Charnier de Yopougon: jusqu’où ira la presse bleue?.

  • 06/11/2013
  • Source : Le Pays
L’on pourrait voir une similitude entre le négationnisme, doctrine qui nie la réalité du génocide des juifs par les Nazis et l’attitude de « Notre Voie », quotidien pro-Gbagbo, qui considère le charnier de Yopougon comme un montage.

 Sous d’autres cieux, cet écrit de « Notre Voie », tomberait sous le coup de la loi et les responsables du journal répondraient devant les tribunaux. Mais en Côte d’Ivoire, la presse bleue semble être frappée d’amnésie au point de feindre d’oublier les grands épisodes tragiques qui ont marqué la vie politique de ce pays.

En effet, l’on peut se poser la question de savoir quelle mouche a pu piquer ce journal pour qu’il traite d’un sujet aussi sensible avec cette légèreté, cette désinvolture. L’on se souvient qu’en 2010, dans la foulée de la chienlit consécutive à l’élection controversée et calamiteuse de Laurent Gbagbo à la tête du pays, 57 corps avaient été découverts dans une fosse commune dans la plus grande commune d’Abidjan, Youpougon.
Il est moralement indécent pour un journal, de chercher à nier ces dragonnades du feuilleton politico-militaire de la Côte d’Ivoire
 
Des enquêtes indépendantes et crédibles avaient révélé que les victimes étaient notamment des Ivoiriens du Nord, proches du RDR d’Alassane Ouattara. Cet acte odieux et barbare, qui répond à la définition d’un génocide, est resté impuni jusqu’à ce jour. En réalité, un simulacre de procès s’était déjà tenu en 2001 sur cette affaire dans un climat hostile aux plaignants et avait abouti à la relaxe pure et simple des huit gendarmes poursuivis, faute de présence des parties civiles victimes d’intimidations orchestrées par l’appareil sécuritaire du régime.

Il ne pouvait pas en être autrement au regard du contexte de l’époque, marqué essentiellement par un climat de terreur entretenu par des milices qui agissaient en toute impunité sur instructions d’officiers des escadrons de la mort et parrainées par l’ex-première dame, Simone Gbagbo. Qui ne se souvient pas encore de ces fameux escadrons de la mort, dont les hauts faits rappellent ceux de la Gestapo du régime Nazi ? Il est pédagogiquement utile d’oser cette comparaison pour que la Côte d’Ivoire ne vive plus jamais cette déchirure.

Il est par conséquent moralement indécent pour un journal, de chercher à nier ces épisodes sanglants, ces dragonnades du feuilleton politico-militaire de la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi l’on comprend aisément la colère et l’indignation d’Issaka Diaby, représentant les familles des victimes du charnier de Yopougon, qui cherche depuis 13 ans à connaître les commanditaires et les auteurs de ce crime contre l’humanité. Issaka Diaby est donc dans son droit de demander que les auteurs de l’article négationniste soient entendus et que les victimes ne soient pas oubliées par la justice de Côte d’Ivoire.
 
Si en Côte d’Ivoire les graves blessures liées à la longue crise que ce pays a connue, ont du mal à se cicatriser, la presse y est certainement pour quelque chose
 
Cette sortie malheureuse de « Notre Voie », pourrait être rattachée à un contexte marqué par la volonté de la Justice ivoirienne de juger Simone Gbagbo, dont la responsabilité présumée dans l’affaire du charnier de Youpougon est avancée par certains Ivoiriens.
Au-delà de cette annonce immonde de « Notre Voie » se pose la problématique de la responsabilité sociale de la presse en Côte d’Ivoire. Décidément, certains journaux de cette presse sont incorrigibles.

Tout se passe comme s’ils n’avaient pas été instruits par le rôle macabre que la radio « Des milles collines » a joué dans l’un des plus grands génocides de notre l’époque, le génocide Rwandais. C’est pourquoi le gouvernement, tout en cherchant à protéger la liberté de la presse qui est sacrée dans une démocratie, doit véritablement poser des balises pour que certaines parutions de la presse ivoirienne ne sapent pas les actes posés dans le sens de la réconciliation nationale. L’on garde encore en mémoire, et cela aucun journaliste digne de ce nom ne doit l’accepter, le commentaire que certains journalistes avaient fait sur le massacre des femmes d’Abobo, dans lequel ils avaient poussé l’ignominie à son extrême en prenant le sang de ces martyres de la démocratie pour du sang de mouton.
Ces genres de journalistes, qui n’hésitent pas à tremper leur plume dans du vitriol pour distiller la haine, doivent faire honte à l’ensemble de la corporation, tant il est vrai que la honte du vautour doit être ressentie comme la honte de la gent ailée. Il est impératif que tous ceux qui aiment ce métier dont la noblesse est indiscutable, aident à l’assainir pour ne pas permettre à n’importe qui de l’avilir. Si en Côte d’Ivoire les graves blessures liées à la longue crise que ce pays a connue, ont du mal à se cicatriser, la presse y est certainement pour quelque chose et la question que l’on doit se poser maintenant pour sonner le tocsin est de savoir jusqu’où ira la presse bleue en Côte d’Ivoire.
 
*presse bleue : ensemble des journaux pro-Gbagbo