Université FHB d’Abidjan : Le Pr Aké-Assi ‘‘abandonne’’ le jardin botanique et floristique

  • 15/01/2014
  • Source : Fraternite Matin
Désormais l’on ne verra plus la silhouette svelte du Professeur Laurent Aké-Assi dans son antre, le jardin botanique et floristique de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan-Cocody. Bien qu’étant à la retraite l’homme continuait toujours de fréquenter le site qu’il a créé.

L’ethnobotaniste de renom international s’en est allé, le mardi 14 janvier 2014, à Abidjan aux environs de 13 heures. Abandonnant ainsi "sa création" dont nous avons eu l’occasion de visiter en sa compagnie le 28 juin 2011. Et de constater son état d’agonie.
 
C’est un calme plat qui règne sur le campus universitaire d’Abidjan-Cocody, ce mardi 28 juin 2011, au moment où nous entamions en compagnie du Professeur Laurent Aké-Assi la visite du jardin botanique de l’université, son « Bois sacré ».
 
A l’entrée principale de l’Université de Cocody en venant du centre hospitalier universitaire (Chu), ce sont des éléments des forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) en faction qui accueillent les visiteurs.
 
Le parking de la société de transport Abidjanais (Sotra) qui grouillait du monde pendant l’année académique est quasiment vide.
Et les quelques vendeurs qui attendent de potentiels clients se doivent de contenter des étudiants d’une grande école de la place qui prennent encore des cours à l’ex-Inset (Institut national des sciences et techniques) et des soldats des Frci.
 
En route pour le jardin botanique et floristique de l’université, le masque wembélé, symbole de l’université qui fait en même tant office de logo du temple du savoir, autrefois tant décrié, se dresse au rond-point des Ufr (unité de formation et de recherche) de mathématique-informatique et des sciences économiques comme pour dire « fotamana » (bonne arrivée en Sénoufo) aux visiteurs.
 
"Un maquis" viole l’enceinte du jardin botanique
Lorsque nous franchissons le portail d’entrée du jardin botanique, nous sommes ahuris par un restaurant communément appelé « maquis » à abidjan en finition. Des espèces entières de plantes ont été ainsi sacrifiées pour sa construction. Toute chose qui a fait dire au professeur Idriss Diabaté, auteur du documentaire « Bois sacré du professeur Laurent Aké-Assi » que pour l’Africain « tout se limite au ventre. » En violant de cette manière l’enceinte de la mémoire des plantes de Côte d’Ivoire, tout porte à croire que les initiateurs d’un tel projet ne sont pas des botanistes.
 
En progressant en profondeur dans le jardin qui donne l’impression d’une forêt dense, le chant harmonieux des oiseaux, les bruits des feuillages sous la conduite du vent plongent les visiteurs dans un univers reposant et paisible propice à la réflexion. « Très souvent j’y passe mes week-end », nous confie le Professeur Laurent Aké-Assi.
 
Les bureaux du jardin botanique saccagés
Quelques mètres plus loin nous atteignons le bâtiment de recherche du jardin botanique où se trouvent les bureaux du professeur Laurent Aké-Assi et la bibliothèque des plantes. Portes fracassées, le bureau du botaniste a été visité par des intrus pendant les événements de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. La collection de 2 kilogrammes de pièce de monnaie des différents pays visités par le professeur a été emportée par les pillards.
 
Entre les livres et documents qui traînent par terre, il retrouve un exemplaire de son doctorat d’enseignement soutenu le 2 juin 1984 sur le thème : « La contribution à l’étude floristique de la Côte d’Ivoire et des territoires limitrophes.» Le premier doctorat d’Aké-Assi qui est en fait un doctorat d’enseignement date de 1961.
 
3863 espèces en souffrance dans la bibliothèque des plantes
« Ma première plante que j’ai récoltée date de mai 1945 », nous présente fièrement le Professeur Aké-Assi son premier cahier de récolte. A la date du 27 mars 2011, il est à sa 21256ème récolte.
 
L’homme a recensé et classé 3863 espèces de plante qui composent aujourd’hui l’herbier de la Côte d’Ivoire et des pays limitrophes. Cette bibliothèque des plantes est présentement dans un environnement inadéquat et risque de se détériorer très rapidement, s’inquiète le l’ethnobotaniste, spécialiste des vertus médicinales des plantes. Car la climatisation ne répond plus dans l’immense salle qui accueille l’herbier dans des casiers conçus spécialement pour la conservation des plantes. Ce qui pourrait entrainer une dégradation avancée de l’herbier.
 
