Côte d'Ivoire : Au nord, les prédicateurs étrangers et les motos dans la brousse attisent les craintes de djihadistes

  • 09/05/2016
  • Source : Lebabi.net
Depuis l'attaque de Bassam, le 13 mars dernier, la psychose s'est emparée de la population ivoirienne. Au nord du pays, un reportage de Le Point Afrique révèle que des phénomènes ont alimenté la suspicion d'une infiltration djihadiste.

 Par exemple, à Ouangolo, les autorités se sont inquiétées d'un ballet incessant et  inhabituel de motos en brousse tandis qu'à Korhogo, les va-et-vient de prédicateurs étrangers - souvent des Maliens - ont éveillé des soupçons, à tel point que Daouda Ouattara, le préfet des Savanes, leur a interdit de prêcher. « Nos imams ont tous les outils pour ça », se justifie-t-il.

En juin 2015, juste avant l'attaque djihadiste de Misseni, bourgade malienne à quelques kilomètres de la frontière ivoirienne, plusieurs villageois autour de Tingrela ont déclaré avoir vu des étrangers portant des kalachnikovs rouler de nuit à moto dans la brousse pour rejoindre le Mali.
 
Un policier de la ville confie sous le couvert de l'anonymat qu'un stock d'armes de guerre a également été trouvé à Missasso, un village à 25 kilomètres au nord, jouxtant la forêt de Sama, à cheval sur la frontière. 
 
Silue Ousmane, un responsable dozo à Korhogo a déploré le nombre de mosquées qui ne cesse de croître : "On voit des mosquées pousser en brousse, autour de Korhogo. On ignore d'où vient l'argent. Parfois, des voyageurs étrangers viennent dormir dedans"
 
"À l'hôtel, il faut donner sa carte d'identité. À la mosquée, il suffit de dire Salam Aleykum, indexant la mosquée Dramane Dagou qui hébergeait des étrangers pour la nuit et où la gendarmerie a fait une descente récemment. Lorsqu'on leur a demandé qui était leur tuteur, ils ont répondu c'est Dieu" 
 
Pour lui, pas de doute, il s'agissait de djihadistes. Une grande partie de ces voyageurs mystérieux appartiennent en fait à la confrérie Tabligh, fondée en Inde dans les années 20 et qui envoie ses fidèles en voyage (Khouroudj) pour répandre la religion musulmane. 
 
À Boundiali, à 100 kilomètres au sud de Tingrela, l'Association des musulmans de Côte d'Ivoire (AMCI) instalée en 2015 a été chassée pour ses liens présumés avec Ansar Dine Sud.
 
"Non seulement l'ONG faisait venir des précepteurs coraniques wahhabites, mais certains puits étaient tout le temps à sec. On s'est demandé si ce n'était pas des puits factices", raconte Ouassoulou Gnékpa, le préfet par intérim du département
 
L'ONG qui fait son apparition pour venir construire des écoles, des mosquées et des puits est venue, cachée  dans le sillage et à l'insu d'une autre organisation plus respectable : la Lipci (Ligue des prédicateurs islamiques de Côte d'Ivoire). 
 
L'Amci est adossée à une organisation saoudienne wahhabite prosélyte nommée Abel Alsona Aljamaa, « qui entretient des liens au moins doctrinaux avec les groupes djihadistes », selon Mathieu Guidère, islamologue et spécialiste de géopolitique du monde musulman.
 
Dans un rapport publié le 4 avril 2016, l'ONU rappelle qu'au moins 16 500 anciens combattants pro-Ouattara de la crise de 2011 n'ont toujours pas été démobilisés et que de nombreuses armes circulent encore dans la région. Les enquêteurs de l'ONU craignent que « les stocks d'armes qui se trouvent dans le nord de la Côte d'Ivoire ne soient détournés au profit de groupes armés illégaux ».
  
D'autant que les munitions retrouvées après les attaques djihadistes de Misseni et Fakola semblent provenir de Côte d'Ivoire. Un sous-préfet de la région des Savanes tient à tempérer ces discours alarmistes :« Ici, les musulmans pratiquent un islam souple et tolérant, ils ne peuvent pas être retournés comme ça, du jour au lendemain. »
 
Quant aux chasseurs traditionnels dozos, qui ont aidé l'armée de Ouattara pendant la crise ivoirienne, ils participent également à la surveillance, de manière moins subtile.
 
Après l'attaque de Grand-Bassam, Seydou Traoré, le coordonnateur national de la confrérie, avait promis à l'AFP vouloir « user de [leurs] pouvoirs mystiques, destinés à maîtriser les animaux féroces, pour dompter ces terroristes djihadistes ».
 
Ce genre de confusions, qui risquent de dresser les communautés entre elles, sont fréquentes.

Avec Le Point Afrique