ne disent pas.

Guillaume Soro incarne la cohérence, selon vous. Et pourtant, le Professeur Mamadou Koulibaly voit en lui un charlatan politique, quelqu'un qui a plutôt berné le peuple par son discours aux antipodes de ses actes ; quelqu'un qui a criminalisé l’État

La véritable criminalisation de l’État se trouve en réalité du côté de Mamadou Koulibaly. Voici un monsieur qui passe son temps à produire une littérature pseudo-scientifique sur le complot de la France contre la Côte d'Ivoire. Mais il a été pendant 10 ans président de l'Assemblée nationale de la Côte d'Ivoire et il n'a voté aucune loi anti-française. Voici un monsieur qui écrit des livres pour dire que le Franc CFA est une monnaie qui est esclavagiste, qui inféode la Côte d'Ivoire.

Mais il a été président de l'Assemblée nationale pendant 10 ans, et il n'a jamais dénoncé par une loi, les accords monétaires de la zone Franc auxquels a souscrit la Côte d'Ivoire. Voici un monsieur qui a fui dès le mois de décembre 2010 au Ghana, au lieu d'aller dire en face à Gbagbo qu'il avait perdu les élections. Il a attendu que Gbagbo soit battu militairement pour venir ensuite dire que finalement, Gbagbo a perdu les élections parce que le Panel de l'Union africaine a affirmé qu'il avait réellement perdu.

Mamadou Koulibaly, c'est à la fois la duplicité intellectuelle et la lâcheté morale. C'est un individu qui n'a aucune consistance morale. Vous voyez ce que représente son parti, LIDER. C'est un parti qui ne peut que se réunir dans une cabine téléphonique. C'est un parti qui n'a aucun avenir.

Son président ne voit pas les choses comme vous


Koulibaly a trahi le FPI, ensuite la République et enfin la Science. Voilà pourquoi j'ai parlé de Koulibaly comme le dialecticien pervers parce qu'il est constamment à côté de la plaque. Il n'est jamais là où il faut être.

Quand il fallait être à Abidjan pour dire en face à Laurent Gbagbo qu'il a perdu, il était réfugié au Ghana ; quand Gbagbo a été vaincu, il est revenu au Golf reconnaître le président Ouattara ; quand celui-ci lui a donné toutes les garanties pour jouer son rôle d'opposant républicain, Koulibaly a insulté le président Ouattara ; quand on lui a répondu sur le terrain de l'argumentation et qu'il s'est rendu compte qu'il ne pouvait gagner la bataille des idées, il est allé au Cameroun insulter son pays.

Ce monsieur a esthétisé, stylisé, je dirai même qu'il a donné à la culture de la lâcheté toutes ses lettres de noblesse. Voilà pourquoi nous le considérons comme le modèle de l'inconséquence politique. L'avenir de Koulibaly est dans son retour à l'université. Peut-être que là-bas, il pourra être utile, de façon mesurée, à la jeunesse ivoirienne.

Revenons sur cette visite de Guillaume Soro dans le Goh. D'aucuns l'ont interprétée comme une campagne électorale avant l'heure, puisqu'ils n'en voyaient pas la pertinence. N'ont-ils pas raison ?

Je ne sais pas de quoi les gens parlent. Guillaume Soro n'est candidat à aucune élection. L'élection législative aura sans doute lieu en 2016 ; Guillaume Soro n'est pas en campagne électorale et il n'est pas en campagne comme candidat à une élection législative du Goh.

Pour ce qui est de la campagne électorale de 2015, le président Ouattara n'a pas encore désigné de directeur de campagne. Et il serait mal venu de commencer une campagne dont le principal candidat n'a pas désigné la structure de la direction de campagne. Le temps viendra où le président Guillaume Soro, dans la loyauté qui le caractérise envers le président Ouattara, pèsera de tout son poids pour sa réélection en 2015. Soro est allé récupérer les enfants de la République ; il est allé délivrer l'électorat captif que le FPI veut constituer.

Ce que Soro a démontré, c'est qu'il n'y a pas de bastion captif d'un parti politique quelconque en Côte d'Ivoire. La preuve, plusieurs fois, alors que le FPI était au pouvoir, le RDR a remporté les élections municipales à Gagnoa. Donc, il ne va pas sur un terrain où son parti, le RDR, serait en position de faiblesse. Il va sur un terrain où son parti a souvent gagné. Le problème n'est donc pas là.

