Liberté provisoire à 70 détenus pro-Gbagbo: vers l'impunité consacrée ?

  • 03/02/2014
  • Source : Le Pays
Le régime d'Alassane Dramane Ouattara a encore fait un geste à l'endroit des pro-Gbagbo. En effet, il vient d'accorder une liberté provisoire à 70 détenus composés de militaires et de civils. S'achemine-t-on vers une impunité en Côte d'Ivoire ?

En tout cas, la question n'est pas saugrenue eu égard aux derniers actes posés par le gouvernement ivoirien. En effet, après la chute de leur mentor, Laurent Gbagbo, beaucoup de ses partisans s'étaient réfugiés dans des pays voisins pour sauver leur peau.
 
Cependant, si dans un premier temps, de nombreuses arrestations ont été opérées au sein des partisans de l'ex-président, depuis quelque temps, plusieurs tenors de la galaxie Gbagbo, dont l'ex-Premier ministre Aké N'Gbo et le président du FPI, Pascal Affi Ngessan, ont bénéficié d'une liberté, provisoire en théorie, mais pratiquement définitive dans les faits.

Sur la même lancée de la décrispation, le président Alassane Ouattara a appelé tous les exilés à regagner le bercail pour contribuer à la reconstruction du pays. Exprimant l'engagement du gouvernement à garantir un « retour sécurisé » aux exilés qui rentreraient au pays, son ministre de l'Intérieur et de la sécurité, Hamed Bakayoko, a promis que non seulement ils ne seraient pas inquiétés, mais aussi qu' « aucun exilé ne sera arrêté à l'aéroport ».

En choisissant de faire confiance aux autorités ivoiriennes, ces ex-exilés les mettent dos au mur
 
Ainsi, en plus de l'ex-DG du port autonome d'Abidjan, Marcel Gossio, un des piliers du régime Gbagbo, rentré mi-janvier de son exil marocain, après près de trois ans, plus d'un millier d'exilés, en majorité des hommes en uniforme, ont aussi regagné le bercail.

Sont-ce les dures conditions de l'exil qui les y ont contraints, où est-ce le message de réconciliation qui les a convaincus ? Quoi qu'il en soi, en choisissant de faire confiance aux autorités ivoiriennes, ces ex-exilés les mettent dos au mur, ce d'autant qu'elles sont obligées de respecter leur parole si elles ne veulent pas entamer leur image et leur crédibilité auprès de leurs compatriotes et de la communauté internationale.
 
L'on comprend la volonté du président Ouattara de montrer des signes de décrispation, car il a besoin de rassurer les investisseurs, du retour de son pays à la normalité pour continuer à bénéficier de leur confiance.
 
Mais, lui et son gouvernement gagneraient à clarifier davantage leur position. En effet, pendant qu'on dit que les mandats d'arrêts sont « une affaire de justice », on dit en même temps que nul ne sera inquiété.

Quelle lecture faut-il avoir de ces propos dans la mesure où certains caciques du pouvoir déchu, tel Blé Goudé, ont été traqués à l'extérieur et ramenés manu militari au pays où ils sont en détention, et que d'autres comme Séka Séka ont été alpagués et mis au frais en attendant d'être jugés ? Si tout le monde peut rentrer sans être inquiété, autant mener un plaidoyer pour la libération de tous les détenus et de Laurent Gbagbo pour boucler la boucle.

Plus que quiconque, les Ivoiriens mesurent aujourd'hui, à sa juste portée, tout le sens du mot paix
 
La paix est devenue une nécessité en Côte d'ivoire. Et là d'où revient le pays, aucun Ivoirien ne serait prêt à revivre les affres de cette guerre fratricide absurde. Car, plus que quiconque, les Ivoiriens mesurent aujourd'hui, à sa juste portée, tout le sens du mot paix dont feu le président Félix Houphouët Boigny s'était fait le chantre durant son règne.
 
Par ailleurs à l'analyse, on a le sentiment que les autorités ivoiriennes sont en train de sacrifier la justice sur l'autel de la réconciliation. Si cela peut définitivement résoudre leurs problèmes, on ne peut que saluer leur initiative. Toutefois, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur les conséquences éventuelles d'une telle situation.

Quelle peut être la réaction des parents des victimes qui attendent justice ? La Commission Dialogue vérité et réconciliation a-t-elle suffisamment préparé les esprits ? En plus, comment absoudre au nom de la réconciliation, tous ces crimes de sang, tous ces crimes économiques ayant engendré des fortunes colossales thésaurisées dans des comptes à l'extérieur, qui sont en train d'être dégelés, sans consacrer l'impunité ? En cela, les craintes du Mouvement ivoirien des droits de l'Homme (MIDH) sont largement fondées.
 
Doit-on a contrario comprendre que certains exilés pourraient être poursuivis tout de même ? Et si oui, dans quelles conditions ? Autant de questions qui méritent une clarification, tant le président ADO donne le sentiment d'être pris entre le marteau de la justice et l'enclume de la réconciliation.

Si fait qu'il donne d'impression de se livrer à un jeu de quitte ou double : soit il en tire les dividendes, soit il est négativement sanctionné à la présidentielle de 2015 qui se profile déjà à l'horizon et pour laquelle les uns et les autres sont déjà dans les starting-blocks. Il faut seulement souhaiter qu'il ne finisse pas par y perdre son âme.
 
Outélé KEITA