Décryptage de son dernier message: Voici les vraies cibles de Blé Goudé

  • 30/03/2019
  • Source : Linfodrome
Charles Blé Goudé est libre depuis le 1er février 2019. Alors qu’il était, avec son mentor Laurent Gbagbo, poursuivi pour « crimes contre l’humanité », la Chambre préliminaire 1 de la Cour pénale internationale (Cpi) l’a acquitté. Aujourd’hui, couvert de son statut d’homme libre, il a entrepris d’user du droit que lui confère ou lui octroie cette liberté : la parole.

Son adresse aux « Ivoiriens », du mercredi 27 mars 2019, s’inscrit dans cette logique. C’est un « nouveau » Charles Blé Goudé, totalement métamorphosé, mais avec son éloquence toujours tranchante, qui s’est présenté aux Ivoiriens, dans une vidéo d’une durée d’environ 12 mn. Le ton est apaisant. La trame de son discours tourne essentiellement autour des thématiques liées à la paix, la réconciliation, la cohésion sociale, le pardon… Il est évident que cette sortie publique et solennelle de Charles Blé Goudé aura un impact direct sur ses partisans, dans une Côte d’Ivoire où les clivages politiques s’accentuent à l’approche des échéances électorales présidentielles de 2020. L’ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes sait qu’il est toujours dans le viseur du juge-président de la Chambre d’appel de la Cpi, le juge Chile Eboé-Osuji, dans le cadre d’un éventuel procès en appel. Des conditions leur ont été imposées et Blé Goudé sait qu’il n’a pas droit à la moindre erreur, tant en parole qu’en acte. Étant entendu que l’épée de Damoclès de la Cpi est toujours suspendue sur sa tête. C’est pourquoi, le message qu’il a délivré ne conduit pas directement à ses vrais destinataires. Il s’agit des juges d’appel de la Cpi, du chef de l’État, Alassane Ouattara, et à un degré moindre, de la représentante des victimes. Ce sont, au fond, les vraies cibles du message de Blé Goudé…

En spécialiste de la communication politique, l’homme de main de Laurent Gbagbo a parlé à ces entités, par « Ivoiriens » interposés. L’ex-«général » de la rue d’Abidjan a choisi la ligne et le style indirect, la formule collatérale, pour parler à la Cpi et à Alassane Ouattara. Une haute manœuvre de communication, planifiée à dessein. L’enjeu ? Polir son image auprès des juges d’appel, et donner des gages de bonne conduite aux autorités ivoiriennes. Comme pour dire : « je ne suis pas l’homme cruel que mes accusateurs ont voulu me faire passer. Je m’inscris dans la réconciliation ».

On le sait, l’acquittement de Blé Goudé et de Laurent Gbagbo n’est pas du goût du pouvoir d’Abidjan. Et plus grave, il intervient à une période très sensible en Côte d’Ivoire, à l’approche de l’élection présidentielle de 2020. La probabilité de leur retour en Côte d’Ivoire cause de sérieuses inquiétudes.

Car, leur présence va immanquablement rabattre toutes les cartes politiques… C’est pourquoi, dans le fond, Charles Blé Goudé a dit exactement, ce que les juges d’appel et la communauté internationale et les autorités d’Abidjan veulent entendre.  Mais, pour certains, le dernier ministre de la jeunesse et de l’emploi de Laurent Gbagbo a parlé à cœur ouvert, c’est-à-dire, franchement, sincèrement.

En revanche, pour d’autres, Blé Goudé a parlé de la pluie et du beau temps voire de tout et de rien, dans une mise en scène bien théâtralisée.

Des gages d’un homme « providentiel »

Néanmoins, une chose semble sûre : Charles Blé Goudé a abordé un sujet d’un intérêt crucial et palpitant aujourd’hui pour la Côte d’Ivoire. C’est la réconciliation nationale. Il sait que cette thématique reste le point focal de toutes les attentions en Côte d’Ivoire. Depuis la chute de Laurent Gbagbo, qui a sonné la fin de la belligérance ouverte, la réconciliation entre les Ivoiriens tarde à se faire une place dans le cœur des uns et des autres. En dépit des nombreuses initiatives de paix lancées par l’État, la réconciliation est toujours presqu’au point mort. Blé Goudé se pose donc en homme providentiel.

« Vengeances sur vengeances, revanches sur revanches ne feront que précipiter notre pays dans l’abîme, dans le chaos, bref dans un déclin irréversible. En revanche, je suis disposé à encourager toutes les initiatives en faveur de l’édification d’une société qui sache tirer les leçons de son passé douloureux », a-t-il indiqué. De fait, Laurent Gbagbo, acquitté et assigné en Belgique, et lui qui est toujours à La Haye, continuent de cristalliser une vive émotion, et symbolisent la souffrance du camp des vaincus. Conscient de fait, Charles Blé Goudé sort de son silence, non pas seulement pour redorer son image écornée dans une partie de l’opinion, mais pour appeler certains de ses supporteurs qui ont encore des traits durs, et qui nourrissent des sentiments de révolte et de vengeance, à tourner, définitivement, la page de la guerre. « Chers compatriotes, mon engagement pour la paix et la réconciliation n’obéit à aucune démarche intéressée ni à aucune tactique politicienne. Il est sincère et appuyé sur des convictions fortes ayant pour but de faire grandir notre pays. En effet, au regard de notre actualité socio-politique, chaque jour, les murs de la méfiance gagnent en épaisseur et en hauteur », a dit le fondateur du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep). « Pendant ces longues années de détention, j’ai sans cesse pensé à vous, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, ainsi qu’à notre bien le plus précieux que nous avons en commun : notre pays, la Côte d’Ivoire. Si le fil du dialogue a été rompu par les circonstances que vous savez, rien de vos questionnements, de vos inquiétudes relatives à l’avenir de notre nation, ne m’ont échappé ; pas plus que les douleurs qui vous ont affligés, et qui continuent malheureusement de vous habiter aujourd’hui encore, semblant jeter un voile épais sur l’avenir, notre avenir, que nous sommes pourtant obligés de réinventer ensemble. C’est ce dialogue que je renoue aujourd’hui, avec vous tous, sans exclusive. Quelle qu’ait été votre opinion sur ce que j’ai vécu : que vous m’ayez accablé ou que vous n’ayez jamais vacillé dans la confiance placée en moi, je suis heureux de me retrouver en votre compagnie, en homme libre », a poursuivi l’ex-co détenu de Laurent Gbagbo. Une opération de charme qui peut avoir son impact.

Pour cet analyste politique, « à la vérité, Blé Goudé essaye de faire baisser la tension dans son intérêt et dans celui de son camp, pour éblouir les juges de la Cpi qu’il espère infléchir par cette conversion soudaine au pacifisme. Et amadouer le pouvoir en place en lui donnant des gages de bonne volonté, afin que ce dernier ne soit pas effarouché par la perspective d’un changement au sommet, et ne se raidisse pas à l’approche des échéances électorales ».

Armand B. DEPEYLA