Il étudie les psychopathes et réalise qu'il l'est lui aussi

  • 26/11/2013
  • Source : 7sur7.be
Un neuroscientifique a eu l'énorme et traumatisante surprise de réaliser, au cours d'analyses très poussées sur la psychopathie, qu'il était lui-même sujet à de sérieuses tendances psychopathes. Fort de cette découverte, il a affiné sa connaissance du sujet et tente au jour le jour de changer sa perception du monde et son rapport aux autres.

Que feriez-vous si vous découvriez par hasard que vous êtes psychopathe? Vous garderiez probablement cette information gênante pour vous, en vous gardant bien que personne ne puisse jamais savoir quel monstre se cache peut-être en vous. Pourtant, c'est tout l'inverse qu'a décidé de faire James Fallon, un neuroscientifique américain fou de travail relate Smithsonian.

C'est celui qui le dit qui l'est!
Alors qu'il comparait minutieusement des scanners du cerveau de tueurs en série en octobre 2005, James Fallon constate des similitudes typiques parmi eux. "J'analysais beaucoup de scans de cerveaux de tueurs, de schizophrènes, de dépressifs mais aussi de gens dits 'normaux'. Le hasard a voulu que j'effectue en parallèle à cette époque une étude sur l'Alzheimer et que je dispose dans ce cadre des scanners des cerveaux des membres de ma famille juste là, à portée de main sur mon bureau", se souvient-il.

Le scientifique avait remarqué sur les coupes des cerveaux des tueurs en série et schizophrènes les mêmes caractéristiques, lesquelles apparaissaient inlassablement sur tous les cerveaux étudiés: une faible activité de certaines zones des lobes frontal et temporal des sujets. Or ces zones sont directement liées aux capacités d'empathie, de moralité et de contrôle de soi. Il pouvait donc établir aisément une corrélation entre certains modèles anatomiques et des tendances psychopathologiques inévitables.

Fort de ces constantes, il savait repérer un clin d'oeil un cerveau touché par cette absence de faculté. C'est là que son regard tombe sur un scan qui traînait sur son bureau: celui d'un des membres de sa famille. Il réalise alors que celui-là présente précisément les caractéristiques relevées chez les tueurs en série et psychopathes. Les examens cliniques n'étaient par contre pas nominatifs et il a fallu qu'il transgresse une limite qu'il s'était fixée, à savoir de ne pas connaître l'identité du membre de sa famille qu'il analysait. Et sa rupture avec ses principes fut d'autant plus choquante qu'il découvrit qu'il s'agissait de son propre cerveau.

Psychopathe sympa
James Fallon a alors commencé par vérifier l'état de son matériel à la recherche d'un défaut qui aurait induit un résultat de scanner erronné. Mais tout était parfaitement en ordre. Il s'est alors demandé s'il ne détenait pas tout simplement la preuve que son hypothèse de base était fausse, mais les preuves scientifiques confirmaient en tous points les corrélations qu'il avait établies.

Lui qui n'avait jamais tué ou violé quiconque pas plus qu'il n'en avait ressenti l'envie s'est alors remis en question. À tout bien réfléchir, son arbre généalogique comptait pas moins de sept meurtriers présumés. Et il devait bien reconnaître avoir toujours pris plaisir à dominer et manipuler les autres. Pire encore, il s'imposa ensuite d'autres analyses, génétiques cette fois, et découvrit qu'il possédait des allèles à haut potentiel d'agression, de violence et de manque d'empathie. Le faisceau de preuves s'intensifiait, l'étau de se propres découvertes se refermant inéluctablement sur lui.

Le scientifique étant un homme sans histoire, brave mari et heureux père de famille, il se demanda s'il n'existait pas dès lors une caste de "psychopathes sympas": ceux qui, malgré leur incapacité à ressentir une réelle empathie pour autrui, tentent de faire mine de s'intéresser aux autres et restent sagement dans les normes acceptées par la société.

Pas de tabou
Il en conclut que l'on peut présenter tous les signes de la psychopathie mais finir en scientifique pacifiste et stable comme lui. Autant dire que les psychopathes courent sans doute les rues. Une théorie rassurante - ou effrayante, c'est selon - qu'il a exposée sans tabou dans des interviews télévisées et même dans un livre où il dévoile à ses proches et au monde sa potentielle dangerosité. Un "coming-out" osé, où il explique en détails l'ambiguité de la notion de "psychopathe", souvent galvaudée dans le langage quotidien.

Il y développe également un point central appuyé sur des arguments scientifiques indéniables: l'allèle à risque qu'il présente peut déterminer le développement d'une zone du cortex particulièrement calme chez les psychopathes notoires. Mais cet allèle peut surtout affecter le développement de cette zone critique de différentes manières, et ce en fonction de facteurs environnementaux propres à chaque patient. Il se peut donc que dans un contexte social et familial heureux - ce qui fut le cas de Fallon - l'allèle ouvre le cortex de manière positive pour le comportement du sujet. Mais l'inverse est vrai également. Une découverte majeure quant à la responsabilité et au vécu des psychopathes. Le scientifique qui s'auto-proclamait pro-déterminisme génétique a revu sa copie et croit davantage au poids de l'enfance sur le comportement de l'homme.

"Je suis quand même un enfoiré"
James Fallon note encore, en toute honnêteté, qu'il se bat chaque jour contre des défauts difficilement surmontables pour lui. Par exemple, il avoue être "odieusement compétitif". À un point tel qu'il se sent, pour l'anecdote, incapable de laisser gagner un de ses petits-enfants lors d'un jeu. "Je suis un enfoiré en quelque sorte, et je fais de sales coups aux gens juste pour les exaspérer. Mais alors que je suis un véritable agressif, je préfère démonter quelqu'un à force d'arguments qu'à la force des coups", explique-t-il.

Cela relève selon lui du libre-arbitre, lequel différencie les psychopathes qui passent à l'acte de ceux qui restent socialement acceptables. Le scientifique fait d'ailleurs dorénavant un travail quotidien sur lui-même. Il fait l'effort de faire "le bien" et s'attache à toujours faire les choix les plus justes ainsi qu'à prendre davantage en considération les sentiments de ses interlocuteurs. "Je ne suis pas devenu quelqu'un de bien soudainement. Je fais tout cela par fierté, pour prouver aux autres et à moi-même que je peux m'en tirer", reconnaît-il malgré tout avec la froide honnêteté qui le caractérise...