Côte d’Ivoire: tensions électorales et choix des opérateurs économiques

  • 29/09/2020
  • Source : RFI
A la pandémie de Covid-19 qui affecte fortement l’économie mondiale et ivoirienne, s’ajoute le risque de troubles sociopolitiques liés à l’élection présidentielle du 31 octobre. De nombreux observateurs craignent de voir l’économie du pays se gripper, après de belles années de croissance et de développement. Après la crise électorale de 2010-2011, le PIB de la Côte d'Ivoire avait perdu 4 points. Fin septembre, l’agence de notation Bloomfield avait abaissé la note « risque-pays » de la Côte d’Ivoire en raison des tensions naissantes sur le terrain politique, tandis que les prévisions tablaient déjà sur un ralentissement de la croissance à 1,6% en 2020, au lieu des 7,8% espéré. En réalité, les acteurs économiques ivoiriens ont déjà commencé à adapter leurs choix et leurs décisions, par crainte d’une nouvelle crise électorale.

Une voiture décharnée est entreposée devant le petit magasin de Maninga Mory. Reste le capot, les deux sièges avant, le volant, mais, l’arrière du véhicule a été désossé et le moteur extirpé.  Maninga est vendeur de pièces détachées de voitures allemandes : jantes, boites de vitesses, pare-choc, moteurs, il récupère les pièces sur d’autres véhicules et passe également commande en Europe, lorsque les pièces recherchées pas ses clients sont introuvables.

Mais en cette période préélectorale, il a choisi de stopper toutes les commandes à l’étranger, de peur de ne pas pouvoir récupérer sa marchandise, comme en temps normal. « Parce que mes pièces détachées, je les achète en Europe. Mais s’il y a les problèmes, s’il y a la politique, si mon conteneur vient, comment je vais le dédouaner ? »

Moins de pièces à vendre, c’est un chiffres d’affaires en baisse. Le vendeur spécialisé regrette qu’à chaque élection, l’économie du pays pâtisse des problèmes politiques. « S’il y a les problèmes partout à gauche à droite, et que ceux qui doivent investir ne sont pas là. Moi je fais comment ? Ou bien ? S’il n’y a pas d’activité, que mon magasin est fermé et toi par exemple toi voiture est gâtée, comment tu vas avoir les pièces, tu peux pas les avoir »

D’après Séraphin Prao, professeur d’économie à l’université de Bouaké, contacté par téléphone, « le pays risque de perdre 4 à 5 % de croissance si la situation se détériore comme en 2010 »; il estime que la crise institutionnelle actuelle a déjà un effet sur les décisions des acteurs économiques.

Conscient de ce risque, le vendeur de pièces détachées lance un appel au calme dans les rayons de son magasin. « Le seul conseil que je peux donner à la jeunesse aujourd’hui, il est mieux de laisser les politiciens à leur place. S’il y a des élections, il est mieux de donner ta voix, tranquillement, que de donner ta poitrine sur la route. Parce que quand ça va se gâter, c’est nous-même que nous allons regarder ici. Eux, leurs enfants sont en Europe, ils ont tout. Nous qui sommes en Afrique, c’est nous qui souffrons. C’est nous qui allons nous entretuer : mon voisin, ma voisine. »

L’élection présidentielle doit se tenir le 31 octobre 2020. Maninga Mory veut encore croire à une solution politique et pacifique entre les différents protagonistes de la course à la magistrature suprême.