Libération des détenus graciés à la Maca : 15 redoutables criminels libérés ?

  • 23/12/2013
  • Source : Nord-Sud
La grâce présidentielle accordée à trois mille détenus (incarcérés pour des délits mineurs), en septembre, a visiblement aiguisé bien des appétits de certains magistrats. Pour des espèces sonnantes et trébuchantes, le juge d’application des peines a libéré quinze redoutables criminels en détention à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca).

Ne soyez pas étonnés de les rencontrer au détour d’une ruelle de la capitale économique ou d’une ville de l’intérieur du pays. De redoutables criminels libérés, d'anciens vendeurs de drogues et d’armes à feu respirent, depuis octobre, l’air frais de la liberté. La grâce présidentielle accordée par Alassane Ouattara en septembre aux trois mille détenus de droit commun a-t-elle été dévoyée? Selon des sources très introduites, quinze dangereux malfrats auraient été illégalement remis en liberté moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes. Précision de taille : La mesure du président de la République ne concerne que les auteurs de délits mineurs. A savoir les faits de vol simple, d’abus de confiance, d’escroquerie, de faux et usage de faux  en écriture administrative, de coups et blessures volontaires, de violence et voie de faits. L’objectif de cette décision, selon le communiqué du conseil des ministres extraordinaire du vendredi 20 septembre 2013, vise à désengorger les prisons. Selon nos informateurs, les dispositions arrêtées par le décret ont été violées. Parmi les bénéficiaires illégaux, l’on cite le nom de D. Soumaïla. Placé sous mandat de dépôt le 17 août 2012, il a été jugé et condamné le 27 août dernier à dix ans de prison ferme par le tribunal des flagrants délits d’Abidjan-Plateau, qui l’a déclaré coupable des faits de détention illégale d’armes à feu et de munitions de guerre de première et sixième catégorie. Incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) sous le numéro 001/0101/1/3848/2012, Soumaïla a séjourné seulement quatorze mois au pénitencier de Yopougon. Le pensionnaire du bâtiment C a recouvré la liberté le 22 novembre, précisent nos sources. «J’ai profité de la grâce présidentielle. Il y avait un réseau et j’ai sauté sur l’occasion. J’ai réuni la somme de 150.000 Fcfa, et je suis sorti de la prison», a-t-il confié à un de ses proches. Naturellement, Soumaïla s’est planqué depuis sa libération. Tout comme d’autres redoutables criminels ayant profité de cette voie illégale. H. N. Elvis, 35 ans ; C. Moustapha, 30 ans et S. N. Adama, 29 ans ont pris individuellement vingt ans de prison ferme pour vol de nuit en réunion à main armée. Condamnés le 8 mars 2013, neuf mois après, la bande à Elvis sort de la Maca.
 
D’après nos sources, les trois chenapans ont payé la somme de 300.000 Fcfa pour jouir de cette liberté. Certains détenus condamnés pour des délits majeurs sont également bénéficiaires du fameux "réseau". Ecroué à la prison civile d’Abidjan pour les faits de détention illégale d’arme à feu et détention de cannabis en vue de la vente sous le numéro 001/0101/1/1711/2013, T. Abdoulaye n’aurait pas purgé sa peine de 10 ans. B. Ibrahim (N° 0001/0101/1/3198/2012), B. Mathurin (N° 001/0101/1/1397/2013) ; D. Z. Jean Claude (N°001/0101/1/1394/2013) et S. Ismaël (N°001/0101/1/3199/2012) ont mis la main à la poche. D’après nos contacts à la Maca, ces trois gangsters ont payé individuellement 100.000 FCfa. Sans nous donner la preuve de ces paiements. Condamnés à cinq ans de prison ferme pour vol et détention illicite d’arme de guerre, Mathurin ; Jean-Claude et Ismaël ont aussi recouvré la liberté avant l’heure. Comme eux, sept autres dangereux (voir la liste) brigands ont utilisé le même "réseau". 
 
