PORTRAIT
L’identité du Britannique qui apparaît sur la vidéo où l’Américain James Foley est décapité, a été révélée. Ce travailleur devenu barbare était surveillé par les services de renseignements depuis 2009.
Sept mois après sa première apparition glaciale dans une vidéo, masqué de noir, armé d’un couteau et sur le point de décapiter son premier otage, «Jihadi John» a enfin un nom et un visage. Mais le profil de Mohammed Emwazi, Britannique de 27 ans d’origine koweïtienne, reste confus. Agréable, travailleur et timide, ou solitaire, froid et sujet à des accès de violence ? Les témoignages peinent à construire une image cohérente du symbole des atrocités commises par l’Etat islamique. Même les photos restent rares et brouillées. Il y en a quatre. L’une le montre jeune adolescent sur une photo de classe. Le crâne rasé, il regarde l’objectif de côté, l’air renfrogné. Sur une autre, il apparaît vaguement moustachu, la tête couverte d’une casquette de rappeur. Une autre encore, récupérée au Koweït par le Guardian, le montre en 2010, alors qu’il y travaille comme informaticien. Le regard inexpressif, il a le visage encadré d’un chèche blanc et rouge.
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«Souffre-douleur». Et puis il y a ce petit garçon d’une douzaine d’années dans son uniforme d’école, pantalon gris et sweat-shirt rouge, qui sourit timidement au photographe, assis au premier rang. Mohammed Emwazi est alors élève de la Quintin Kynaston Academy, une école du nord de Londres. Selon l’ancienne directrice, Jo Shuter, rien n’aurait pu laisser supposer un tel destin. «Il a eu quelques problèmes à l’adolescence, a été pris un moment comme souffre-douleur, mais nous avons fait face à la situation. Et lorsqu’il est arrivé en terminale, il était un jeune homme travailleur, volontaire, qui est entré à l’université où il souhaitait étudier», a-t-elle raconté à la BBC Radio. Il a obtenu en 2009 un diplôme d’informatique à l’université londonienne de Westminster.
Une ex-enseignante a pourtant raconté qu’il avait eu des problèmes de violence, avait été vu par des psychologues. Pour Jo Shuter, il n’y «a rien qui puisse laisser supposer qu’il ait été radicalisé à l’école». Pourtant, deux autres anciens élèves sont devenus des jihadistes. L’un, Choukri Ellekhlifi - deux années au-dessus d’Emwazi - a été tué en Syrie en août 2013. L’autre, Mohammed Sakr, a trouvé la mort en février 2014 en Somalie, alors qu’il combattait aux côtés de l’organisation terroriste des shebab. Il était, selon d’anciens élèves, «le seul ami d’Emwazi».D’après un autre, ce dernier avait rejoint dès l’âge de 13 ans un gang qui commettait des cambriolages dans les quartiers aisés de Londres pour financer les shebab. Michael Adebolajo, un des tueurs du soldat Lee Rigby, décapité en pleine rue de Londres en mai 2013, aurait fait partie de la même «cellule».
Né au Koweït en 1988, Mohammed Emwazi est arrivé à 6 ans au Royaume-Uni. Sa famille, originaire d’une tribu nomade du sud de l’Irak, avait le statut d’apatride dans ce pays du Golfe. C’est après le rejet de sa demande de nationalité koweïtienne qu’elle aurait opté pour Londres. Le père, Jassim Abdulkarim, ancien policier, aurait été soupçonné d’avoir collaboré avec les troupes de Saddam Hussein lors de l’invasion du Koweït en 1991. Selon le Guardian, il vit pourtant aujourd’hui au Koweït avec d’autres membres de la famille, désormais sous la surveillance étroite des autorités. Emwazi serait vite entré dans le radar des services de sécurité. Sans être condamné. Le MI5 aurait même tenté de le recruter, en vain.
Safari. Selon l’organisation Cage, qui défend les personnes arbitrairement interrogées ou emprisonnées dans le cadre de la lutte antiterroriste, Emwazi a été «harcelé pendant plus de quatre ans» par les services de sécurité britanniques. Ce sentiment d’injustice aurait conduit à sa radicalisation, sous-entend Cage. Une opinion rejetée par les services secrets et par des experts en radicalisation, comme Shiraz Maher, de l’International Centre for the Study of Radicalisation, pour qui Emwazi est «un homme intelligent qui a choisi de partir en Syrie et d’y perpétrer ces atrocités».
Après son diplôme de fin d’études, en 2009, il se rend en Tanzanie. Interpellé à sa descente d’avion à Dar es-Salaam, il affirme venir faire un safari. Soupçonné de vouloir rejoindre les shebab en Somalie, il est remis immédiatement dans un avion pour Amsterdam, où le MI5 l’interroge. En 2010, il se rend au Koweït, y travaille dans une société locale informatique où il aurait été «le meilleur employé qu’on n’ait jamais eu», a raconté le patron au Guardian. En avril 2010, il rentre à Londres, puis se voit refuser un visa pour retourner au Koweït. En 2013 il disparaît. On le retrouve en août 2014, sur une atroce vidéo filmée en Syrie.
Par Sonia Delesalle-Stolper Correspondante à Londres
Le pavillon résidentiel où vivait Mohammed Emwazi, alias «Jihadi John», à Londres, le 28 février. (Photo Niklas Halle'n. AFP)