Un candidat ivoirien à l'immigration clandestine raconte son calvaire : "Je ne peux pas conseiller cette aventure à mon pire ennemi"

  • 27/08/2015
  • Source : L'Inter
Gouléhi Stéphane Fabrice fait partie des milliers de candidats à l’immigration clandestine. L’Ivoirien de 30 ans a été expulsé de l’île de Malte en 2011, au terme de plusieurs semaines de péripétie. Sa seule mais précieuse satisfaction : être resté en vie. Sa compatriote, Mariame Ouattara, n’a pas eu cette fortune.

En quelle année, votre histoire a-t-elle commencé ?

Mon histoire a commencé autour de janvier-février 2009.

 Comment l’idée vous est venue de partir à l’étranger?

La principale chose qui m’a amené à vouloir partir, c’était la misère. Après les crises, il n’y avait plus de soutien. J’étais isolé. Un ami sénégalais m’a proposé ce voyage. Il est guide. Plusieurs fois, cet ami a fait voyager des gens. Il m’a fait voir des photos et m’a expliqué le circuit. Il a dit que, me connaissant, il était sûr que si j’arrivais de l’autre côté, je saurais me battre. Il m’a convaincu. Je me suis dit : ''pourquoi ne pas aller tenter la chance'', surtout que je ne savais plus où donner de la tête. C’est ainsi que l’idée m’est venue. 

Expliquez-nous le circuit ?

L’ami qui est guide m’a expliqué que d’Arlit (Niger) jusqu’à la Tunisie, il fallait 500.000 frs Cfa. Je lui ai dit que je n’avais pas cette somme. Il m’a demandé de m’arranger à avoir quelque chose et, lui, m’aiderait. J’avais 275.000 frs. Avec cette somme, j’ai quitté la Côte d’Ivoire.

Quelle était la destination finale?

Il y avait deux possibilités. Arriver en Espagne ou en Italie. 

Pourquoi ces deux pays?

Ces deux pays parce que ceux qui sont venus nous proposer le voyage nous ont dit que le terrain était bon et que, une fois arrivé dans l’un de ces pays, un boulot nous attendait.  Ils nous ont confié qu’ils travaillaient beaucoup avec les gens de la Croix-rouge. Et les voitures de ces personnes ne sont pas surveillées. A la frontière, vous êtes transporté. Quand vous arrivez et qu’on constate que vous vous portez bien, on vous trouve du travail. J’ai trouvé cela intéressant.

Vos contacts vous garantissaient un travail ?

Oui. Mon ami, dont je vous ai parlé, m’a affirmé qu’à plusieurs reprises, il a trouvé du travail pour des clandestins. Je me suis dit : ''s’il a fait pour les autres, c’est qu’il pourra le faire pour moi''.

Votre ami fait-il la navette entre l’Afrique et l’Europe ?

Il faisait la navette. Mais aujourd’hui, il a arrêté. Il s’est installé au Portugal.

Combien de candidats au voyage étiez-vous en quittant Abidjan ?

On était nombreux. Nous ne nous connaissions pas. C’est à Noé, à la frontière ghanéenne, que j’ai réalisé que nous étions nombreux. A Cotonou, ce sentiment s’est renforcé. Une personne nous a tous réunis et nous a donné des consignes pour le voyage.

Nous étions au nombre de 17. On a passé une nuit à Cotonou. Initialement, le trajet, c’était qu’on passe par Zinder, mais les organisateurs ont dit qu’on passerait plutôt par Arlit.

Le voyage devait se faire à travers des pistes. Ils nous ont dit que Arlit était plus sécurisé. Donc, après une nuit à Cotonou, on est allé à Niamey. De Niamey, nous sommes partis en direction du désert. On est passé par des pistes avant de nous retrouver à la frontière algérienne.

Dans quel type de véhicule voyagiez-vous ?