Guillaume Soro est soucieux de ne pas donner un visage biaisé de la démocratie, il est soucieux d'exercer la diplomatie parlementaire jusque dans les plus petites localités de la République. Il est allé dire aux populations du Goh que la Côte d'Ivoire gagne avec Gagnoa. Guillaume Soro est allé délivrer le peuple de Gagnoa du FPI et cela annonce des défaites électorales massives pour ce parti. Lors des prochaines élections, on verra que le FPI n'a plus de bastion en Côte d'Ivoire car après la région du Goh, Soro ira à Agboville parler à ses frères Akyé et Abbey. Il brûlera les réserves de haine semées par le FPI parmi ces populations.

La tournée de Soro a aussi été interprétée comme une volonté de sa part de récupérer politiquement la libération des pro-Gbagbo. Qu'en pensez-vous ?


On ne peut quand même pas condamner Guillaume Soro d'avoir une conscience précise et aiguë de ses intérêts. Ce qu'on doit dire ici, c’est que l'intérêt de Soro coïncide avec l'intérêt de la République.

Tant que l'intérêt d'un homme coïncide avec celui de la République, il n'y a que des malhonnêtes pour y voir un problème. Il a consacré sa jeunesse, jusqu'à ce jour, à la cause de la Côte d'Ivoire. Il n'est pas étonnant que les conditions d'une réélection réussie du président Ouattara soient réunies. La loyauté n'est pas un crime.

Deuxièmement, Guillaume Soro a toujours dit que la précipitation est du diable et que la patience est ce que Dieu enseigne. Pour le moment, il veut jouer pleinement son rôle de chef du Parlement ivoirien. La présidence de la République, il n'y pense pas en se rasant tous les matins.

Parlant de la libération des proches de l'ancien président, en tant qu'observateur de la vie politique, comment la percevez-vous ?


Cette libération provisoire est le signe d'une compréhension profonde de la réconciliation au sommet des trois pouvoirs de l’État. Parce qu'il ne faut pas oublier qu'une démocratie fonctionne sur la base de la séparation des pouvoirs.

En tant qu'intellectuel politique, j'ai tendance à penser que c'est d'abord un acte de la justice ivoirienne indépendante qui a voulu contribuer à la logique de la réconciliation déclenchée par le chef de l'exécutif qui se trouve être le président du Conseil suprême de la Magistrature. Mais c'est un acte qui est aussi en convergence avec la logique politique du chef du Parlement, qui lui-même connaît les gens du FPI par cœur et qui sait que de toutes les façons, il faut avec ce parti, éviter une erreur : devenir cynique comme lui. Il ne faut pas se laisser corrompre par le FPI.

Ce parti a une capacité de corruption beaucoup plus grave. Il est capable de faire en sorte que vous lui ressembliez, que vous soyez cynique, indifférent et froid. Le président de la République, Alassane Ouattara, le président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro et le président de la Cour suprême ont compris qu'il ne fallait pas se laisser corrompre moralement par le FPI, c'est-à-dire devenir cynique, froid et indifférent comme il en est capable.

C'est un message fort au FPI pour lui dire : « vous avez beau persister dans le refus de la repentance et du pardon, dans le cynisme et la dureté de coeur, nous ne serons jamais comme vous. Nous ne serons jamais inhumains. » J'espère que le message a été bien compris.

Vous interprétez ce geste comme un celui de l'apaisement, mais dans le camp adverse, l'on croit plutôt à une libération sous pression


Je vous ai dit que le FPI est caractérisé par la surdité au discours de l'Autre et à la répétition sempiternelle du même. Une fois que vous avez ces deux éléments, vous comprenez pourquoi il fonctionne ainsi. Il est sourd à tout ce que dit l'Autre, et il répète obsessionnellement ce que lui, a décidé d'affirmer. Il y a derrière tout ce que dit le FPI, une croyance fondamentale dont il faut se méfier. C'est la croyance que ce pays lui appartient, lui FPI, plus qu'à tous les autres.

Un chercheur a travaillé sur leur discours. Il s'appelle Jean-Pierre Dozon et dans un livre intitulé Les clés de la criseivoirienne, il montre qu'il y a deux mots que les gens n'utilisent pas innocemment dans le discours politique ivoirien. Ce sont d'une part, les mots Eburnie et d'autre part le mot Côte d'Ivoire. Derrière le mot Eburnie, il y a la désignation de la Côte d'Ivoire des vrais Ivoiriens. On voit derrière la notion de Côte d'Ivoire en général, une terre cosmopolite, celle qui est faite de l'immigration et du brassage des gens.

