Saison des pluies : à Abidjan, le plan anti-inondation patauge

  • 14/06/2014
  • Source : Observers.france24.com
Depuis une semaine, la capitale économique ivoirienne est confrontée à d’importantes inondations. Le phénomène, récurrent à chaque saison des pluies, a touché la plupart des quartiers de la ville. Nos Observateurs s’attendent à une nouvelle année de galères et s’agacent de l’inaction des autorités.

Les premières pluies sont tombées jeudi 5 juin, et ont eu des conséquences graves : dans le quartier de Mossikro, elles ont provoqué un éboulement de terrain, qui a causé la mort de cinq personnes. Pour tenter d’enrayer le phénomène, le gouvernement a mis en place en 2012 le plan "Zéro décès en saison de pluie", financé à hauteur de 1,2 milliards de francs CFA (environ 1,8 millions d'euros) dont le but est de reloger les quelque 80 000 personnes se trouvant dans des quartiers dits "précaires", menacés par des glissements de terrain.

En parallèle, 150 000 francs CFA (environ 230 euros) ont été donnés à plusieurs centaines de foyers pour les inciter à déménager. "Certaines familles sont parties mais on a constaté que la plupart d'entre elles ne bougeaient pas et s’intéressaient surtout à la prime", assure le général Fiacre Kili, directeur de l’Office national de la protection civile.
 
En parallèle, l’Office national de l’assainissement et du drainage de Côte d’Ivoire affirme avoir identifié 20 zones à risques à Abidjan et avoir entamé des travaux pour assurer un meilleur écoulement des eaux. Il y a urgence, expliquent nos Observateurs, qui soulignent par ailleurs les problèmes d’hygiène que provoquent les inondations.

"Des habitants profitent des fortes pluies pour évacuer leurs eaux usagées"
 
Sanogo est enseignant et vit à Abidjan.
 
 "Près de chez moi, il y a une voie importante qui va du quartier Abobo vers le quartier Mahou. Mardi, il a plu toute la nuit, jusqu’à 10h du matin, et la voie était complètement inondée. Il y avait de l’eau jusqu’à mi-hauteur des voitures.
 
Cette voie est goudronnée, et bordée de caniveaux larges et profonds, il ne devrait donc pas y avoir de problèmes d’évacuation. Sauf que l’arrière quartier n’est pas aussi développé, il n’y a ni goudron ni canalisation. Dans ce quartier, comme dans beaucoup à Abidjan et en Côte d’Ivoire, les habitants ont, devant leur maison, ce qu’on appelle un "puits perdu", dans lequel sont évacuées les eaux domestiques usagées, toilettes, lessive, etc.

Or, faire vidanger ces puits coute très cher, entre 7 000 et 15 000 francs CFA  [de 10 à 23 euros] selon la taille. Du coup, quand il pleut massivement, les habitants profitent du flot d’eau pour en déverser le contenu dans la rue. Résultat, un double flot s’écoule vers les rues principales, l’eau de pluie et l’eau usagée, et le caniveau a vite fait de déborder.
 
Ce flot est extrêmement insalubre. Il faut faire très attention, car il y a des risques d’attraper des champignons aux pieds et des microbes… Il faut ajouter à cela que, sur la voie principale, quand les caniveaux sont bouchés, les autorités sanitaires interviennent pour en sortir les pneus, bouts de caoutchouc et autres sacs plastiques qui les entravent, mais ont souvent pour habitude de les déposer à côté du caniveau. Dès qu’il pleut, ils y retournent... C’est à croire que les autorités le font exprès !
 
Ce que je reproche aux autorités, c’est de ne pas mettre des canalisations dans les quartiers. Ça éviterait bon nombre de ces excès. Ça impliquerait de goudronner les quartiers avant tout, c’est évidemment un projet d’envergure, mais il est temps d’agir.

"On paie la municipalité pour qu’elle favorise l’écoulement des eaux et rien n’est fait"
 
 Das Diallo (pseudonyme) tient un magasin dans la casse d’Abobo
 
La politique en place est d’inciter à quitter les quartiers précaires, mais il faudrait aussi qu’en parallèle le problème des évacuations soit pris en charge. Dans la casse d’Abobo où je travaille, on récupère beaucoup de vieilles voitures, qu’on démantèle, mais après, les carcasses restent dans les rues et obstruent le passage. Et bien sûr, quand il pleut beaucoup, ça ralentit l’écoulement des eaux.

La municipalité nous avait promis, déjà à l’époque de Gbagbo, que ces carcasses seraient évacuées, mais il n’en a rien été. On paie la municipalité pour qu’elle favorise l’écoulement des eaux, et rien n’est fait.
 
À la casse d’Abobo, les inondations annuelles sont un vrai problème. Cette semaine, certains commerçants avaient de l’eau jusqu’aux genoux dans leur magasin, ça a endommagé des marchandises, notamment pour ceux qui vendent des pièces détachées de systèmes électriques. Il y a aussi un gros manque à gagner, car les clients ne veulent pas entrer dans la casse du fait de la saleté des eaux, qui peut favoriser le paludisme ou la fièvre typhoïde.
 
"Même dans le quartier plutôt huppé de Cocody, les canalisations débordent"
 
Howan (pseudonyme) est informaticien et vit dans le quartier de Cocody.
  
Les autorités semblent incapables d’anticiper la saison des pluies. Certaines années, des habitants avaient été déplacés préventivement, mais cette année, rien n’a été fait, seule une petite aide leur a été attribuée, c’est insuffisant. Du coup, les habitants restent chez eux, essayent de faire des digues de fortune avec des sacs de sable. Mais ça n’empêche pas l’eau d‘entrer dans les maisons.
 
Avec les détritus, les canalisations se bouchent vite : ce jeudi encore, une pluie dense d’un quart d’heure a suffi à faire déborder des canalisations dans Cocody, qui est pourtant un quartier plutôt huppé et mieux entretenu que d’autres… En 2013, les pluies avaient été moins fortes et il n’y a pas eu d’inondations conséquentes. J’ai malheureusement l’impression que ça n’a pas incité les autorisé à accélérer les travaux.

Je suis alarmé de voir l’ampleur de ces inondations alors que la saison des pluies ne fait que commencer. Le temps fort est attendu pour juillet et je crains le pire.