DJÉNI KOBINA EST donc mort le 19 octobre 1998. 4 ans avant, soit en 1995, il avait été privé d’une candidature à l’élection législative à Adjamé. Il avait été considéré comme non éligible, comme non-ivoirien authentique ni d’origine. Pour le pouvoir de l’époque, Djéni Kobena était un faussaire qui n’avait pas à se mêler des affaires des Ivoiriens. Cette affaire avait fait débat et avait en son temps, agité la classe politique. La possession d’état d’Ivoirien de Djéni Kobina, grand et loyal serviteur de l’Etat de Côte d’Ivoire avait été ignorée par ses adversaires et détracteurs politiques, qui incarnaient alors l’Etat. Cet homme de valeur et au verbe haut, autrefois solitaire perdu dans le désert, selon la charmante et mémorable expression de Laurent Dona Fologo, était né en Côte d’Ivoire le 8 Août 1937, 23 ans avant l’accession au pays à la souverainété nationale et internationale. Ses parents étaient également nés en Côte d’Ivoire, selon l’extrait de la notice biographique dans Wikipedia. Mieux, Djéni portait bien un nom ivoirien, un patronyme et un prénom assez bien usités dans notre pays : Kobina Kouamé Georges. Tout au plus, le petit prenom Djéni pouvait intriguer. Cet homme parlait bien l’Akan, l’Agni et le Baoulé, l’Appolonien, des dialectes des autochtones de Côte d’Ivoire. Il a servi la Côte d’Ivoire, formé des enfants ivoiriens, milité dans le Pdci. Il a été syndicaliste.
Il était pourtant ivoirien mais a été rendu apatride…
Mais du jour au lendemain, tout s’est écroulé parcequ’il a quitté le Pdci pour créer le Rdr, parce qu’il aurait trahi ses frères du Pdci qui le reconnaissaient comme ivoirien, donc un des leurs tant qu’il restait avec eux au Pdci. Dès qu’il a parlé, l’Ivoirien secrétaire national du Pdci est devenu subitement un non Ivoirien, l’ex-candidat du Pdci à Cocody, l’ex-porte-parole des rénovateurs, que le père fondateur n’a jamais osé renier et traiter comme un non national, a été spolié de sa nationalité ivoirienne et humilié. On a dit qu’il n’est pas éligible et sa candidature avait été rejetée à Adjamé. Des intellectuels, des dirigeants et autorités de ce pays ont soutenu cela. Djéni Kobina devint alors un apatride à sa façon. Un apatride, c’est celui qui n’est rattaché à aucun pays. Les dirigeants disaient qu’il n’était pas Ivoirien, alors qu’il ne possédait ni les papiers, ni la nationalité d’aucun autre pays. Personne ne pouvait lui opposer ni lui octroyer des papiers d’identité autres que ceux de la Côte d’Ivoire. Comment à son âge, après avoir servi la Côte d’Ivoire et n’avoir connu que ce seul pays qu’il aimait autant et même plus que ceux qui lui en déniait le droit, comment dans ce pays sien ou ses parents étaient également nés, pouvait-on lui dire d’aller se faire voir ailleurs, d’aller au Ghana ? Comment pouvait-on lui denier la nationalité ivoirienne ? Ses papiers ne lui ont certes pas été récupérés, mais à partir du doute émis en 1995 et du rejet de sa candidature, la suspicion planait sur lui. Cet homme avait été frappé d’apatridie, car il ne pouvait pas lui venir à l’esprit de se faire naturaliser. Quel sacrilège : lui, Ivoirien de naissance et certainement d’origine, se faire naturaliser ivoirien ? Ça jamais !
