Perdu dans les sapins et les fougères du Morvan, l'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Saint-Léger-de-Fougeret, dans la Nièvre, forme chaque année une poignée d'imams « made in France ».
Dès l'aube, quelque deux cents élèves - garçons et filles - se pressent pour rentrer en classe. Le visage studieux, ces étudiants sont en majorité français (70 %), les autres viennent de toute l'Europe.
Certains sont là pour un ou deux ans, le temps d'apprendre l'arabe littéraire, d'étudier le Coran et d'acquérir des notions de théologie musulmane. On y apprend notamment à replacer les versets du Coran dans leur contexte historique et à ne pas les prendre au pied de la lettre.
Pour ceux qui se destinent à devenir enseignants, aumôniers ou imams, le cursus dure en général sept ans. Chaque année, entre 5 et 10 imams diplômés sortent de l'institut.
Une professionnalisation souhaitée depuis 2003 par les pouvoirs publics et encouragée récemment par le ministre de l'intérieur Manuel Valls, bien que cette fonction, mal ou pas rémunérée, ne soit toujours pas reconnue officiellement.
Cet institut privé, créé en 1992 à l'initiative de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF, proche des Frères musulmans), est installé dans une ancienne colonie de vacances. Il ambitionne de « former des imams pourvus d'une solide connaissance de l'islam et des réalités socio-culturelles européennes ».
Il s'agit alors de trouver une alternative au recrutement à l'étranger d'imams, qui ne parlaient que l'arabe et connaissaient peu ou pas les moeurs françaises.
« La formation d'imams issus de la société française est indispensable; aujourd'hui 70% des fidèles ne parlent pas arabe », estime le directeur de l'IESH, Zuhair Mahmood, rappelant « le manque cruel d'imams ». Il y a 3.000 lieux musulmans de culte dans l'Hexagone et l'IESH a formé moins de 200 imams jusqu'à présent.
« Depuis tout petit, je rêve de devenir imam, raconte Ouahib, 18 ans, titulaire d'un bac pro, mais sept ans c'est long et on n'a pas de bourse ». Financé au départ par les pays du Golfe, le centre dépend beaucoup des frais de scolarité, s'élevant 3.400 euros l'année (nourriture et logement compris).
Abstraction faite du cadre bucolique, l'ambiance des couloirs des préfabriqués fatigués ressemble à celle de la fac. A la pause, les hommes, souvent barbus, et les femmes, toutes voilées, qui peuvent suivre les cours sans prétendre à l'imamat, patientent pour un café, après avoir suivi une vingtaine d'heures de cours par semaine.
Après deux ans de cours par correspondance, Saïd, un Niçois de 33 ans né au Maroc, a quitté sa famille pour « approfondir sa connaissance de l'islam » et « s'il y arrive, devenir imam ». « C'est ma vocation. J'aimerais transmettre mon savoir aux autres et surtout lutter contre les extrémismes », dit-il.
Dans sa classe, ils sont une dizaine à écouter les interprétations de la 12e sourate, dans le cadre de leur troisième année de théologie, qui comprend également une introduction aux lois françaises. Ensuite, chacun à leur tour, ils récitent un passage du Coran.
« Être imam, ça ne s'invente pas. C'est une vraie responsabilité. Nous devons être des garde-fous », affirme Saïd, déplorant toutefois que « les imams modérés soient boudés par les personnes en pleine crise identitaire ».
Son professeur de théologie Larbi Belbachir abonde : « Le radicalisme est toujours dû à l'ignorance. On ne peut transmettre un message sans connaître le français. L'islam peut s'adapter et n'interdit pas de respecter les lois ».
Traditionnellement, ce sont les fidèles qui choisissent leur imam, bénévole ou rémunéré grâce aux dons. Ceux qui officient dans des grandes mosquées peuvent gagner 1.500 euros.
Tous sont déclarés comme éducateur ou enseignant mais jamais comme imam. « Lorsque ce métier sera reconnu et rémunéré comme tel, explique Saïd, cela fera peut-être naître plus de vocations... ».
L'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Saint-Léger-de-Fougeret, dans le Morvan, forme chaque année une poignée d'imams « made in France ». Une professionnalisation souhaitée depuis 2003 par les pouvoirs publics, bien que cette fonction, mal ou pas rémunérée, ne soit toujours pas reconnue officiellement (photo AFP).