Fréjus Zerbo n'a pas oublié le béton de Ouagadougou

  • 22/03/2015
  • Source : Lamontagne.fr
L’intérieur du Limoges CSP a grandi entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso recevant une éducation « simple mais avec beaucoup de valeurs ».

Les racines africaines donnent parfois de robustes troncs. Fréjus Zerbo Louri n'en est pas encore un quand il débute le basket sur le béton de Ouagadougou. Avec ses chaussures de fortune sous un soleil de plomb, il n'est encore qu'un timide adolescent de 13 ans.

Avec des rêves de businessman plein la têteæ juste parce que le mot lui plaît. Bien plus que le goût de l'effort en tout cas : « Jeune, je n'aimais pas le sport. C'était une corvée. Je faisais juste du basket pour faire plaisir à mon père. Mais j'ai vite compris que ce serait le meilleur moyen pour moi de m'en sortir », rembobine le massif pivot du CSP.
 
Le salut de son père, né au sein d'un modeste foyer de cultivateurs de céréales, passa lui par l'exil. À 17 ans, Fulgence délaissa son Burkina Faso natal pour la Côte d'Ivoire où il rencontra Assetou, sa future épouse. Un choix difficile qui force encore l'admiration de son seul fils : « Il a tenté l'aventure pour s'installer dans un des pays de cette région de l'Afrique où l'on vit le mieux. Mon père, c'était un bosseur. Il a commencé pompiste avant de finir manager de la station. Toute sa vie, il a toujours beaucoup travaillé. On le voyait peu. »
 
Renvoi d'ascenseur
Fréjus Zerbo a d'autant moins vu son paternel dans ses jeunes années que ce dernier l'a forcé à effectuer le chemin inverse du sien pour « devenir un homme ». Élevé par ses grands-parents à Yaba au Burkina Faso entre 3 et 12 ans, le roc limougeaud apprend l'humilité au contact de voisins qui « parfois ne mangeaient pas de la journée ».
 
Élève intelligent bien que peu porté sur l'école, il retourne à Abidjan auprès de ses parents uniquement pendant les vacances scolaires. Il n'en garde aucune ranc'ur. Bien au contraire : « Pour mon père, il y avait trop de confort en Côte d'Ivoire pour y élever un enfant.

Il a fait le bon choix. J'ai reçu une éducation simple mais avec beaucoup de valeurs. On m'a appris à respecter les gens, rester positif et ne pas me plaindre. Il existe toujours des choses bien plus difficiles que celles que l'on vit ». Il ne l'oubliera jamais. Encore moins après son départ pour la France à 15 ans. Depuis qu'il gagne sa vie, chaque mois, comme la plupart des basketteurs professionnels africains, Fréjus Zerbo "envoie de l'argent au pays".

Par pudeur, il ne donnera pas de montant précis. Seulement consentira-t-il à évoquer un quart de son salaire. Aider les siens sonne dans sa tête comme une évidence : « Quand tu réussis, tu es obligé d'aider ta famille restée en Afrique parce que la misère y est beaucoup plus grande. Si tu trouves un logement à ta mère, tu sais très bien que tu vas payer le loyer. Si elle est malade, tu paies aussi la facture. Tu dois renvoyer l'ascenseur à la femme qui t'a mis au monde et élevé. C'est dans notre culture. »
 
« On m'a appris à respecter les gens, rester positif et ne pas me plaindre »
 
Seul garçon aux côtés de trois s'urs, Fréjus Zerbo ne veut pas d'un statut de privilégié dans sa famille : « En Afrique même si les mentalités sont en train d'évoluer, quand tu es le seul fils, tu as le droit à tout. Je n'aime pas ça et ne revendique rien. Pour moi, mes s'urs possèdent les mêmes droits que moi. » L'an dernier, suite au décès de son père, il a accompli tous ses devoirs de « premier fils » en organisant les funérailles sans rien exiger en retour.
 
Au nom des siens, Fréjus Zerbo, qui retourne chaque année à Abidjan, est prêt à tout. Mais le temps où il cédait à toutes les sollicitations est révolu. « Quand je reviens là-bas, j'évacue tout le stress. Il n'y a rien de mieux que d'être avec tes proches qui t'aiment. Après, je suis parfois un peu perçu comme la poule aux 'ufs d'or par certains. Mais tu ne peux pas aider tout le monde. J'ai appris à dire non », glisse-t-il.
 
Un jeune choqué
S'il conserve toujours l'Afrique au fond de son c'ur, Fréjus Zerbo s'est depuis longtemps parfaitement adapté au style de vie européen et à sa culture. Qu'il semble loin le temps où le gamin d'Abidjan se sentait « choqué après avoir vu des jeunes de 15 ans s'embrasser dans le bus » ou incrédule devant le départ « des grands-parents en maison de retraite ».
 
Aujourd'hui, il l'avoue sans peine : il ne se verrait pas une seconde « vivre 100 % du temps au pays à cause du climat, des mentalités ou de l'espérance de vie ». Dans ses veines a beau couler un mélange de Burkina Faso et de Côte d'Ivoire, dans sa tête résonnent désormais seulement les bons souvenirs de l'Afrique. Et sans doute le bruit des rebonds de ses premiers ballons sur le béton de Ouagadougou.
 
Matthieu Marot