Au moins 20 000 personnes ont défilé à Paris dimanche contre le projet de loi de Marisol Touraine.
e n’est ni la révolution ni un raz de marée, mais une belle et grosse manifestation d’hiver à quelques jours du printemps. Et surtout avec une forte composante de jeunes internes et médecins, donnant une tonalité tonique à un mouvement très éclaté dans ses revendications.
«Tous unis pour la santé de demain, non au projet de loi santé», pouvait-on lire, dimanche, sur la banderole qui ouvrait le cortège. Un slogan qui fut l’occasion d’infinies discussions pour mettre d’accord les dizaines de syndicats de médecins libéraux qui appelaient à descendre dans la rue. Mais derrière lequel ont marché plusieurs dizaines de milliers de blouses blanches en colère contre le projet de la ministre de la Santé, Marisol Touraine. 19 000 selon la police et 40 000 d’après les organisateurs. Ambiance bon enfant. «On n’est pas là pour que rien ne bouge. On le vit, le système est à bout de souffle, on aime notre métier mais on veut que cela bouge dans le bon sens», explique une jeune médecin du Rhône.
Tout du long, des pancartes en tous genres donnent le ton : «Oui à une équité tarifaire»,«Ras le bol. Moins de papier mais du temps pour soigner» ou encore «Je suis médecin, pas comptable». Voire cet étonnant slogan : «La médecine aux médecins.»Des membres du syndicat de médecins des Yvelines sont déguisés en bagnards, avec une banderole sans équivoque : «La future loi de santé, pour nous, médecins, le bagne, pour Marisol, tout baigne.» Un peu plus loin, ce sont «les Marisoldes de la santé» qui sont brocardés.
«Partenariats». Chose peu habituelle dans un cortège à très forte composante de médecins, aucune revendication affichée sur les honoraires. «On n’est pas là pour l’argent, insiste Jacques-Olivier Dauberton, qui préside Réagjir, un syndicat de jeunes généralistes tout juste installés. On ne veut pas cette loi, il n’y a aucune cohérence et nous avons le sentiment que l’on ne pourra plus faire notre métier.» Et il ajoute : «Sur le terrain, on n’a pas d’interlocuteurs, nous, on cherche des partenariats, des appuis et non pas une bureaucratie.»
C’est là le sentiment le plus partagé : ainsi, si une partie des manifestants réclame le retrait du texte de loi, voire la démission de la ministre, si d’autres se battent pour une réécriture du projet du gouvernement, tous dénoncent le manque de concertation. A l’évidence, la stratégie gouvernementale a manqué de finesse. Car cette loi devait être au départ une loi de pure santé publique, avec des mesures fortes contre le tabagisme, sur les salles de consommation de drogues à moindre risque mais aussi pour une meilleure organisation sur le terrain des actions de prévention.
Au fil des semaines, le texte de loi s’est alourdi jusqu’à devenir obèse, débordant d’articles. C’est là que la médecine de proximité a eu le sentiment de passer sous la coupe des agences régionales de santé. Puis que sont venues se greffer des annonces mal préparées sur la généralisation du tiers payant et la possibilité donnée aux pharmaciens de vacciner. Le tout dans un contexte particulier : l’année 2015 est une année d’élections professionnelles, scrutins qui se gagnent toujours dans une opposition forte aux pouvoirs publics en place.
«Malentendus». «C’est vraiment dommage, analyse une économiste de la santé. Tout le monde est d’accord sur le constat, notre système de santé est fatigué, la séparation hôpital-médecine de ville est à revoir. Et il y avait la nécessité de redonner sens aux médecins "de base".» D’autant que le monde de la médecine générale a changé : les femmes médecins sont majoritaires et l’exercice en groupe est de plus en plus plébiscité. «Or c’est finalement un tas de malentendus qui ont émergé», poursuit une figure du syndicalisme médical.
Au final, les uns comme les autres se retrouvent face à un rendez-vous manqué - à l’image des sondages très contradictoires qui ont fleuri ces derniers jours. Si les Français soutiennent très majoritairement les mouvements de contestation, ils se disent favorables, dans les mêmes proportions, au tiers payant généralisé. Faut-il noter, en plus, que la totalité des associations de malades, regroupées dans le Collectif interassociatif de la santé, soutiennent, elles, le projet de loi ?
Que va-t-il, dès lors, se passer ? Va-t-on vers le retrait de la loi, alors que le projet commence, mardi, son parcours en commission à l’Assemblée avant un débat en séance publique à la fin du mois ? Peu probable. Le docteur Claude Leicher, président de MG France, le reconnaît : «Le gouvernement n’est pas en état de retirer la loi mais il va y avoir de fortes modifications sur la généralisation du tiers payant mais aussi sur la vaccination, où l’on en restera à des expériences pilotes. De même, la notion de territoire de santé va bouger.»
Dimanche en fin d’après-midi, à l’issue de la manifestation, une délégation a été reçue par Marisol Touraine. Car, bizarrement, en ces temps de tension, la ministre et les syndicats se parlent quotidiennement. Mais cela risque d’être un peu tard, tout comme le fut l’annonce, par le Premier ministre la semaine dernière, d’une «grande conférence de la santé».
Par Éric Favereau Photo Éric Bouvet
Des internes manifestent le 15 mars à Paris. (Photo Joël Saget. AFP)