Commémoration des 20 ans du décès d’Houphouët-Boigny: L’évêque de Yamoussoukro dit ses vérités aux hommes politiques

  • 09/12/2013
  • Source : L'Inter
Tous ceux qui ont pris part aux différentes étapes de la commémoration des 20 ans du décès du président Félix Houphouët-Boigny les vendredi 6 et samedi 7 décembre dernier à Yamoussoukro, retiendront particulièrement l’homélie de Monseigneur Marcellin Kouadio, l’évêque de Yamoussoukro qui a présidé à la Basilique notre dame de la paix, la messe commémorative de l’anniversaire.

En présence du président Alassane Ouattara, du président Henri Konan Bédié, des présidents des institutions nationales, de nombreux membres du gouvernement et de très nombreux membres de famille et proches du défunt président, le guide religieux a tenu à faire à feu Félix Houphouët-Boigny, l’état des lieux du pays qu’il a tant aimé. Non sans avoir une demande pour chacun des Ivoiriens dont le président Alassane Ouattara.

 «  Permettez qu’à partir d’une méditation inculturée, je m’adresse à lui (Houphouët) au nom des sans-voix. Car en Afrique, les morts ne sont pas morts. En outre, les familles de la terre communiquent avec celles de l’au-delà, d’où la vénération des ancêtres. Et cette foi des Africains ne contredit pas la foi chrétienne qui intègre la communion des saints, la résurrection de la chair et la vie éternelle », a-t-il ainsi planté le décor, avant de poursuivre : « (…) Oui Nanan (appellation de chef en langue locale, ndlr), tu nous l’avais dit et je cite : « le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu (…) Oui, depuis le 7 décembre 1993, jour où tu nous as quittés, ton peuple a perdu le vrai bonheur. Et depuis lors, la Côte d’Ivoire, notre chère patrie, s’est asservie aux mensonges, à la violence et aux crimes».
 
L'homme de Dieu fera savoir que la belle Côte d’Ivoire,  jadis enviée parce que prospère, est aujourd’hui défigurée et meurtrie par de multiples crises militaro-politiques dont les raisons profondes restent encore à élucider.
« La dernière en date a fait officiellement, semble-t-il, 3000 morts. La rébellion de 2002 a fait une foule innombrable de victimes. Curieusement, Nanan, ceux qui mentent et tuent croient servir ainsi la Côte d’Ivoire. Les innocents dont les droits sont bafoués sont déclarés coupables, d’où le nouveau concept de la culpabilité collective doublé de la culture de l’impunité où les médiocres sont célébrés. Certains de nos jeunes revendiquent fièrement le statut d’ex-combattants afin d’être récompensés. Et dans cette situation trouble, les ressources de notre pays sont livrées en pâture aux prédateurs.

Notre mère patrie, humiliée et meurtrie, est traitée comme une fille de joie. Oui, la Côte d’Ivoire est traitée, contre sa volonté, comme une péripatéticienne. Le temps, pour ainsi dire, vient de te donner raison : « la paix, ce n’est pas un vain mot, mais un comportement » (…) Malheureusement,  bon nombre de tes enfants qui prennent ton nom mais n’ont pas ton esprit, préfèrent la guerre à la paix, la mort à la vie, le mensonge à la vérité, l’aumône au travail, etc.  Nanan, aujourd’hui, jouissant de ta double nationalité de citoyen du monde d’ici-bas et de l’au-delà, aide nous a renouer avec la paix.

De la où tu es,  prie pour nous », a-t-il conclu son compte rendu à Houphouët-Boigny, avant d’appeler les Ivoiriens à prier pour la paix. « Chers frères et sœurs, hommes et femmes de bonne volonté, demandons au seigneur Jésus, le Roi des rois, d’accorder à notre pays la grâce de la paix par la réconciliation vraie, qu’il touche le cœur des bourreaux et prenne en pitié les victimes de ces multiples crimes (…) Les Ivoiriens parlent de paix et de réconciliation, mais combien sont-ils qui désirent vraiment la paix ? », s’est-il interrogé.
 
Il donnera par la suite sa recette pour une réconciliation vraie entre les Ivoiriens : « Pour que la Côte d’Ivoire renoue avec la paix, je verrais humblement, pour ma part, les présidents Ouattara et Gbagbo faire la paix au sommet, et une fois réconciliés, qu’ils demandent pardon à leurs militants et aux Ivoiriens qui, à leur tour feront la paix. En Dieu, cela est encore possible pour le bonheur de tous ». Bien qu’ayant visiblement gêné les nombreuses autorités du pays présentes, ce prêche qui a jeté dans l’église un lourd silence, a été longuement applaudi par l’assistance.
 