C’est le juge qui décide
 
Le dimanche 1er décembre, nous nous sommes rendus à la Maca pour interroger le régisseur. Mais nous n’avons pas pu voir Koné Kléban qui était retenu à l’intérieur de la prison par une fête de la communauté catholique du pénitencier. En absence, c’est le chef de compagnie, le lieutenant Gué Tianin qui nous a reçus en présence du secrétaire à la communication du Syndicat national des gardes pénitenciers de Côte d’Ivoire. Après avoir pris connaissance de la liste que nous détenons, Gué Tianin opte pour une vérification dans les fichiers. Mais cela n’était pas possible ce dimanche en l’absence des membres du service informatique. L’interlocuteur nous propose de revenir le lendemain, en instant sur l’autorisation que nous devions demander au régisseur. Le lundi 2 décembre, nous téléphonons à Koné Kléban en vue de nous rendre à la Maca. Au bout du fil, le patron de la prison civile de Yopougon affirme qu’il n’est pas nécessaire que nous venions jusqu’à lui parce que, a-t-il dit, ce n’est pas au niveau de la maison pénitentiaire que sont prises les décisions de libération des détenus. « C’est le juge d’application des peines qui décide. Nous ne faisons qu’exécuter. Interrogez donc le juge d’application », a répondu M. Koné. Le mercredi 4 décembre, nous nous sommes rendus au tribunal d’Abidjan-Plateau pour y rencontrer le juge en question. Il se nomme Alla Kouamé. Il est le juge d’application des peines de cette juridiction à laquelle est rattachée la prison civile d’Abidjan. Nous sommes à la présidence du siège au 1er étage. Au second étage, se trouve le parquet. Après quinze minutes passées dans la salle d’attente, le sergent-chef de police en faction nous annonce à travers le téléphone fixe.  Quelques minutes plus tard, le juge nous fait appel. On emprunte le couloir puis à notre gauche nous retrouvons le bureau du juge.

A la suite des civilités, on lui indique l’objet de notre présence.  «Je suis surpris. Donnez-moi les noms de ceux qui vous ont donné ces informations. Je veux aussi voir le document en question», insiste notre interlocuteur. Nous évoquons le code de déontologie du journaliste en son article 13 qui stipule : "Ne jamais révéler les circonstances dans lesquelles le journaliste a connu le fait qu’il rapporte, et ce, pour la protection de la source de l’information qu’il a pu recueillir. A l’exception notable des sources que l’anonymat permet de sécuriser, ne jamais publier d’information dont le fournisseur réclame ou exige l’anonymat ou n’est ni identifié ni identifiable" Le juge insiste pour que nous lui divulguions l’identité de nos informateurs. Nous lui répétons invariablement que cela est impossible. «Je suis surpris. Dans ce cas, je réserve ma réaction pour demain (jeudi 5 décembre, Ndlr). Appelez-moi entre midi et 14 heures», lance-t-il. Rendez-vous est donc pris pour le jeudi 5 décembre. Ce jour-là, à 12 heures 15 minutes nous rencontrons en contact téléphonique avec le juge Alla pour lui signifier que nous sommes dans la salle d’attente. Il nous répond : «Je suis encore à la Maca (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, Ndlr). Je vais finir dans deux heures.» Nous patientons jusqu’à 14heures 30 minutes. Point de juge. Alors nous recontactons le magistrat. Il affirme qu’il est en route pour le palais de justice. C’est à 15 heures 15 minutes, soit après trois heures d’attente, qu’il nous reçoit pour la seconde fois dans son bureau. Cette fois-ci il n’est pas seul. Il a fait appel au doyen des juges d’instruction militaire, le commandant Koffi Roger. L’entretien tourne à une audition en présence d’un substitut du procureur de la République. «On vous écoute maintenant. Mais auparavant débarrassez vous de votre téléphone portable», déclare le juge Alla. Face à notre refus, le juge menace de confisquer notre téléphone. Le ton monte d’un cran.  Il insiste en vain. La tentative d’intimidation est tuée dans l’œuf. Le juge Alla retrouve son calme. Il se contente d’affirmer que  l’information est très grave. «Je ne veux pas donner ma réaction aujourd’hui (jeudi, Ndlr). Je vais réagir en présence de mon chef hiérarchique qui est le président du tribunal (Coulibaly Hamed Souleymane, Ndlr). Donc, revenez me voir lundi (9 décembre, Ndlr) à 11 heures.». Au passage, notre interlocuteur nous demande de lui donner le contact téléphone du directeur de publication, Diomandé Choilio.   Pour quoi faire ? Une fois encore nous opposons une fin de non-recevoir à la requête. Le 9 décembre, nous nous rendons au tribunal d’Abidjan-Plateau pour rencontrer le juge d’application des peines. Tout au long du trajet, nous avons tenté en vain de le joindre par téléphone afin de lui annoncer notre arrivée. Sur place, l’agent de police nous a indiqué que le magistrat n’est pas à son bureau. «Je ne sais pas où il se trouve. Son bureau est fermé à double clefs », affirme le sergent-chef. Après trente minutes d’attente, nous quittons les lieux en prenant soin de dire au policier de signifier au juge notre passage. En plus, nous lui avons envoyé via notre téléphone portable un message pour lui notifier l’objet de notre présence. Nous adresserons un courrier au juge Alla pour solliciter une interview en vue de recueillir sa version des faits. La correspondance est réceptionnée le 16 décembre à 12 heures 3 minutes. Nous avons été reçus par Mme Kalou, l’une des secrétaires du président du tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau. Après lui avoir remis la copie originale du courrier, celle-ci fait une décharge sur la photocopie attestant ainsi que la lettre a été bel et bien reçue en main propre. Depuis cette date, nous n’avons pas obtenu de réponse.
 