On ne nous dit pas la vérité sur le voyage. Mais une fois engagé, on est coincé. Il est difficile de faire demi-tour. On était dans des 4x4 censés prendre 6 à 8 personnes. Mais, on se retrouvait à 12 voire 14 personnes. A notre arrivée, impossible d’allonger les pieds. C’est à la frontière algérienne que notre calvaire a véritablement commencé. On a trouvé beaucoup d’immigrants clandestins venus de toute l’Afrique de l’Ouest, filles comme garçons. C’était en plein désert. Là où nous étions, c’est le seul endroit où le clandestin pouvait avoir de l’eau, des biscuits, un petit bout de pain. Mais, c’est un lieu de vices : la prostitution, la drogue… Bref, tout. A la frontière algérienne, on est tombés sur un mauvais jour. Ça tirait. Personnellement, j’ai eu de la chance. J’ai été repris par des gardes algériens.

Vous parlez de tirs. Y avait-il des combats ?

Non, pas des combats. Cela supposerait que deux camps se battent. Mais, nous sommes des immigrants clandestins. On se cachait pour traverser la frontière. Ils ont vu qu’ils étaient débordés, ils ont commencé à tirer dans tous les sens. Dieu m’a protégé. Ce sont les gardes eux-mêmes qui m’ont récupéré. Je faisais leur thé, je lavais leurs treillis.

Combien de temps êtes-vous resté avec les gardes algériens ?

Environ un mois. Ils ne voulaient plus me laisser partir, parce que je faisais leurs petits boulots. Ils ont constaté que j’étais triste. Ils m’ont demandé si je voulais vraiment aller à l’aventure. Finalement, ils m’ont pris dans leur voiture, un 4x4. Ils m’ont accompagné jusqu’à Monastir en Tunisie. Ils m’ont donné un peu d’argent. Une fois en Tunisie, j’ai commencé à me chercher. C’est l’aventure qui continuait. Je me suis débrouillé à travers de petits boulots avant de mettre le cap sur Malte.

Pendant ce temps, où était passé votre guide ?

Le guide et nous, on ne s’est plus revus à la frontière algérienne. On s’est revus longtemps après, lorsque j’étais de retour à Abidjan.

Que faisiez-vous concrètement à Monastir ?

Je faisais les petits « djossis » (boulots, dans l’argot ivoirien, Ndlr) dans les supermarchés. Je m’occupais de tout ce qui était cosmétique : vernis, pommades et autres. J’ai eu un peu d’argent. L’objectif n’était pas la Tunisie mais l’Europe. En Tunisie, il y avait beaucoup d’Ivoiriens. Ironie du sort. Certains que j’ai rencontrés avaient le même projet que moi : aller en Europe. Donc, on s’est organisés. C’est un peu la même chose qu’avec nos premiers guides. Mais la principale différence, c’est qu’au niveau des embarcations, le nombre de places est limité : si on dit 5 personnes, c’est 5 personnes, pas plus. C’est de petits bateaux pour clandestins.

A combien êtes-vous partis de Monastir ?

Nous avons quitté Monastir à deux. Il y avait une fille, Mariame Ouattara, qui, malheureusement, est morte. Ses parents sont de Bondoukou.

Comment sa mort est arrivée ?

Elle n’a pas pu supporter le mal de mer. L’eau l’a emportée. On l’a vu tomber. De retour au pays, j’ai pu avoir les contacts de son père. Il n’avait aucune nouvelle de sa fille. Je suis allé retrouver les parents à Bondoukou en mai 2011. Je suis allé leur expliquer que ce qui s’était passé. Ça leur a fait mal. Mais, ils étaient soulagés de savoir ce qui est arrivé à leur fille. Puisque pendant des années, ils n’avaient aucune nouvelle de leur fille. Elle était sortie de la Côte d’Ivoire bien avant moi. Les parents n’avaient pas de nouvelle.

Revenons à votre périple. Où est-ce que vous avez pris l’embarcation en direction du continent européen ?

De Monastir, nous sommes venus à Tunis. De Tunis, nous avons gagné la frontière, celle entre Tunis et Malte. C’est à la frontière que nous avons pris l’embarcation (...) Lire La suite sur Linfodrome