Contribution : Inéligibilité à la présidence ivoirienne, Dahico peut-il sauver Ouattara ?

  • 10/08/2015
  • Source : L'Intelligent d'Abidjan
Depuis un moment, les partisans de la candidature d’Alassane Ouattara rappellent la candidature d’Adama Dahico à l’élection présidentielle de 2010 pour rendre plausible l’éligibilité de leur mentor à la prochaine élection présidentielle.

 C’est dans ce sens que le quotidien ivoirien, L’Intelligent d’Abidjan titrait à sa une du mardi 4 novembre 2015 : « L’Ivoirien Adama Dahico candidat en 2010 au mépris de l’article 35 » (de la Constitution). Dans la contribution qui suit, un juriste donne son éclairage et met fin à ce débat. 

Pour bien comprendre l’allusion, il importe de préciser que le sieur Adama Dahico (Dolo Adama à l’état civil), humoriste de renom, est d’origine malienne. Dans certains de ses sketches, il se plaît à souligner qu’il « vient de l’autre côté » des frontières ivoiriennes.

Il n’a donc jamais renié ses origines, contrairement à Alassane Ouattara, qui, comme lui, n’a aucun parent ivoirien (voir l’arrêt n° E 10.2000 de la Cour suprême qui avait décidé qu’il ne remplit pas les conditions de l'article 71 du Code électoral qui dispose, entre autres, que le candidat à l'élection des Députés à l'Assemblée Nationale doit être né d'un parent au moins Ivoirien).

La question se pose donc de savoir, comment, en dépit de ses origines maliennes, Adama Dahico a-t-il pu être déclaré éligible à l’élection présidentielle de 2010 ? Pour le savoir, il faut lire attentivement deux des trois décisions arrêtées par le Conseil constitutionnel en octobre et novembre 2009, lorsqu’il a été sollicité pour publier la liste des candidats à l’élection présidentielle. 
 
Dans la décision n° CI-2009-EP-026/28-10/CC/SG du 28 octobre 2009 invitant les candidats à compléter leurs dossiers de candidature, le Conseil constitutionnel a exposé le fondement juridique de ses décisions.

Les textes sur lesquels il s’est appuyé sont issus, d’une part de la légalité de crise (notamment la décision n° 2005-01 du 05 mai 2005 relative à la désignation, à titre exceptionnel, des candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2005)et, d’autre part, de la légalité ordinaire (la Constitution, le Code électoral, etc.).

De l’ensemble de ces textes, l’honorable institution a déduit qu’ils « consacrent deux catégories de candidats, à savoir d’une part, les candidats présentés par les partis politiques signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis, déclarés éligibles et, d’autre part, les autres candidats soumis aux dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires en vigueur ».

Mais, au lieu de traiter les candidats sur la base de ces conditions différentes, le Conseil constitutionnel a fait prévaloir « le respect du principe de l’égalité et, de manière particulière, le principe d’égal accès aux fonctions publiques électives ».

Ces deux principes sont prévus par la Constitution (article 13 et 30), par la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 (article 21-2) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 28 juin 1981 (article 13-2).

Tous les candidats soumis aux mêmes conditions d’éligibilité exceptionnelle
 
Le respect de ces principes impliquant de ne pas traiter différemment les personnes placées dans une situation identique, le Conseil constitutionnel a, en conséquence, soumis tous les candidats aux mêmes conditions d’éligibilité, conformément à l’esprit des différents accords politiques de sortie de crise qui suggérait une élection ouverte et donc inclusive.

En conséquence, il leur exigeait les pièces suivantes : « une déclaration personnelle de candidature revêtue de la signature du candidat ; une lettre d’investiture du ou des parti(s) politique(s) qui parraine(nt) la candidature, s’il y a lieu ; le reçu du cautionnement de vingt millions (20.000.000 F CFA) de francs CFA ; un extrait d’acte de naissance du candidat ou le jugement supplétif en tenant lieu ; une attestation de régularité fiscale ou tout autre document permettant de s’acquitter de ses impôts ».

Comme il est loisible de le constater, ce ne sont pas les pièces requises en application de l’article 35 de la Constitution. Il s’agit plutôt des pièces suggérées par la décision n° 2005-01 du 05 mai 2005 précitée, selon la lecture du Conseil constitutionnel.
 
En définitive, ce sont les mêmes conditions d’éligibilité exceptionnelle induite par l’application de l’article 48 de la Constitution qui ont été appliquées à tous les candidats.

La candidature d’Adama Dahico a donc été analysée sur la base des mêmes pièces que celles de MM. Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et les autres candidats. Parmi ces pièces, il n’était pas exigé par exemple un certificat de nationalité, encore moins celui des parents. 
 
Il convient de faire remarquer que le Conseil constitutionnel a consacré un développement particulier à la candidature d’Adama Dahico dans sa décision n° CI-2009-EP-28/19-11/CC/SG du 19 novembre 2009 portant publication de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle.

Bien que superfétatoires dans le contexte particulier de cette élection présidentielle, ces développements permettent de comprendre qu’au moment où Adama Dahico déposait sa candidature, il était devenu ivoirien par la voie de la naturalisation. 
 
En effet, il en ressort que Adama Dahico a produit, à l’appui des pièces accompagnant sa déclaration de candidature, son décret de naturalisation n° 2004-465 du 07 septembre 2004, dont l’article 2 dispose : «A titre exceptionnel, l’intéressé est relevé des incapacités prévues à l’article 43 du Code de la Nationalité Ivoirienne».

Parmi ces incapacités il y a le délai de dix ans, à partir du décret de naturalisation, pendant lequel l’étranger naturalisé ne peut être investi de mandats électifs pour l’exercice desquels la qualité d’Ivoirien est nécessaire.
 
Voilà énoncées les conditions dans lesquelles Adama Dahico a été désigné candidat à la présidentielle de 2010. Relevé des incapacités qui frappent l’étranger naturalisé ivoirien, sa candidature était d’abord et avant tout, conforme à la légalité de crise. 
 
Olivier Assouan
PhD, politologue
Boston, Etats-Unis