Cette mémoire historique des plantes constituée depuis plus d’un demi-siècle ( à partir de 1953 et 1956) par Aké-Assi si l’on n’y prend pas garde risque de disparaître à jamais. Puisque des espèces de plantes répertoriés dans la bibliothèque n’existent plus. Par ailleurs, à la place du papier canson, c’est le papier journal qui sert de support au botaniste pour effectuer son travail.
 
« Ce sont 42 espèces que la Côte d’Ivoire a perdu en l’espace de 50 années d’indépendance », s’alarme le Professeur Idriss Diabaté auteur d’un film documentaire de 70 min, cité plus haut sur celui qui est perçu par les experts occidentaux comme une référence dans le domaine de la botanique. Pour ce faire, il a souhaité « une approche sacrilège de la plante » en vu de la protection de certaines espèces.
 
La relève est-elle assurée ?
A 80 ans, le Professeur Laurent Aké-Assi pouvait être un chercheur satisfait et comblé de tout le travail abattu dans sa carrière.
Cependant, il continue de travailler avec acharnement comme si la relève n’était pas assurée. « Il y a beaucoup de botanistes que nous avons formés en Côte d’Ivoire », assure-t-il. Pour lui, le problème réside dans l’amour même pour la botanique.

Dans la bibliothèque, il nous présente des récoltes appartenant certainement à un doctorant dans un sachet bleu. L’identification reviendra sans doute à un chercheur du jardin botanique et le concerné sans avoir fait l’effort nécessaire viendra rédiger tranquillement sa thèse. « On est plus à la recherche du diplôme pour intégrer la fonction publique que pour faire les choses par amour. C’est dans tous les domaines », regrette-t-il.
 
Heureusement que deux filles du savant, Emma Aké-Assi (docteur en botanique et enseignante) et Yolande Aké-Assi (docteur vétérinaire) ont décidé de suivre avec passion les traces de leur père.
 
Mais en attendant que d’autres botanistes découvrent en la botanique une discipline qui peut propulser la Côte d’Ivoire sur le chemin du développement, le jardin botanique de l’université de Cocody se meurt, ainsi que sa bibliothèque cinquantenaire des plantes.
 
Avec sa disparition, la Côte d’Ivoire perd un véritable savant. Comme en témoigne le chercheur allemand le Pr Gerard Bringmann. « Le professeur Aké-Assi et moi-même avons ensemble 53 publications communes et trois brevets», a-t-il révélé dans le film-documentaire de 70 min, intitulé « Le Bois sacré du professeur Laurent Aké-Assi ». A la postérité, le professeur Laurent Aké-Assi a également laissé un ouvrage intitulé, « Abrégée de médecine et pharmacopée africaine », 157 pages, Edition Nei-Ceda.
 
Professeur Mangenot: "Aké Assi a un sens exceptionnel d’observation..." 
Né à Agboville le 10 août 1931, Aké Assi a 16 ans lorsque son père Aké Angui, garde forestier, le charge d’accompagner le professeur Mangenot dans la forêt pour l’identification des espèces floristiques ivoiriennes. C’est son premier contact avec le chercheur en botanique. C’est donc dans la brousse que le botaniste français rencontre, pour la première fois, le jeune futur botaniste ivoirien.
 
« Aké Assi a un sens exceptionnel d’observation, une mémoire phénoménal et un travailleur infatigable. Ces qualités, j’en suis sûr, feront de lui un botaniste », avait prédit le professeur Mangenot.
En effet, en plus de ses activités d’enseignant, Aké Assi a créé l’herbier et le jardin botanique de l’université de Cocody. Il a recensé et classé la quasi-totalité des plantes de son pays, la Côte d’Ivoire. Il a animé des conférences sur la botanique dans toutes les universités du monde francophone.

Aussi, a-t-il parcouru toutes les grandes forêts d’Afrique et de l’Amérique. Pourquoi cet acharnement sur le travail d’identification des plantes ? «Quand je vois une plante que je ne peux pas lui donner un nom, cela me chagrine. Et il faut que je cherche pour trouver un nom. C’est pourquoi, je suis toujours au travail », dit-il.
 
CHEICKNA D. Salif