Raoul, le parrain repenti du trafic d’électricité à Abidjan raconte

  • 24/11/2016
  • Source : Le Monde Afrique
Traversée d’une Afrique bientôt électrique (16). L’ex-chef des revendeurs se bat aujourd’hui contre la corruption et pour faire raccorder légalement les habitants.

L’électricité est une pierre précieuse. Plus elle est rare, plus elle est convoitée. A la différence qu’on ne fouille pas la terre mais le ciel pour la trouver. Un peu plus bas à vrai dire. A cinq mètres du sol, pendue à un poteau de bois. De là, ceux que l’on appelle les « revendeurs » tirent des câbles pour raccorder illégalement de nombreux foyers, trop pauvres pour payerune connexion au réseau d’électricité. Ce sont dans des bidonvilles comme celui du Campement à l’est de Koumassi, quartier d’Abidjan en Côte d’Ivoire, qu’a lieu ce trafic. Là où l’exode rural a conduit une population de plus en plus nombreuse à s’entasser dans les plis des villes.

Le rapide développement des habitations n’a pas permis à la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) d’absorber toute la demande en énergie. Attendre des mois voire des années avant d’avoir la lumière quand les beaux quartiers brillent toute la nuit de l’autre côté du rivage. La fraude naît de la frustration. En Côte d’Ivoire, on estime que 10 % à 30 % de l’électricité sont fraudés. Ce qu’on appelle pudiquement « les pertes commerciales » sont devenues le fait de réseaux organisés qui détournent puis redistribuent illégalement l’énergie.

 

Le parrain de la mafia de l’électricité

Dans la cité Houphouët-Boigny, que l’on surnomme le Campement, Raoul Loukou Kouassi était leur chef, leur syndic.

« J’étais le parrain de la mafia des revendeurs d’électricité. Ici tout le monde me connaît comme celui qui les défendait, mais je le faisais pour le peuple. Environ 322 000 habitants vivent dans ce quartier. La majorité a recours à ces branchements illégaux. La raison principale est le coût de l’électrité trop élevé. Ici les riverains sont issus des familles les plus pauvres. Beaucoup n’ont pas de travail stable et ne peuvent pas débourser 200 000 francs CFA (305 euros) pour l’installation d’un compteur. Ils font donc appel aux revendeurs. »

« Je trouvais normal que la population ait recours au courant Bana-Bana [réseau parallèle]. J’ai pris la tête de la lutte contre la CIE. En 2007, nous avons empêché pendant huit mois à leurs agents d’entrer dans le quartier. Il y a eu des bagarres. Ils venaient avec la police, cassaient les portes, bastonnaient les boutiquiers et arrachaient les câbles. On répondait par la violence et les manifestations. Le président d’alors [Laurent Gbagbo] nous a soutenus car il souhaitait nationaliser la CIE. Il voulait que la France rende l’électricité à la Côte d’Ivoire [la CIE appartient au groupe français Eranove]. Il a associé notre combat au sien. Les politiciens ont besoin des caïds. C’est à cette période que j’ai compris que notre lutte était vaine, lorsque j’ai découvert que les revendeurs d’électricité étaient de mèche avec certains agents de la CIE. »

« Le système fonctionne ainsi. L’agent fournit deux compteurs au revendeur avec des lignes légales et répertoriées. Du premier compteur, on tire le câble positif, du second le câble négatif. On les branche et le courant passe sans que les compteurs ne tournent. Le revendeur verse chaque mois 50 000 à 100 000 francs CFA à l’agent pour qu’il garde son petit montage secret et qu’il le prévienne des prochains contrôles. Certains compteurs peuvent être truqués pour indiquer un montant incorrect et tromper les relevés.

Il existe aussi le compteur non listé acheté à la ferraille, prêt à être détruit. On le met chez soi et on fait descendre un câble du poteau électrique. Le compteur n’est pas répertorié mais permet d’avoir le courant et de le redistribuer. Il suffit de contacter le service de dépannage de la CIE. Après un pot-de-vin, le technicien effectue un nouveau branchement et laisse traîner le câble avant de repartir. Celui-ci sera récupéré la nuit par le revendeur. »...La suite sur Le Monde Afrique