Le cas Adama Dahico
Mais Djéni Kobina n’était pas seul. Retenons simplement le cas d’Adama Dahico, naturalisé à grand tapage publicitaire, alors qu’en réalité de par sa naissance en Côte d’Ivoire en 1970, il est Ivoirien de naissance par déclaration, au cas même où ses parents sont d’origine étrangère. Quand la loi change en 1972, Adama Dahico est déjà né et a deux ans. L’introduction du droit de sang ne peut effacer (n’annule pas) le bénéfice du droit de sol pour ceux qui sont nés avant le changement de la loi. C’est une donnée toute simple. En général, l’inscription de la nationalité ne se fait pas pour les bébés ou les mineurs, sinon à la naissance de Adama Dahico en 1970, on aurait pu établir, comme cela se fait dans d’autres pays, un certificat de nationalité ivoirienne pour lui, même si on faisait mention de la nationalité étrangère de ses ascendants, résidant eux-mêmes en Côte d’Ivoire depuis longtemps, mais qui, sans doute par méconnaissance et à cause des entraves au niveau de l’administration (et non par refus volontaire comme l’on tente de le faire croire), n’ont pas pu faire usage de l’option offerte pour obtenir la nationalité ivoirienne. Il se trouve justement que sans avoir pu obtenir régulièrement la nationalité ivoirienne, les personnes concernées n’ont plus souvent eu de lien avec leur pays dit d’origine. Beaucoup n’ont pas la possibilité d’aller au Mali, au Sénégal, au Burkina pour prouver qu’ils sont natifs et originaires de ces pays, en vue d’établir des documents d’identité. Ils ne sont pas Ivoiriens, mais ils ne sont pas Maliens, Sénégalais, Guinéens, etc. Ils sont sans-papiers et apatrides, quand ils ne sont pas obligés de faire du faux. Voilà la réalité.
Les leçons de la loi Gnénéma
Le vote des lois sur l’apatridie et sur l’acquisition de la nationalité par déclaration, (lois déjà appelées lois Gnénéma, parce que c’est le Garde des Sceaux qui les a portées) vient mettre fin au drame silencieux de ces milliers de Djéni Kobina, et d’Adama Dahico, qui pullulent dans notre pays, mais dont les derniers tenants de l’ivoirité refusent d’entendre les douleurs, sous prétexte qu’ils seraient un bétail électoral. De toutes les façons, la question du bétail électoral n’est pas une question nouvelle dans le pays. Par ailleurs cette propension à ne pas admettre la nationalité ivoirienne pour des personnes qui en réalité sont des Ivoiriens, explique en partie d’une part le gros chiffre et pourcentage attribué à la population dite étrangère, alors que ce sont souvent des nationaux qui à tort sont considérés comme des étranger. D’autre part cela explique le caractère squelettique de la liste électorale (ici c’est à peine 6 millions d’électeurs quand le Mali brandit 6 829 696 électeurs et le Ghana plus de 10 millions). Au lendemain de l’accord de Ouaga et sur la base d’estimation crédible, Meleu Mathieu, ex-Dg de l’INS avait indiqué, sans être contredit par les autorités de l’époque, que la liste électorale pour la présidentielle de 2010 devait comporter entre 8 et 9 millions d’électeurs. Au finish, on s’est retrouvé avec à peine 6 millions et une liste grise qui sera désormais certifiée et intégrée sur la liste blanche, dans les semaines à venir.
Bétail électoral, Oui mais…
Au sujet du supposé bétail électoral, des observateurs assurent qu’autant il est difficile d’obtenir un taux de participation de cent pour cent à une élection d’une part, autant d’autre part il n’est pas évident que ceux qui seraient nouvellement inscrits voteront forcement pour Alassane Ouattara, s’ils décident de voter au lieu de s’occuper de leur commerce, de leurs plantations, ou autres activités. Comme exemple, le cas des Libanais naturalisés ivoirien est choisi. ‘’ La plupart avaient soutenu Gbagbo malgré sa politique considérée comme xénophobe. Donc, il est possible d’être Ivoirien d’origine étrangère, d’être Ivoirien naturalisé, ou Ivoirien par déclaration sans d’abord participer à des votes, ou quand c’est le cas sans voter forcément pour Alassane Ouattara. Si le FPI au lieu de dénoncer et de faire peur, aide les Ivoiriens concernés à se faire enrôler, et leur tient le bon discours et langage, ces Ivoiriens là pourraient bien militer dans le parti de Gbagbo. Au lieu de dire qu’ils sont forcement Rdr et de ne pas leur laisser de choix, au lieu de les rejeter tout de go, le FPI pourrait tenter de les séduire’’, explique un diplomate en poste à Abidjan, qui estime que les lois Gnenema sont une des grandes réalisations du président Ouattara.
