Commissariats, gendarmeries, casernes : dans la galère des policiers , des militaires...

  • 06/11/2013
  • Source : Nord-Sud
Trois ans après la crise postélectorale qui a vu la plupart de leurs lieux de travail détruits, des gendarmes, des policiers et des militaires continuent d’accomplir leurs missions dans des conditions humiliantes.

Lundi, 4 novembre, 15 heures 30 minutes. Au commissariat du 11ème arrondissement de Williamsville, dans la commune d’Adjamé. L’édifice est composé d’un bâtiment protégé par une clôture en forme rectangulaire, peinte d’un jaune défraichi et couverte de graffitis. La bâtisse est quasiment décoiffée, des feuilles de tôle manquent à son chaînage. Cette imperfection est perceptible de loin parce que la maison domine légèrement sa clôture. Mais un autre détail est frappant, c’est l’aspect noirâtre de la coiffe, visiblement vieillissante, de la construction. « Des badauds ont mis le feu au commissariat pendant la crise postélectorale. Ils l’ont  pillé…», indique le gérant d’une cabine téléphonique installé à proximité.
 
De petits commerces aux alentours
 
D’autres jeunes débrouillards tiennent aussi des stands, sous des parasols, dans le voisinage. Au nombre d’une demi-douzaine, ils proposent la plastification de documents à des requérants venus établir un papier administratif au commissariat. On les voit manipuler des certificats de résidence, des attestations d’identité. Bref, un petit commerce semble prospérer dans le coin eu égard à l’ambiance grouillante et joviale qui s’y dégage. Un vaste portail métallique exhibe une peinture rouge écaillée. Le revêtement qui a viré au marron, cache mal la vétusté de la grande porte. Elle est rouillée par endroits et paraît incrustée dans le pavé de ciment qui donne sur la cour. Dans l’enceinte, sont stationnés deux engins à moteur: un camion communément appelé ‘’Dix roues‘’ et une voiture de marque Peugeot. Les véhicules sont immobilisés dans des touffes d’herbes abondantes. Des emballages plastiques, des bouts de papier et d’autres débris jonchent la verdure. Elle-même est circonscrite à l’endroit où gisent les épaves.
 
Un dénuement insultant
 
A quelques centimètres des immondices, est dressée une table. Un meuble d’environ deux mètres sur un. Derrière, sont assis, en plein air, deux policiers.  Sans arme. Bienvenu à l’accueil ! Un homme et une jeune femme attendent là. Ils arborent un uniforme bleu vif. Une teinte qui ne veut pas forcément dire qu’ils sont heureux. Car, c’est au moyen d’un ventilateur, aux hélices couvertes de poussière, qu’ils s’éventent. De quoi les enrhumer ou leur infliger des maladies respiratoires. Mais ils font avec… Interrogé, l’un des agents explique volontiers qu’ils sont chargés d’enregistrer les plaintes et de donner des informations aux usagers. Ces derniers n’ont pour tout siège qu’un banc, sous le soleil. Drôle de salle d’attente.
 
Mais nous ne nous asseyons pas sur la vieille planche quand ils nous invitent à prendre place. Aussi, après le bref échange, ils nous autorisent à rencontrer leur chef. Ce dernier, le commissaire principal, Diakité Oumar Ahmed, travaille dans un bureau de la villa. Le premier coup d’œil dans la pièce de « près de 4m2 » laisse voir le dénuement. Pas de machine à écrire mécanique, pas d’ordinateur, pas le moindre fax. Le chef n’a que son stylo pour écrire. « Voici le bureau d’un commissaire au 21ème siècle ! ». Après s’être exclamé ainsi, d’un air ironique, il fait visiter le réduit. Inutile de chercher des carreaux sur le plancher, nu. Le revêtement a été enlevé et emporté pendant la crise. Que dire des vitres et des fenêtres ? Elles aussi ont subi le même sort dans cette razzia. Comme tout décoratif, un calendrier, actuel, pend au bout d’une pointe fixée contre le mur. Si une photo parlait, le portrait du président de la République placardé au-dessus du siège, une chaise à dossier, du commissaire s’offusquerait de cette scène dégradante pour un officier supérieur. Il devrait s’en étouffer, lui dont le bureau dégage une chaleur de fournaise.
 