En réalité, la surdité du FPI vient du fait qu'il croit au mythe de l’Eburnée, que cette terre lui appartient de manière consubstantielle et que les autres ne sont que des allogènes. Guillaume Soro, aux côtés du président de la République, incarne une Côte d'Ivoire inclusive, une Côte d'Ivoire qui rayonnera aux confins du monde, une Côte d'Ivoire ouverte, qui n'a pas peur de l'intégration. Nous sommes dans une dynamique d'intégration des apatrides.

Vous nous permettez d'aborder la question de l'apatridie, un sujet qui fait couler beaucoup d'encre et de salive. Ici, l'inquiétude vient du fait qu'on ne maîtrise pas le nombre de personnes concernées et aussi du fait que, selon l'opposition, ceux-là pourraient être utilisés comme un bétail électoral par le pouvoir en place pendant les prochaines élections...

Tout le malheur de la Côte d'Ivoire vient du fait que le PDCI-RDA, le FPI n'aient pas compris qu'il ne faut pas faire de l'étranger, du métis, de l'homme quelconque que l'on rencontre face à soi, un ennemi a priori. Car après tout, si le RDR, le FPI et le PDCI tenaient le même langage sur l'apatridie, la nationalité et le foncier, est-ce le RDR seul qui récupérerait les bénéfices politiques de la naturalisation des apatrides ? Non. Ces trois grandes formations politiques se partageraient à égalité ces nouveaux citoyens.

C'est la faute des xénophobes, des ivoiritaires de tous les partis si le RDR incarne la majorité des exclus et des métis. Si le président Ouattara a une légitimité aussi large, c'est bien parce que ces ennemis, malheureusement, n'ont pas compris que la politique ne se fait jamais contre la condition humaine universelle.

D'aucuns estiment que sur les questions de l'apatridie et de la nationalité, il faut une consultation populaire ou un référendum


La véritable consultation populaire dans le système politique présidentialiste ivoirien, c'est l'élection présidentielle. Il y a aussi les législatives. Dès lors que le président Ouattara les a gagnées, il a la légitimité de mener les réformes pour lesquelles le peuple l'a magistralement autorisé. L'argument du référendum est une argutie de ceux qui croient toujours renverser les crêpes à la dernière minute quand elles prennent une couleur qui ne leur plaît pas. La vérité, c'est que la légitimité du pouvoir est suffisante. L’Etranger, le Pauvre la Veuve et l’Orphelin ne seront plus ostracisés en Côte d’Ivoire.

N'était-il pas opportun de mener un débat national sur ces questions pour éviter tout quiproquo ?


Tout le processus de paix qui a abouti à la signature des accords politiques de Ouagadougou en 2007 a tourné autour de ces questions fondamentales. Les grandes familles politiques de Côte d'Ivoire se sont rencontrées depuis Marcoussis jusqu'à Ouagadougou en 2007, autour de ces questions. Il ne faut pas qu'on nous mente. Toutes ces questions ont été largement débattues. Il y a même eu des accords.

Il ne s'agit ni plus ni moins que d'aligner le droit ivoirien sur les traités internationaux auxquels la Côte d'Ivoire a souscrits. La question de la nationalité est contenue dans les accords de Marcoussis. La question sur l'apatridie est contenue dans les traités de 1961 que la Côte d'Ivoire a librement signés. Il ne s'agit pas de recommencer à zéro comme si le monde n'existait pas avant, mais au contraire de rester dans une continuité logique.

Il y a eu débat sur ces questions dans la période qui est allée de 2002 à 2007, en Côte d'Ivoire. Tout le monde connaît la loi sur le foncier adoptée en 1998. On n'a pas besoin de redessiner la lune, ni de dire sa couleur. Il faut ici appliquer les accords. Le PDCI, à travers le président Henri Konan Bédié, le RDR à travers le président Ouattara, le MPCI, à travers Guillaume Soro, l'UDPCI, à travers Mabri Toikeusse. Même le FPI, à travers Pascal Affi N'guessan et plus tard Laurent Gbagbo, ont acté l'accord de Marcoussis. Il est aujourd'hui question d'entériner et de respecter sa parole.