Communiquer, sensibiliser et expliquer
Il a ajouté que si le service après vente est bien assuré au niveau de la sensibilisation sur le terrain et de la communication, ces lois constitueront une avancée majeure pour la réconciliation. 15 ans après sa mort, voici donc Djéni Kobina (qui avait été pratiquement rendu apatride et sans papier par les coups bas, et les aspérités de la politique ivoirienne) , réhabilité et rétabli dans ses droits. Plus jamais ça, avait promis Ouattara lors des funérailles de Djéni Kobina. Si donc parmi toutes les promesses faites par le chef de l’Etat avant et pendant la campagne électorale , il y a une qui a été tenue dans les délais, c’est bien cette reforme majeure qui réconcilie la Côte d’Ivoire avec son histoire, son passé et sa vocation de terre d’espérance et de pays d’hospitalité voulues par les pères fondateurs. Désormais, il ne plus sera possible de spolier et de denier à un fils de la Côte d’Ivoire, à des personnes déjà prises en charge par l’Etat qui a investi dans leur formation et leur bien être, le droit d’être Ivoirien et de servir la Côte d’Ivoire. En fait c’est de cela aussi qu’il s’agit : au lieu de voir la nationalité comme un droit, il faut aussi la percevoir comme une obligation, comme une contrainte. Les obligations et les contraintes doivent être précisées (comme par exemple savoir chanter l’hymne national, connaitre la devise du pays et l’histoire du pays, parler au moins une langue locale, avoir fait le service militaire etc).
Etre ivoirien: plus un devoir qu’un droit
Devenir Ivoirien, naitre Ivoirien ou être Ivoirien, ce n’est pas seulement profiter du pays, mais c’est aussi et surtout servir le pays. ‘’Ai-je fait, bien fait pour mon pays, ce que je dois? ‘’, aimait à dire Houphouët pour paraphraser le président Kennedy. Si chacun fait sienne cette interrogation, on verra alors que les obligations de la citoyenneté (par exemple payer l’impôt, servir dans l’armée etc.) sont plus importantes que les droits et avantages, même pour les nationaux d’origine, de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origines.
La loi, la loi, rien que la loi
En attendant, il faut saluer le volontarisme des autorités au sujet de cette loi, qui vient mettre fin aux petits accommodements qui avaient été faits et acceptés après l’accord de Ouaga, qui n’a pas pu permettre de trouver la meilleure lecture pour cette situation. C’est chose faite désormais. Le temps où on décrétait des gens apatrides, des gens à la nationalité douteuse, le temps où on traquait de présumés fraudeurs est terminé. Cap à présent sur l’appropriation et l’explication de cette loi majeure. Le tout n’est pas de voter une loi, mais il faut sensibiliser et rendre son application consensuelle, en dehors de toute polémique et politique politicienne. Si cette conception de la nationalité avait été admise depuis longtemps, au-delà de Djeni Kobina, jamais en Côte d’Ivoire, il n’y aurait eu de débat sur la nationalité, encore moins l’éligibilité du citoyen Alassane Ouattara. Moralité : le salut c’est dans l’Etat de droit et la démocratie, car voici que ce sont les députés et le parlement qui votent la loi et mettent fin à un cycle de violence ouvert depuis la mort d’Houphouët dans notre pays. Se battre pour les conquêtes démocratiques et le suffrage des électeurs par les urnes, et non par les armes, voici la leçon à tirer des lois Gnénéma adoptés à une large majorité de 207 voix par les députés ivoiriens, contre une trentaine qui se sont abstenus ou ont voté contre.
