The Guardian, un journal britannique juge le troisième mandat de Ouattara anticonstitutionnel

  • 21/08/2020
  • Source : Guardian
The Guardian, un journal britannique s’est prononcé ce jeudi 20 août 2020, sur la candidature du Président Alassane Ouattara. Voici l'article du journal traduit pour vous.

Le "président à vie" en Côte d'Ivoire va-t-il déclencher le chaos ?

Alassane Ouattara est resté plus longtemps que prévu. Sa tentative de s'accrocher pour un troisième mandat pourrait rendre certaines parties du pays ingouvernables.

Ce mois-ci, le président de la Côte d'Ivoire a provoqué une indignation qui a fait couler le sang dans les rues de la capitale, Abidjan, lorsqu'il a annoncé qu'il briguerait un troisième mandat après tout.

La tension monte dans le pays après les mois de violence qui ont entouré l'élection présidentielle contestée de 2010. Il y a tout juste cinq mois, Alassane Ouattara, 78 ans, avait annoncé sa retraite, s'engageant à "transférer le pouvoir à une nouvelle génération".

Alors pourquoi M. Ouattara a-t-il maintenant si peur de renoncer au pouvoir ? Pourquoi n'a-t-il pas fièrement permis le tout premier transfert pacifique de pouvoir en Côte d'Ivoire, qui aurait pu être son plus grand héritage, neuf ans après une guerre civile sanglante ?

 
Et s'il devient un autre président à vie - contre la constitution - combien d'autres personnes seront plongées dans des difficultés et une crise qui s'aggrave ? Telles sont les questions essentielles que se posent de nombreuses personnes en Côte d'Ivoire - et à juste titre.

La résistance à l'abandon du pouvoir en Afrique n'est pas unique à la Côte d'Ivoire. C'est une tendance croissante sur tout le continent, qui entraîne chômage, conflits, corruption, déclin économique et violations des droits de l'homme. 


Même Paul Kagame, le porte-drapeau occidental du "bon leadership africain", a modifié la constitution pour s'accrocher au pouvoir. En fait, selon l'indice de démocratie 2019 de l'Economist, plus de la moitié des 55 pays africains sont dirigés par un "président à vie" ou - selon les termes des auteurs du rapport - par des "régimes autoritaires".

Ce qui rend la décision de M. Ouattara de se présenter pour un troisième mandat anticonstitutionnel particulièrement troublante, c'est que le climat politique en Côte d'Ivoire est propice aux crises électorales. Une guerre civile de grande ampleur pourrait rendre ingouvernables certaines parties des régions du sud-est du pays, où l'opposition à Ouattara est la plus forte, ce qui entraînerait une nouvelle détérioration des conditions socio-économiques du pays.

Cette situation est particulièrement préoccupante pour un pays ravagé par des troubles civils intermittents depuis la guerre civile de 2010 qui a fait 3 000 morts et déplacé environ 300 000 personnes. La semaine dernière, au moins cinq personnes ont été tuées et plus de 100 blessées au cours des trois jours d'affrontements de rue préélectoraux entre l'opposition et les forces de sécurité, ce qui a aggravé le climat de tension.

La Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de fèves de cacao, devrait être l'un des pays les plus prospères d'Afrique sur le plan économique. Selon les données de l'Organisation internationale du cacao, le pays produit 45 % du cacao dans l'industrie mondiale du chocolat, qui représente 100 milliards de dollars (76 milliards de livres sterling).

Mais en raison de la présidence à vie et des violences post-électorales, les niveaux de pauvreté restent élevés, près de la moitié des 25 millions d'Ivoiriens vivant avec 1,22 dollar par jour. L'espérance de vie est de 54 ans. Les femmes représentent plus de 50 % des chômeurs et au moins 12 % de la population est en situation d'insécurité alimentaire. Sur 189 pays, la Côte d'Ivoire est classée au 165e rang de l'indice de développement humain des Nations unies pour 2019, et au 165e rang de l'indice d'inégalité entre les sexes.

Dans sa jeunesse En mars, il a déclaré qu'il ne se présenterait pas pour un troisième mandat lors des élections du 31 octobre.

Il a nommé son ancien Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, pour le remplacer - une décision qui a été considérée comme une tentative de maintenir son influence par le biais d'un proche allié, mais qui a néanmoins été saluée comme un petit pas en avant. Coulibaly est mort d'une crise cardiaque en juillet.

Sa décision de demander un troisième mandat anticonstitutionnel est un choc pour le reste du monde. La communauté internationale agira-t-elle à temps pour prévenir de nouvelles violences post-électorales qui pourraient même dégénérer en une nouvelle guerre civile ?

M. Ouattara, qui bénéficie toujours du soutien de la France, fait preuve d'un esprit de défi ; il est le dernier d'une longue lignée de dirigeants africains à avoir dépassé la limite de deux mandats imposée par la constitution, une voie bien tracée pour une présidence à vie. Il croit qu'il est indispensable au bien-être de son peuple et au bien-être de la Côte d'Ivoire, qu'il n'y a personne parmi les 25 millions d'Ivoiriens qui soit mieux placé que lui pour ce poste. Cela rappelle le président camerounais Paul Biya, qui détient le record africain du plus long mandat de "président à vie", avec 42 ans.


Le refus de M. Ouattara de réformer la commission électorale - longtemps considérée comme biaisée en sa faveur - afin d'égaliser les chances et d'épargner à la population des violences électorales potentiellement horribles, aggrave encore les problèmes de sécurité.

Ouattara ne veut pas renoncer au pouvoir parce qu'il ne fait pas confiance à son entourage et il s'inquiète des accusations de détournement de fonds publics, entre autres choses. Les entreprises que lui et sa famille ont créées en Côte d'Ivoire et à l'étranger leur ont rapporté des millions de dollars. La question de savoir si les Ivoiriens continueront à descendre pacifiquement dans la rue pour lui demander de partir est ouverte.

Mais ce qui est clair dans la décision de M. Ouattara de se présenter pour un troisième mandat anticonstitutionnel, c'est que l'avenir de la Côte d'Ivoire et l'avenir politique de toute la région sont en danger. Les graines sont semées pour les crises qui caractérisent la Côte d'Ivoire depuis son indépendance de la France en 1960.

 

Lien de l'article original en anglaishttps://www.theguardian.com/global-development/2020/aug/20/will-ivory-coasts-president-for-life-unleash-chaos?fbclid=IwAR2Y4SN7JCKjLfv-zO_4EHrOaXuU27Sic9kwJKYfs0xFh-HxC1VHZ1p9jOQ