En Côte d’Ivoire, les ex-combattants sommés de rendre les armes

  • 02/07/2015
  • Source : Lemonde.fr
A Bouaké, l’ancien capitale des rebelles des Forces nouvelles (FN), les anciens ennemis se réinsèrent ensemble, et pansent les plaies.

 C’est ainsi que dans le camp de l’Onuci, à la sortie de la ville, sont réunis d’anciens combattants des FN ou des groupes d’auto-défense pro-Laurent Gbagbo. En tout, 361 « stagiaires », dont 21 femmes, se retrouvent dans ce camp après s’être désarmés puis démobilisés.
 
Au camp de socialisation de Bouaké, ces ex-combattants bénéficient d’un appui psychologique, imaginent leur futur en se formant à un métier et se lancent dans la vie civile. « Au final, on s’est sensibilisé entre nous et on s’entraide car on aspire à la même chose, une vie sereine et en paix », confie Abdoulaye Coulibaly, 35 ans, qui a rendu son MAS 36 et s’apprête à ouvrir une ferme de volaille à Bouaké avec les 800 000 FCFA d’aide (1 220 euros) qu’il a reçues.
 
Plus loin, un groupe d’une cinquantaine d’anciens combattants vêtus d’un uniforme vert suivent un cours en plein air. Plusieurs d’entre eux ont été « récupérés » dans des lieux publics tels que des hôtels et des universités au cours de l’opération Bonheur lancée début juin, pour extirper des éléments des FRCI à qui certains anciens commandants de zone faisaient miroiter une intégration dans l’armée.
 
Cette étape de « resocialisation », créée par l’Autorité de désarmement, démobilisation et réinsertion (ADDR) dirigée par Fidèle Sarrasaro qui vient d’être nommé conseiller du chef de l’Etat, Alassane Ouattara, est une première.
 
Sur tout le territoire ivoirien, l’ultimatum avait été fixé au 30 juin : plus question pour les ex-combattants de circuler armés. « C’est terminé. Ceux que nous verrons avec des armes qui n’ont pas le droit de les porter, seront neutralisés par la force et seront traduits devant la justice », a affirmé le 26 juin, Alassane Ouattara. 
 
Sur la voie menant à la prochaine élection présidentielle, prévue en octobre, le président a opté pour la fermeté afin de fermer la parenthèse des ex-combattants, qui selon des analystes, maintenaient le pays dans un climat pesant, faisant de leur avenir un enjeu important.
 
« La majorité des ex-combattants a déposé les armes. Maintenant, même si le processus doit se poursuivre, cette action montre que le gouvernement est dans une nouvelle dynamique et qu’il veut achever définitivement ce dossier », estime le politologue Geoffroy Julien Kouao, enseignant de droit à l’université du Maghreb d’Abidjan.
 
Samedi 27 juin, 57 791 ex-combattants s’étaient reconvertis dans la vie active ou étaient en cours de reconversion. Ils ont pu bénéficier d’une formation professionnelle de deux mois, rémunéré à 60 euros. Pour chacun de ceux qui n’avaient pu obtenir un emploi, une enveloppe de 1 200 euros était disponible. Selon la Commission nationale pour la lutte contre la circulation des armes légères, 12 400 fusils d’assaut ont été saisis et plus de 2,6 millions de munitions.
 
Mais les risques ne sont pas totalement écartés : il resterait encore près de 10 000 anciens combattants qui se refusent à désarmer et menacent la sécurité intérieure. Personne n’ignore que de nombreuses armes restent en circulation et la résurgence du phénomène des coupeurs de route dans le nord du pays inquiète.
 
« Manipuler par la classe politique »
 
Ces deux dernières années, les ex-combattants se sont plusieurs fois signalés par des protestations dans le pays. « Nous avons combattu pour le président [Ouattara]. Aujourd’hui, nous sommes répudiés, sans que nos doléances ne soient satisfaites.

Nous n’avons pas encore dit notre dernier mot », a menacé Adama Bakayoko, un ex-combattant. Début juin, ils ont manifesté à Bouaflé (centre-ouest du pays) et à Yopougon (ouest d’Abidjan) pour exiger le paiement d’une prime de 500 000 fancs CFA (770 euros) qui leur aurait été promise.
 
« Il n’y a pas de risque à les voir perturber le processus électoral, assure Geoffroy-Julien Kouao. Leur problème est d’ordre social et non politique. Seulement, il est à craindre qu’ils soient une nouvelle fois manipulés par la classe politique qui croit, malheureusement depuis deux décennies, plus au règne de la force qu’à celui du suffrage et des idées. »
 
Cette expérience ivoirienne, présentée comme une réussite, pourrait inspirer la Centrafrique. Le budget de l’ADDR était pourtant limité : 162 millions de dollars, soit près de 2 500 dollars par ancien combattant contre 6 000 en République démocratique du Congo.
 
Alexis Adélé
contributeur Le Monde Afrique, à Abidjan
Joan Tilouine
envoyé spécial à Bouaké