L’administration pénitentiaire s’en lave les mains 
 
Pour l’exécution du décret relatif à la grâce présidentielle tel qu’il a été monté, la libération de détenu par ce canal ne peut pas être faite par erreur, soutient Ouata Babacar. Interrogé le 11 décembre à son bureau à la Tour D 14ème étage au Plateau, le directeur de l’administration pénitentiaire nuance sa réponse. « Mais il peut arriver que, profitant de cette situation, des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, des régisseurs ou alors des collaborateurs des régisseurs mettent en liberté des individus qui ne bénéficient pas de la grâce. Si ces prisonniers sont libérés de façon anormale, ils sont en situation d’évasion parce qu’ils ne sont pas sortis par la voix régulière. Dans ce cas, des recherches seront effectuées. La responsabilité incombe au régisseur et par la suite à tous ceux qui ont participé à cette forme de libération. Toutefois, il faut que cela soit dénoncé. Il faut que cela soit porté à la connaissance de l’autorité pénitentiaire pour que des enquêtes soient faites et que des sanctions puissent être prises », a-t-il promis en précisant que les libérations de détenus ont été faites sur instruction du procureur de la république et du juge d’application des peines. « Si des personnes ont été mises en liberté alors qu’elles ne devaient pas bénéficier de la grâce présidentielle, alors nous allons ouvrir une enquête pour voir clair dans cette affaire. Des sanctions vont tomber si la responsabilité de ceux qui ont en charge la gestion quotidienne de la Maca est établie.

Soyez sûrs que nous serons intransigeants sur la question», insiste-t-il. Le patron des trente trois prisons que compte la Côte d’Ivoire souligne qu’en matière d’infractions sur les stupéfiants, les détenus qui peuvent bénéficier de la grâce présidentielle ne sont pas ceux condamnés pour consommation de drogues et de stupéfiants. « Concernant les armes à feu, il faut faire la différence entre les armes de guerre et les armes de calibre 5 qu’on appelle communément "fusil de chasse". Pour les armes de calibre 12, elles ne sont pas inclues dans les infractions devant être exclues des bénéfices de la grâce présidentielle. Donc, ces personnes qui ont été poursuivies et condamnées pour détention de types d’armes peuvent faire l’objet de libération. Cependant, concernant ceux qui détenaient des armes de guerre, ils sont exclus du décret de libération parce qu’en général ce genre d’infraction s’associe à ceux d’atteinte à la sûreté de l’Etat», clarifie le directeur de l’administration pénitentiaire. 
 
Ouattara Moussa