Pluies diluviennes: Abidjan sous les eaux

  • 12/06/2017
  • Source : fratmat.info
De fortes pluies ont marqué le week-end. À Bingerville, Angré, Zone 4, Yopougon et Abobo, des véhicules ont été emportés, des maisons complètement immergées.

Bingerville, quartier Cie. Ecole des métiers de l’électricité. Une villa, collée à la clôture, est abandonnée. Les habitants ont eu la vie sauve. L’eau de pluie est montée à plus de deux mètres et a rendu la maison inhabitable. La propriétaire, une veuve, l’a reçue en héritage de son défunt mari.

Aujourd’hui, après le passage de la pluie et le risque d’autres inondations, la maison représente peu de valeur parce que complètement inhabitable. « On ne pourra plus habiter ici tant que le problème n’est pas réglé », nous dit un habitant. Lui aussi a été une victime impuissante de l’eau de ruissèlement. Tout comme de nombreuses familles, il ne sait que faire. « Il faut qu’on règle le problème ».

Le problème ? La somme des bêtises qu’on aime bien faire. Ce quartier de Bingerville a le malheur de se trouver au bout d’un processus de drainage d’eaux usées, en bordure de lagune. À la création du quartier, un caniveau a été construit pour l’évacuation des eaux usées dans la lagune. Le caniveau était assez grand pour faire face à toutes les éventualités de crue. À cette date donc, il n’y avait aucun risque.

Bingerville était séparée d’Abidjan par des forêts et des plantations. Avec la forte urbanisation, les forêts et les végétations ont disparu. De nouvelles cités sont nées. Chaque constructeur a branché ses caniveaux sur celui qui avait était prévu pour le petit quartier. Personne n’a songé à agrandir ce caniveau qui recevait désormais beaucoup d’eaux usées, certaines en provenance des nouveaux quartiers de la commune de Cocody installée sur les terres de la vieille sous-préfecture de Bingerville.

On a bâti de nouvelles cités mais on n’a pas adapté le canal d’évacuation commun. Première bêtise. Deuxième bêtise, l’école des métiers qui jouxte le quartier a eu la géniale idée de construire une clôture bien plus grande, bien plus moderne…sur une partie du caniveau. Et ce qui devait arriver, est arrivé ce week-end.

La forte pluie a provoqué un volume d’eau que le petit caniveau ne peut plus supporter. Telle une rivière en crue qui sort de son lit, l’eau est allée envahir les maisons. Et l’école aussi. «Si ce n’est pas le directeur, personne ne peut vous parler. Or, le directeur ne sera là que demain », nous a-t-on dit à l’entrée de l’école qui forme les plus grands électriciens du pays et de la sous-région.

On ne saura donc pas d’où a jailli la lumière qui a donné la merveilleuse idée de boucher le caniveau avec une clôture. Le personnel de l’école était sous tension à notre arrivée. Occupé à faire le ménage après les inondations. L’établissement va s’en sortir aisément. Mais il n’en sera pas de même pour les riverains.

Leurs maisons sont pleines de boue et les appareils électroménagers ont tous pris un coup. Idem pour les résidents de la cité Cie qui jouxte le quartier. Quand on empêche l’eau de passer, elle se crée un passage forcé. En témoignent, ces nombreuses clôtures cassées. Témoins aussi sont ces nombreux véhicules emportés par les eaux.

Troisième bêtise: les riverains savent que leur vie est en danger. Lors des dernières pluies, ils ont eu un aperçu. Mais ils sont restés là. À ne rien faire. Hier soir encore, ils se lamentaient. Mais ça va passer. Ils seront toujours là et feront avec. Le maire et le député ont promis se pencher sur leur sort. Mais s’ils ne le font pas, ce n’est pas très sûr qu’ils cherchent à le leur rappeler…

Ces habitants ont vu l’école boucher le caniveau mais ils ont laissé faire. Ce n’est même pas évident que le directeur de l’école soit informé de ce détail de la clôture de son école. Apparemment, personne dans le quartier n’a jamais franchi son portail pour attirer son attention sur les dangers que représente la clôture.

Angré, cité Fondasso. C’est à la fin du boulevard Latrille. Là, nous réalisons l’interview la pénible de notre carrière. Aucun matériel emmené ne s’adapte à la situation. C’est que l’interviewé est à plus de cent mètres de nous. Nous aurions dû venir avec un hautparleur ou une pirogue. Ici, la cité est coupée, entouré d’eau. À notre arrivée, la hauteur n’était plus que d’un mètre et demi. « C’était encore plus haut», nous disent ‘’les otages’’ de l’eau. Pour poser les questions, il faut donner de la voix.

Heureusement, on n’a pas besoin de poser beaucoup de questions. Ils sont si fâchés qu’à la première interrogation, ils se libèrent « Il n’y a pas de caniveau approprié et le seul passage de l’eau a été bouché par une clôture, celle de la cité Fondasso ». Dans ce quartier, on a évité l’affrontement de deux cités. Sous la pluie, lorsque les eaux ont commencé à envahir les maisons, les jeunes sont allés s’en prendre à la clôture de la cité voisine.

« C’est leur clôture qui est à la base de notre malheur. Cela empêche l’eau de passer par leur clôture robuste ». Ils ont réussi, dans leur furie, à faire une fente dans la clôture mais n’ont pu la faire tomber. C’est que le mur est fait en béton armé, bien armé. « Depuis samedi, nous sommes confinés dans la maison. Heureusement que c’est une villa en duplex. Tous nos appareils en bas sont gâtés ».

Ici, on a tenté de faire quelque chose « c’est la troisième fois que nous subissons les inondations. Nous avons saisi les autorités compétentes depuis 2014 mais rien n’est fait. Même la clôture de la maison d’Alpha Blondy a été détruite pour libérer tout un quartier. Pourquoi on ne peut pas casser la clôture de Fondasso ? », se demandent-ils.

Dans la cité Fondasso, on ne se reproche rien. « Notre quartier n’est pas un caniveau ni une lagune. Ils veulent qu’on partage leur inondation mais ça, jamais ». Qui a raison ? De fait, les deux citées sont sous la menace des eaux. En cas de pluies aussi fortes, l’eau infiltrera beaucoup plus de maisons.

Les pluies du week-end ont provoqué d’autres inondations. À Yopougon, des véhicules à la rue princesse ont failli se retrouver dans le gros caniveau qui draine l’eau usée vers la lagune. Situation similaire en zone 4 et à Abobo.

BLEDSON MATHIEU