Charles Kouassi
Encadré 1
Des dossiers de nationalité douteuse jamais tranchés dans le fond par justice ivoirienne
Dans cette affaire Djéni Kobina et même dans l’affaire de nationalité du Président Alassane Ouattara, un fait reste très intriguant : la justice ivoirienne n’est jamais allée au bout des poursuites et des procédures, comme si les politiques qui instrumentalisaient au fond, la question de la nationalité, savaient que du point de vue juridique et judiciaire, la rhétorique politicienne et ivoiritaire ne pouvait pas prospérer. C’est ainsi qu’à ce jour, il n’existe dans les archives, ni même pour la jurisprudence, aucune décision de justice rendue par un juge ès qualité (et non un juge des élections) disant que M Djéni Kobina ou Alassane Ouattara n’est pas Ivoirien. La justice a été si souvent décriée qu’il convient de souligner ce fait, même si certains peuvent dire que cela est moins lié à la sagesse de nos magistrats, qu’au souci des politiques de ne pas trop en faire, de ne pas aller trop loin. C’est ainsi qu’après avoir traqué Alassane Ouattara, traité de non-Ivoirien, rien n’a été entrepris pour le contraindre à quitter la tête du Rdr, parti politique ivoirien que seul un Ivoirien peut diriger. Idem pour Djéni Kobina, déclaré non ivoirien et inéligible, mais laissé en liberté avec ses supposés faux papiers. Comment fini un Etat qui désigne et identifie des faussaires, mais ne fait rien contre les fautifs supposés ? Oui il faut saluer la justice ivoirienne sur ce coup, mais surtout saluer les lois Gnénéma, et encore une fois insister sur la sensibilisation et la communication auprès des populations, de la société civile et même des partis politiques sans exclusion.
Encadré2
Djéni Kobina digest
Georges Djéni Kobina Kouamé était un homme politique ivoirien né le 8 août 1937 à Gagnoa, dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire où résidaient, pour des raisons professionnelles, ses parents, Djéni Pahan, son père né en 1905 à Grand-Bassam -Azuretti et Yao Eba, sa mère née en 1917 à Grand-Bassam, tous deux d’ethnie N’zima communément appelée appolonien. Après des études à Soubré, Daloa, Abidjan, Nancy-Lorraine et Poitiers, il exerce les fonctions d’instituteur, de professeur certifié, de proviseur de lycée et de directeur régional de l’Enseignement. À la suite de la création du Syndicat des enseignants du secondaire de Côte d’Ivoire (Synesci), dont il a été d’ailleurs le 1er Secrétaire Général, de juillet 1970 au 31 mars 1971, il fut emprisonné sous le régime d’Houphouët. Il fut sous-officier de réserve de l’armée ivoirienne, Directeur de Cabinet de plusieurs ministères ivoiriens. Il fut ensuite Secrétaire National du PDCI chargé des relations avec les partis politiques. En avril 1994, la parole lui a été refusée au congrès extraordinaire du PDCI-RDA. Il décide donc de rompre avec le PDCI-RDA et fonde le RDR, un parti libéral se situant au Centre-Gauche de l’échiquier politique national ivoirien. Élu comme secrétaire général du RDR en juillet 1995, il meurt le 19 octobre 1998 en laissant le RDR, aujourd’hui dirigé par Alassane Ouattara.
Apatridie, Nationalité ivoirienne / Quinze ans après Comment les députés ivoiriens ont rendu justice à des milliers de Djén Kobina frappés d’apatridie et d’extranéïté dans leur propre pays - Photo à titre d'illustration