(Photos) Inde: Des «morts-vivants» se battent pour ressusciter

  • 16/07/2015
  • Source : AFP
Des centaines d'habitants figurent sur les registres des décès, inscrits par des proches peu scrupuleux voulant mettre la main sur leurs terres... alors qu'il sont bien vivants.

Au cours des deux dernières années, Ramjanam Mauriya s'est rendu à d'innombrables reprises à Azamgarh, dans le nord de l'Inde, pour convaincre la justice, documents à l'appui, qu'il n'était pas un fantôme. «C'est frustrant. Je suis vivant et ils (les fonctionnaires) continuent de dire que je suis mort», dit-il à l'AFP.

Ramjanam Mauriya figure, comme des centaines d'autres habitants de l'Etat de l'Uttar Pradesh, sur les registres des décès, inscrits par des proches peu scrupuleux voulant mettre la main sur leurs terres. Il accuse son frère d'avoir corrompu des fonctionnaires pour l'inclure sur ce registre afin d'obtenir une part plus importante de la propriété familiale. D'autres sont victimes de cousins, de neveux ou même de leurs propres enfants qui graissent la patte des fonctionnaires en vue de falsifier ou de détruire des dossiers.

Pratiquement tous ces cas sont recensés dans l'Uttar Pradesh, l'Etat le plus peuplé d'Inde qui a aussi la réputation d'être l'un des plus corrompus et les plus touchés par les crimes. Le district d'Azamgarh, à environ 300 km à l'est de la capitale de l'Etat, Lucknow, connaît de telles affaires depuis des décennies, mais les cas se sont récemment multipliés, la lutte pour obtenir des terres s'intensifiant.

«Je commence à douter de ma propre existence»
Lal Bihari a découvert il y a quarante ans que ses terres étaient passées aux mains de l'un de ses cousins qui avait corrompu un fonctionnaire local pour qu'il soit déclaré mort. Après avoir convaincu la justice qu'il avait été victime d'une fraude, il a créé l'organisation Mritak Singh (l'association des morts) pour aider les victimes de cauchemars similaires.

«Je suis devenu fou à courir d'un bureau à l'autre pendant des mois, raconte Bihari. Vous commencez même parfois à douter de votre propre existence. Votre ennemi n'a pas les mains pleines de sang comme dans un meurtre, mais vous êtes comme mort.» Lal Bihari, qui s'est même présenté aux élections législatives pour être entendu, assure que son organisation aide environ 200 autres personnes ayant souffert de ce phénomène en Inde.

Les autorités affirment avoir mis fin à de telles escroqueries et que certaines des prétendues victimes sont elles-mêmes des escrocs. Un juge d'Azamgarh, L Y Suhas, relève que pratiquement tous les registres sont désormais informatisés et donc infalsifiables. «Certains veulent juste faire leur publicité», dit-il à l'AFP.

«Je ne suis jamais né»
Mais la nature de ces affaires implique que certaines ne sont mises au jour qu'après des années, comme dans le cas de Ramjanam Mauriya, qui n'a découvert avoir été déclaré mort que quand il a voulu transmettre des terres à son fils. Il avait hérité d'un terrain de 1500 m2 à la mort de son père en 1993, mais il avait laissé ces terres aux soins de son frère, qu'il pensait irréprochable, au moment de son déménagement dans le village de ses beaux-parents quelques années plus tard.

Quand il a voulu transférer ses terres à son fils en 2013, l'administration lui a appris qu'il était officiellement mort et que son frère en était le seul propriétaire. «Ce fut un choc, a fortiori quand j'ai appris le rôle joué mon frère», souligne-t-il.

A 52 ans, Jagdish Prasad Gupta doit quant à lui prouver qu'il a déjà vécu pendant toutes ces années. «D'après les registres, je ne suis jamais né, car mon père a été à l'enfance enregistré comme mort», s'insurge cet homme, qui tient une confiserie et veut rétablir la vérité pour que ses descendants ne rencontrent pas les mêmes problèmes que lui. «Mes enfants et mon existence dépendent directement de l'existence de mon père. Je ne combats pas pour moi, mais pour les futures générations», dit-il ainsi à l'AFP.

«La terre fait toute la différence ici»
Mohammad Arshad, sociologue à l'Institut des sciences sociales dont le siège est dans l'Uttar Pradesh, explique que la bataille pour les terres est à l'origine de l'essentiel de ces escroqueries. L'urbanisation de l'Inde, couplée à une forte croissance démographique (ce pays compte 1,25 milliard d'habitants), suscite un appétit frénétique pour le foncier, au point de déclencher des trahisons familiales. «Avec des terres, vous pouvez attirer des partenaires en affaires et nouer des alliances matrimoniales pour vous et vos enfants, note à cet égard Mohammad Arshad. La terre fait toute la différence ici.»