Reconnaissons quand même qu'il n'y a pas eu une grande campagne de communication sur ces questions !


Quand il y a des duplicitaires, on donne toujours l'impression qu'il n'y a jamais eu et qu'il faut tout recommencer. Les députés qui ont souhaité avoir du temps pour réfléchir sur la question ont brandi un argument purement rhétorique, et leur attitude était une fuite en avant vers la constitution d’un bloc identitaire ivoirien alliant le PDCI-National et le FPI.

Les mêmes qui ont demandé à avoir du temps sont les mêmes qui, à l'intérieur du PDCI, organisent la pensée identitaire, ivoiritaire, se regroupant autour de messieurs KKB ou Djedjé Mady pour prétendre qu'il y a rattrapage ethnique en Côte d’Ivoire. C'est la même haine, la même rengaine, la même incapacité à penser l'avenir, et pourtant eux-mêmes sont des métis et mènent une existence cosmopolitique.

Nous qui observons ce débat considérons que ces lois sont l'accomplissement du processus de modernisation de la Côte d'Ivoire. Il faudrait que les trois principales formations politiques essaient de se mettre au-dessus de la mêlée.

Professeur, nous terminerons l'entretien par la question de la justice. En Côte d'Ivoire, elle est remise en cause par l'opposition qui pense qu'elle est du côté des vainqueurs. On parle même de la justice des vainqueurs. En tant que technicien de la langue, que peut recouvrir cette notion ?


Cette expression, nous l’appellerions volontiers en stylistique un oxymoron. C'est-à-dire l'association de deux contraires. Par exemple une glace chaude, ou un soleil ténébreux. C'est une expression par essence autodestructrice parce qu'elle se disqualifie elle-même. Si c'est juste, ce n'est pas la victoire qui le détermine. Si ce sont les vainqueurs qui s'imposent, ce n'est pas la justice. Soit la justice existe et il n'y a pas de vainqueur, soit des vainqueurs existent et il n'y a pas de justice.

Dans le cas d'espèce, qu'est-ce qui a triomphé en 2010 ? C'est la justice. La force a été mise au service du droit. Le président Alassane Ouattara a été élu par les Ivoiriens. Laurent Gbagbo a voulu s'opposer à la volonté des Ivoiriens, par la force. Il a été fait usage de la force pour rétablir le droit souverain des Ivoiriens de changer de président. Voilà la dialectique de départ. Ce n'est donc pas la justice des vainqueurs qui est administrée, mais au contraire, la légitimité démocratique qui est à l’œuvre. Évidemment, le FPI a tout à fait intérêt à prétendre que le pouvoir est en train d'administrer la justice des soi-disant vainqueurs.

De toutes les façons, dans l'histoire, on n'a jamais vu les vaincus faire la justice. Si vous êtes vaincus, cela veut dire que vous ne contrôlez plus les tribunaux, en gros, les institutions. Si vous êtes vaincus, il va de soi que vous risquez nécessairement d'être jugés. Il ne faut quand même pas mépriser l'intelligence des juges ivoiriens qui vivent dans la société et qui n'ont pas intérêt à donner des arrêts qui les mettront en situation d'insécurité, d'une part et contraire à leur propre conscience, d'autre part. Il existe quand même une tradition judiciaire ivoirienne. Ces juges-là ne sont pas tombés d'un arbre, ce ne sont pas des enfants. Ils savent que les décisions qu'ils prennent déterminent le processus de la réconciliation.

Mais il fallait mettre fin à l'impunité, et on le fait en situant les responsabilités dans la crise post-électorale. Tout le monde n'est pas à équidistance dans cette affaire. La logique horizontale du FPI veut que les victimes et les coupables aient le même tarif. Il faut une logique verticale, c'est-à-dire considérer que le FPI est à l'origine de la descente aux enfers de la Côte d'Ivoire ; c'est lui qui doit d'abord payer. Et ceux qui éventuellement se vengeraient contre le FPI ne paieront qu'après.

On n'a même pas fini d'obtenir du FPI sa repentance et on veut déjà punir ceux qui ont résisté au FPI ! Il s'agit-là de fuir la pluie pour aller se cacher dans la rivière. La véritable justice est celle de la légitimité politique et la légitimité est donnée par les élections et le respect des institutions. Pour moi, justice des vainqueurs, c'est trois mots pour ne rien dire.



Interview réalisée par

Y.DOUMBIA