Avant d’être la célèbre voix de l’Afrique enchantée sur France Inter, Soro Solo était “Monsieur Grognon” à la radio nationale de Côte d’Ivoire. Il "faisait fort" sur les ondes, mais en 2002, menacé de mort, le journaliste dut demander l’asile politique en France.
Courrier international: Comment est né “Monsieur Grognon” ?
Soro Solo – Dès 1985, j’ai proposé au directeur de la radio nationale de Côte d’Ivoire un projet d’émission pour laisser les auditeurs s’exprimer sur ce qui ne va pas, sur leurs frustrations face à l’administration publique, sur leurs problèmes du quotidien… Mon patron m’a dit : “Non, c’est trop subversif. Tu sais bien que c’est la rue qui doit s’inspirer de la radio et non l’inverse !” On m’a confié l’animation d’un jeu à l’antenne, et tout a commencé lorsque j’ai demandé à un auditeur de me raconter une tracasserie. Je lui ai laissé l’antenne. Le lendemain, l’émission était devenue un espace de plainte : problèmes sur les horaires des guichets de la poste, incompétence des fonctionnaires, des ministères...Monsieur Grognon était un justicier du quotidien ! J’ai obtenu une chronique dans la matinale, qui eut un immense succès.
Comment la censure s’est-elle mise en place ?
D’abord, c’étaient de petits avertissements, des oublis de salaire… Puis, en 1999, quand les auditeurs ont parlé de la mauvaise gouvernance du président Konan Bédié, j’ai été mis au placard. Ce n’est qu’avec le coup d’Etat que j’ai pu réintégrer la radio. Les militaires qui avaient pris le pouvoir m’ont accueilli dans les studios en scandant mon nom : “Monsieur Grognon ! Monsieur Grognon !” Ensuite, avec l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir, en 2000, j’ai commencé vraiment à déranger. Non seulement j’étais Monsieur Grognon, mais en plus j’étais “nordiste”, un ennemi naturel du régime Gbagbo. J’ai reçu des coups de fil anonymes, des menaces,… Le 18 octobre 2002, à 14 h 30, deux de mes cousins ont été assassinés par les escadrons de la mort. Ils portaient exactement le même nom que moi, ça a été le signal. J’ai demandé l’asile politique en France et, comme je suis réfugié politique, la loi m’interdit de rentrer dans mon pays. Ca fait onze ans que je n’ai pas mis le pied en Côte d’Ivoire.
Quel regard portez-vous sur la censure aujourd’hui, sur votre continent ?
On pense toujours qu’il n’y a pas d’espace de liberté d’expression en Afrique. Mais c’est faux. Quand je regarde des journalistes qui s’expriment malgré toutes les pressions, ou des artistes comme Tiken Jah Fakoly [chanteur ivoirien], qui n’ont jamais arrêté de dénoncer les inégalités, ça me redonne de l’espoir. En Occident, la censure est plus subtile, plus hypocrite. Mais en France aussi le poids de la censure économique est important. Ce n’est pas pour dédouaner nos censeurs, mais il ne faut pas nous faire croire que chez vous tout est propre et nickel. On défend tous le même idéal, il faut naviguer dans des récifs dangereux pour accéder à la liberté.
Côte d'ivoire: Soro Solo, un "Monsieur Grognon" censuré - Photo à titre d'illustration