Un ordinateur pour 6 officiers
 
Le second bureau qu’il nous fait visiter abrite six officiers, un capitaine et cinq lieutenants. La salle fait aussi 4m2, dont le plafond fait de contre-plaqués est à la merci de toiles d’araignée. Ici, l’attente se fait sur un banc. Un ordinateur à l’écran plat mais poussiéreux sert à la rédaction des procès-verbaux (Pv). L’un des utilisateurs de l’unique outil informatique confie qu’en l’absence d’une imprimante et d’un photocopieur, ils impriment les documents, enregistrés sur une clé Usb, dans un cybercafé non loin de là. Le secrétariat est doté d’une machine mécanique à dactylographier. Les agents se disputent un grand salon avec des scellés, des pièces détachées de mobylettes, par exemple. Dehors, un officier se tient debout sous un manguier. « Cet endroit lui sert de bureau, parfois. Il travaille ici quand leur bureau est chargé », indique, désolé, le commissaire. « Comme vous venez de le constater, nous travaillons dans des conditions extrêmement difficiles depuis octobre 2011», souligne-t-il. Ce commissariat, dépourvu de violon, compte 62 flics dont 12 officiers, 2 commissaires et 48 sous-officiers.
 
Aucune arme dans une brigade
 
A la brigade de gendarmerie de la cité Fermont, dans la commune d’Attécoubé, un agent de la maréchaussée est à l’accueil. Et des soldats non armés des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) surveillent les lieux. La peinture des murs est dégradée. Dans la cour, on voit des maisons basses décoiffées, des murs perforés : des impacts de balles. Le commandant de la brigade, vêtu d’un boubou en basin est assis à son bureau, derrière un ordinateur posé sur une table. Il informe que la brigade dispose d’une voiture d’intervention, mais se plaint de la quasi-inexistence de moyens de travail. «Nous disposons d’un magasin d’armement mais pour l’heure, il n’y a aucune arme », déplore-t-il. Les deux ordinateurs de son service, fait-il remarquer, sont un don de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) et du maire de la commune. Le spectacle est désolant pour qui se hasarde à faire une visite des lieux. Certains bâtiments n’ont plus de toiture depuis les affrontements de la crise postélectorale. Le commissariat du 37ème arrondissement de Yopougon, dans le quartier de Lokodjoro, est tenu par les Frci. Il a été repeint de jaune, mais il ne dispose pas de comptoir. Les visiteurs sont reçus dans le bureau du commandant. Des treillis déchirés, des paires de rangers jonchent le seuil d’un des bâtiments. Aucune présence des policiers. Ainsi a en décidé le ministère de la Défense, la zone étant « très sensible ». Gardant l’anonymat, un soldat dénonce le manque des moyens logistiques et des treillis. « Il ne se passe pas de jour sans que nous ne soyons saisis d’un cas de braquage, mais nous n’avons pas de moyens », s’insurge-t-il. Plus grave, en période de pluie, les soldats qui tiennent ce poste de police sont obligés de prendre des cours de natations car, c’est bien souvent que ce commissariat est inondé. Autre lieu, même décor. Les militaires et autres ex-combattants de la nouvelle caserne de la Brigade anti-émeute de Yopougon n’ont rien à envier aux Frci basées au commissariat du 37ème arrondissement. Seul un pavillon parmi les bâtiments de ce camp mixte est vraiment achevé. Les autres présentent l’allure de maisons inachevées. Mais, après la bataille de la crise postélectorale, ce camp, même dominé par la broussaille, constitue un point stratégique pour les hommes du capitaine Inza Fofana dit Gruman. « Il n’y a aucune commodité mais, comme nous sommes là pour la défense des institutions de la République, c’est cela le plus important », témoigne l’adjudant L.S, rencontré sur les lieux, au plus fort des affrontements qui y ont opposé récemment deux groupes d’ex-combattants. « Certains éléments sont obligés de dormir à même le sol, sans matelas, ni rien. Nous espérons seulement que les autorités vont penser à jeter un regard sur les conditions de vie dans cette caserne. Certes, nous les militaires, nous n’avons pas forcément besoin de toutes les commodités mais, dans cette caserne, nous avons besoin du minimum », sollicite-t-il. « Chacun essaie de faire comme il peut pour se créer un cadre de vie acceptable mais, ce n’est pas facile », insiste-t-il tout en précisant que « le plus important, c’est que les jeunes sont engagés, ils ont le cœur à l’ouvrage». Malgré les apparences, le décor n’est pas plus reluisant à l’état-major général des Frci, au Plateau, notamment au Bataillon de sécurisation et de soutien (Bcs). Dans un des bureaux où nous avions rendez-vous avec un officier de l’armée ivoirienne, c’est une vieille pointe rouillée qui permet de maintenir fermée, la porte d’un des responsables de cette unité. « Le plus important, c’est la sécurité des biens, des personnes et la défense des institutions. Si nous le réussissons, c’est déjà bon et nous n’avons pas forcément besoin d’être dans le confort pour le réussir », ironise un officier, au téléphone, quand nous lui présentons le décor. Mais, n’est-il pas intéressant que vous ayez le minimum de commodité pour mieux travailler ? « Plaidez donc pour nous puisqu’on dit que vous êtes la voix des sans voix». No comment !
 
DL (stagiaire)