« Grièvement blessé à la tête », selon le communiqué concis de la Fédération internationale automobile (FIA), après avoir percuté une dépanneuse, le pilote de l’écurie anglo-russe Marussia, âgé de 25 ans, a été transféré en ambulance et opéré d’urgence à l’hôpital de Yokkaichi, à une quinzaine de kilomètres du circuit de Suzuka. Son état de santé est « critique, mais stable ».
Depuis l'accident, quelques voix se sont élevées pour mettre en cause la sécurité de la course alors que le milieu semblait devoir ne plus connaître d’accident d’une telle gravité.
Le rôle de la pluie
Le Grand Prix du Japon était menacé par l’arrivée du typhon Phanfone, dont le passage dans l’Archipel a provoqué, lundi, la mort de quatre personnes. La course a été d’ailleurs été interrompue après deux tours, la piste étant trop glissante, avant de reprendre vingt minutes plus tard avec huit nouveaux tours derrière la voiture de sécurité pour les 22 monoplaces.
Le pilote brésilien de Williams, Felipe Massa, qui s’est rendu au chevet de Jules Bianchi, a sitôt souligné la dangerosité de l'épreuve :
« Je n'avais pas une très bonne visibilité durant toute la course. Pour moi, on a commencé le Grand Prix trop tôt et on y a mis fin trop tard. A cinq tours du drapeau à damier, je criais à la radio, avant que la voiture de sécurité ne sorte, qu'il y avait trop d'eau. C'était dangereux. »
Pour Adrian Sutil, qui venait de percuter la glissière au virage no 7 à l'endroit même où Jules Bianchi s'est accidenté, le départ de la course aurait dû être avancé, parce qu’il « était évident que [la piste] allait être davantage mouillée ». Cette hypothèse avait été envisagée par les organisateurs, puis abandonnée.
Le pilote de Sauber a également insisté sur la dangerosité du virage no 7 : « Tout le monde sait que cette zone est une des plus délicates du circuit, en particulier quand la pluie augmente. Si vous avez un accident ici, vous devriez probablement penser à la voiture de sécurité. » Au lieu de quoi, la direction de la course, afin de dégager son véhicule, a opté pour le drapeau jaune, que Jules Bianchi, à l’évidence, n’a pas vu.
Polémique autour de la dépanneuse
En termes virulents, Alain Prost a refusé, sur Canal+, d’invoquer « la fatalité ». Le quadruple champion du monde a plutôt dénoncé « une erreur fondamentale » :
« Depuis des années on a tout fait pour que la F1 soit sûre, et elle l’est au niveau des voitures et des tracés. Là, ça paraît incroyable. C’est peut-être le seul point qu’il resterait à régler. Je pense que cela pouvait vraiment s’anticiper. Il était évident que la piste devenait dangereuse. Il faut absolument identifier l’erreur pour que ça ne recommence jamais. »
« Cela fait vingt ans que l’on n’a pas vu un accident aussi grave en formule 1. Cette génération n’a pas été habituée à ce type d’accident. Pour moi, ce n’est pas de la fatalité, car cela provient d’un élément extérieur. Cela me choque beaucoup, car j’ai l’impression de revoir les années 1980, où il y avait ce type d’accident toutes les deux ou trois courses. Cela me rappelle de très mauvais souvenirs. »
Sur LCI, l'ancien pilote Jacques Laffite a dénoncé « l'inconscience des organisateurs » :
« Il y a suffisamment d’argent en formule 1 pour faire comme à Monaco, mettre des grues et sortir les voitures. Au pire, si on ne peut pas le faire, on fait rentrer une grue, on met le drapeau rouge ou on demande aux pilotes de rouler à deux à l’heure avec un drapeau spécial, noir, jaune, je ne sais pas, comme ils veulent. »
« Sur certains circuits, comme à Monaco, on utilise des grues de levage avec un bras très avancé et qui vont chercher les monoplaces », a insisté pour sa part l’ancien pilote Patrick Tambay sur RMC :
« C’est possible à Monaco parce que c’est très resserré. Là, ce serait plus difficile. Mais on peut mettre un câble ou un treuil. Cet accident va probablement permettre d’ouvrir une table ronde concernant les choses qui sont encore à faire. »
Deux autres légendes de la F1 tiennent toutefois un autre discours. A commencer par l’Autrichien Niki Lauda, brûlé et défiguré en 1976, lors du Grand Prix d’Allemagne au Nürburgring. Aujourd’hui président non exécutif de l’écurie Mercedes, le triple champion du monde juge qu’« on ne peut pas dire que quoi que ce soit a été mal fait », sinon que le départ aurait pu être donné « plus tôt », deux heures avant.
Le triple champion du monde Jackie Stewart, qui avait été en première ligne dans les années 1960 pour améliorer la sécurité des pilotes, estime également que « la direction de course n'est pas en cause ». « Il ne sert à rien de spéculer sur ce qui aurait pu être fait, on ne peut anticiper un tel enchaînement d'événements inattendus », a observé l’Ecossais.
Les précédents
Aucun accident grave ne s’était produit en course en F1 depuis celui de Felipe Massa, lors des qualifications du Grand Prix de Hongrie en juillet 2009. Le Brésilien, qui courait alors pour Ferrari, avait reçu à la figure une pièce de suspension perdue par son compatriote Rubens Barrichello, qui le précédait. Son casque fut détruit, et le coureur dut être hospitalisé pour commotion cérébrale et lésion à l’œil gauche. Sa saison fut terminée.
La F1 n’a plus déploré de mort en course depuis deux décennies, soit depuis la mort du Brésilien Ayrton Senna, le 1er mai 1994, lors du Grand Prix d’Imola, en Italie, à la suite de la rupture de la colonne de direction de sa Williams, selon la version officielle. La veille, lors des essais qualificatifs, le pilote autrichien Roland Ratzenberger s’était tué au volant de sa Simtek.
L’écurie Marussia a été endeuillée en octobre 2013 par la disparition, à 33 ans, de sa pilote d’essai espagnole Maria de Villota. Plus d'un an auparavant, en juillet 2012, elle avait subi un terrible accident sur l’aérodrome anglais de Duxford lors d’un test aérodynamique. Sa monoplace ne s’était pas arrêtée et avait percuté un camion de l’écurie. La pilote avait perdu l'usage d'un œil.
Après le crash de Jules Bianchi, la F1 s'interroge sur sa sécurité - Photo à titre d'illustration