Pourquoi le Qatar est-il mis au ban par ses voisins?

  • 06/06/2017
  • Source : 20 Minutes, AFP
Le Moyen-Orient vit depuis ce lundi une crise diplomatique majeure, avec la mise en quarantaine du Qatar par ses voisins du Golfe (l'Arabie saoudite en tête, les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Yémen mais aussi l'Égypte). Officiellement, ces pays accusent le richissime émirat de soutenir le terrorisme. Derrière cette raison officielle se cache en fait une réalité bien plus complexe, explique 20 Minutes.

Presque simultanément, l'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn 
et l'Egypte ont donc annoncé lundi couper leurs liens diplomatiques avec le Qatar, le Yemen suivant le pas un peu plus tard dans la matinée. À cette mise au ban diplomatique se sont ajoutées des mesures économiques comme la fermeture de toutes les frontières terrestres et maritimes entre ces pays et le Qatar, ainsi que des interdictions de survol aux compagnies aériennes qataries ou des restrictions aux déplacements des personnes. Le Qatar a également été exclu par la coalition militaire arabe au Yemen. 

Le Qatar, comme les pays cités plus haut (sauf l'Égypte), font partie du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), une organisation créée en 1981 et qui peut être considérée comme "l'équivalent de notre Union européenne", explique 20 Minutes. Le Koweït et Oman sont les deux seuls pays membres de la CCG à ne pas avoir rejoint ce mouvement de rupture. En 2014 déjà, l'Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn avaient retiré pendant un an leurs ambassadeurs en poste à Doha en signe de protestation contre le soutien présumé du Qatar aux Frères Musulmans lors du renversement du président égyptien Mohamed Morsi.

Que reproche officiellement l'Arabie et ses alliés au Qatar?
"Le Qatar accueille divers groupes terroristes pour déstabiliser la région, comme la confrérie des Frères musulmans, Daesh et Al-Qaïda", indiquait un responsable saoudien lundi. Selon le spécialiste du Moyen-Orient Karim Sader, maître de conférences à l'université Saint-Joseph de Beyrouth, ces raisons officielles ne sont que la "partie immergée de l'iceberg qui cache des désaccords plus structurels et plus profonds", détaille-t-il à 20 Minutes. 

L'Arabie saoudite reproche également à l'émirat des déclarations pro-iraniennes prêtées à l'émir Tamim publiées le 24 mai dernier sur le site de l'agence de presse officielle du pays, QNA. Des paroles considérées comme authentiques par Ryad et Abou Dhabi, mais démenties par le Qatar qui s'est dit victime de "hackers". 

L'emir du Qatar aurait ainsi qualifié l'ennemi juré de l'Arabie saoudite de "puissance islamique régionale qui ne peut pas être ignorée" et conféré le statut de "mouvement de résistances légitimes" au Hamas ou au Hezbollah, la milice libanaise pro-iranienne. Des déclarations rompant avec le consensus régional sur des sujets sensibles, et notamment l'Iran, vu comme un allié stratégique par Doha mais considéré par les Saoudiens comme "le fer de lance du terrorisme". 

Pour rappel, l'Iran chiite est le grand rival régional de l'Arabie saoudite sunnite et leurs relations diplomatiques sont rompues depuis 2016.

Le Qatar a toujours poursuivi sa propre politique régionale
"C'est à mes yeux ce qui est le plus reproché aujourd'hui au Qatar, sa complaisance à l'égard de l'Iran, considéré par ses voisins comme l'ennemi absolu. Le Qatar partage avec l'Iran des intérêts stratégiques, notamment un gisement gazier offshore (le Qatar s'est fortement enrichi en exportant son gaz, NDLR). Les deux pays ont tout intérêt à s'entendre", poursuit Karim Sader, qui n'apporte pourtant que peu de crédit aux déclarations prêtées à l'émir qatari. 

Également interrogé par 20 minutes, le politologue Nabil Ennasri, directeur de l'Observatoire du Qatar, renvoie au Printemps arabe pour expliquer les origines de la volonté saoudienne de mettre au pas le petit émirat. Ce dernier a soutenu les Frères musulmans en Tunisie, en Libye et en Egypte, alors que les EAU et les Saoudiens avaient noué des liens étroits avec les régimes en place dans ces pays. 

Le Qatar a en effet toujours poursuivi sa propre politique régionale, affirmant son influence par le sport - il accueillera le Mondial 2022 de football - et les médias, avec la chaîne de télévision Al-Jazeera dont les bureaux à Ryad ont été fermés lundi.

Une crise précipitée par le discours de Trump à Ryad
Cette crise intervient deux semaines après la visite du président américain Donald Trump à Ryad où il avait exhorté Arabes et musulmans à se dresser contre les groupes extrémistes et fustigé l'Iran. "C'était d'une certaine façon donner les pleins pouvoirs à l'Arabie Saoudite, lui donner carte blanche pour resserrer les rangs au Proche Orient", estime Karim Sader. 

Cette crise pourrait en outre durer, poursuit de son côté Nabil Ennasri. "Cette fois-ci, la mise à l'écart est si forte qu'il ne s'agit plus seulement d'une crise diplomatique mais d'une quasi-déclaration de guerre", craint-il. En décembre dernier pourtant, le roi Salmane d'Arabie Saoudite avait fait une visite triomphale à Doha et le prince Tamim, l'émir du Qatar, se rendait régulièrement chez son voisin. 

"C'est la panique"
Les conséquences économiques pourraient être grandes pour le Qatar. L'Egypte et six compagnies aériennes du Golfe ont suspendu leurs vols sur Doha. Et la compagnie Qatar Airways devra rallonger ses nombreuses routes vers l'Europe et les Amériques, ne pouvant plus utiliser l'espace aérien saoudien. La fermeture du seul accès terrestre au Qatar, via l'Arabie saoudite, affectera lui les importations de biens de consommation.

Affolés par ce blocus de facto saoudien, des habitants de Doha ont pris d'assaut les supermarchés lundi, et le lait, le riz ou le poulet ont rapidement disparu des rayons. "C'est la panique", a témoigné Ernest, un Libanais, poussant deux chariots pleins à craquer.

Le gouvernement qatari a affirmé qu'il prendrait "toutes les mesures nécessaires pour mettre en échec les tentatives de nuire à (sa) population et (son) économie". La Bourse de Doha a aussi accusé le coup, clôturant en baisse de 7,58% lundi soir.

Le Qatar semble jouer la carte de l'apaisement
Dans un discours diffusé par la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, le chef de la diplomatie de l'émirat, Mohammed bin Abdul Rahman, a assuré qu'il n'y aura pas "d'escalade" de la part du Qatar, allié de longue date des Etats-Unis, comme l'Arabie saoudite. 

"Notre relation avec les Etats-Unis est stratégique", a-t-il insisté: Il y a des choses sur lesquelles nous ne sommes pas d'accord, mais les secteurs dans lesquels nous coopérons sont plus nombreux que ceux dans lesquels nous divergeons". 

Le Qatar héberge notamment la plus grande base aérienne américaine dans la région, forte de 10.000 hommes et siège du commandement militaire américain chargé du Moyen-Orient. Al-Udeid est cruciale pour le combat de la coalition internationale contre le groupe Etat islamique en Syrie et Irak.

Riche pays gazier à la politique étrangère controversée, l'émirat avait au départ réagi avec colère, accusant ses voisins de vouloir le mettre "sous tutelle" et de l'étouffer économiquement.