Côte d’Ivoire: "Le procès de Simone Gbagbo n’est qu'une improvisation"(Défense)

  • 24/01/2015
  • Source : AFP
Abidjan- Accusations faibles, enquêtes poussives, témoins hésitants : les premières semaines du procès des exactions commises lors de la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, dont l’ex-Première dame Simone Gbagbo est la tête d’affiche, se déroulent dans l’"improvisation", critique la défense.

Surnommée la "Dame de fer", Simone Gbagbo, 65 ans, est jugée depuis le 26 décembre devant les assises d’Abidjan aux côtés de 82 co-accusés pour "atteinte à la sûreté de l’Etat".
 
Ils doivent répondre de leur rôle présumé dans ces violences qui firent 3.000 morts et s’achevèrent par l’arrestation du couple présidentiel.
 
Aucune personnalité n’a pour l’instant été entendue, que ce soit Simone Gbagbo, Pascal Affi N’Guessan, l’ancien Premier ministre et actuel président du principal parti d’opposition ou Michel Gbagbo, fils de Laurent, l’ancien chef de l’Etat.
 
En attendant, les auditions des seconds rôles attestent d’une grande impréparation, voire d’une véritable pagaille. "On a l’impression que c’est une justice précipitée, qu’on veut juger rapidement des gens pour passer à autre chose. Alors qu’ils sont en train de jouer leur vie !", s’alarme Me André Blédé Dohora, membre d’un collectif défendant les accusés.
 
Quelques minutes plus tôt, c’est à la surprise générale que quatre accusés, dits pro-Ouattara, avaient été présentés à la cour. En effet, ce procès, fondamental pour la Côte d’Ivoire, est présenté par tous, autorités incluses, comme celui des pro-Laurent Gbagbo, dont le refus de reconnaître la victoire en 2010 de l’actuel chef de l’Etat Alassane Ouattara provoqua cinq mois de violences en Côte d’Ivoire. Plus de 3.000 personnes y perdirent la vie dans des exactions commises par les deux camps.
 
"Nous ne pouvons pas défendre des gens dont les paroles sont contradictoires", s’étrangle Me Blédé Dohora, dénonçant "la mauvaise organisation des assises". "Si les dossiers venaient à temps, on aurait décelé parmi les accusés ceux qui n’étaient pas des pro-Gbagbo", critique-t-il.
 
"La cour est saisie des faits et non des personnes. On ne cherche pas a savoir si celui-ci est pro-Gbagbo ou celui-là pro-Ouattara", rétorque un magistrat, qui dénonce quant à lui toute idée d’"improvisation".
 
Témoins hésitants 
 
Les auditions de témoins clé, primordiaux pour l’accusation, donnent pourtant l’impression d’une justice poussive. Leurs invraisemblables propos sont retransmis par des micros crachotants, dont le comique macabre fait parfois pouffer de rire le public, comme lors de ces échanges:
 
"- (Juge) : Etes-vous sûr que l’accusé ici présent était-là quand on a tué votre mari ?
- (Témoin) : Je ne sais pas. Mais son nom était cité dans toutes les exactions."
ou encore :
"- (Juge) : Avez-vous vu les accusés ?
- (Témoin) : Non. Mais on m’a dit que ce sont les chefs des milices."
 
Accusés ou simples témoins, les rôles peuvent vriller d’un moment à l’autre: ainsi, jeudi, une victime, gendarme de son état, a accusé un témoin policier d’avoir fait piller et incendier son domicile, où quatre personnes ont été tuées en avril 2011.
 
La veille, on avait attendu, en vain, l’arrivée de trois témoins. "On ne peut pas dire que l’enquête ait été mal faite. Mais les témoins présents ne sont pas les meilleurs pour la procédure", reconnaît, conciliant, Drissa Traoré, de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH).
 
Nombre de dossiers souffrent en outre d’une fragilité évidente, relève-t-il. Tels ce coiffeur, cet agent de sécurité et ce réparateur de téléphone, accusés avec un quatrième homme, d’avoir "fomenté des attaques qu’ils n’ont pas commises" à San Pedro (ouest).
 
Aucun d’eux n’avait d’arme, aucun d’eux n’a été violent, a-t-on appris durant l’audience. "Ces personnes n’ont rien à faire ici. On ne peut pas juger des gens aux assises pour des faits aussi faibles", s’indigne Me Rodrigue Dadjé pour la défense.
 
"Pour l’instant, on voit beaucoup d’actes isolés, commis par des lampistes.
 
On ne voit pas le lien direct entre les faits reprochés à ces personnes et les chefs d’accusation", remarque Drissa Traoré.
 
"En Afrique, on parle d’’atteinte à la sécurité de l’Etat quand on veut se débarrasser de quelqu’un", observe par ailleurs un expert africain des droits de l’Homme, qui critique, comme toute la société civile, la "justice des vainqueurs" en vogue en Côte d’Ivoire, où aucun dignitaire pro-Ouattara n’est pour l’instant inquiété.
ck-jf/dom