 Blaise BONSIE à Yamoussoukro

 Encadré : Comment la Côte d’Ivoire s’est-elle souvenue de son premier président
 
 La date du samedi 7 décembre 2013 marquait le 20ème anniversaire de la mort du premier président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny.  L’État a tenu à rendre un hommage à l’illustre disparu. De Paris où il séjournait, le président Alassane Ouattara est rentré expressément à Yamoussoukro, samedi à 15 heures, pour prendre part personnellement aux différentes cérémonies prévues à cet effet. C’est par un piquet d’honneur soutenu par l’orchestre de la Garde républicaine, que la partie officielle de la commémoration a débuté dans les jardins de l’imposante résidence du défunt président.
 
Mais auparavant, au fur et à mesure qu’elles arrivaient, les nombreuses personnalités se succédaient dans le caveau familial des Boigny, pour s’incliner sur la tombe ‘‘du vieux’’, avant de prendre place sous les bâches dressées pour la circonstance. Tout comme le président Henri Konan Bédié, arrivé depuis la veille à la tête de toute la direction du PDCI-RDA, le président Alassane Ouattara est allé déposer une gerbe de fleur sur la tombe.
 
A la famille du défunt, que représentaient remarquablement la veuve Thérèse Houphouët-Boigny, le fils Guillaume Houphouët-Boigny et le neveu Augustin Thiam, le président Ouattara a dit tout le soutien de l’État. De la résidence où la cérémonie a duré environ une heure, les personnalités présentes à Yamoussoukro se sont rendues à la fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix où une exposition photos retraçait le parcours de bâtisseur de l’illustre disparu.
 
Le président Ouattara a pu voir quelques souvenirs de ses premiers pas auprès d’Houphouët-Boigny. Il a fait remarquer à la presse que le grand nombre de participants à cette commémoration indique tout simplement que « 20 ans après, Houphouët-Boigny reste parmi nous ». C’est par une messe pour le repos éternel du défunt que la célébration de ces 20 ans a pris fin. Au nom de la famille, il est revenu au gouverneur Augustin Thiam de saluer et remercier tous ceux qui ont effectué le déplacement de Yamoussoukro. « Merci d’avoir fait de cette cérémonie un événement national », a-t-il dit au président de la République. Déjà la veille, le vendredi 6 décembre, une prière à la grande mosquée de Yamoussoukro et un concert liturgique à la Basilique  avaient entamé la célébration de cet anniversaire.

 Coulisses

Thérèse Houphouët-Boigny danse pour son époux
 
 La surprise a été grande vendredi nuit, à la Basilique lorsque, prenant part au concert liturgique organisé pour les 20 ans du décès d'Houphouët-Boigny, la veuve Thérèse s’est levée pour danser. Elle a longuement esquissé des pas de danse comme pour appeler les Ivoiriens à ne pas pleurer son époux car il est encore vivant. Elle a entraîné avec elle le Premier ministre Charles Konan Banny et le gouverneur Augustin Thiam. Mouchoirs à la main, ils ont accompagné la veuve d'Houphouët dans sa danse.

 Accès interdit à Augustin Dahouet
 
 M. Augustin Dahouet, qui a engagé ces derniers temps une bataille pour le trône du canton Akoué occupé à un certain moment de sa vie par feu le président Houphouët-Boigny, n’a pu ni s’incliner sur la tombe de son devancier, ni assister à la cérémonie officielle de l’hommage national. Pour cause, sanglé dans sa tenue de chef traditionnel et escorté par de nombreuses dames qui l’appelaient majestueusement ‘‘Nanan’’ (chef), il s’est vu stopper net à l’entrée de la résidence des Boigny par le protocole. Après moult tractations, sans succès, Augustin Dahouet a finalement quitté les lieux. 

 Bédié et son cigare
 
Aussitôt la cérémonie de piquet d’honneur achevée, le président Bédié s’est engouffré dans sa luxueuse voiture pour quitter les lieux. Pris dans l'embouteillage créé par les nombreux véhicules présents, le leader du PDCI a légèrement baissé sa vitre. On a pu voir l'ex-chef de l’État sur la banquette arrière de sa voiture, enveloppé par une fine fumée qui se dégageait du cigare doré qu'il avait à la bouche. Sacré Bédié !

 Anaky, le président reconnu  du MFA
 
 Les cadres du MFA ont transporté leur palabre samedi dernier à Yamoussoukro. Arrivé sur les lieux avant Anaky Kobenan, N’Gbala Yao Antoine qui se présente désormais comme le président du parti, a pris sous la bâche réservée aux responsables politiques, la place réservée au président du MFA. A son arrivée, Anaky a réclamé sa place. Ce qu’a refusé son dissident. Finalement, avec l’intervention des uns et des autres, souvent de façon violente comme la menace d’Odjé Tiakoré du RDR d’utiliser les muscles, N’Gbala Yao soutenu par des militants présents, s’est vu obligé de céder le fauteuil de président.
 
Ils ont dit :

Laurent Dona Fologo : «  Je suis venu m’incliner et prendre des résolutions »
 
 « Mes sentiments ? Une grande émotion… Vous savez que j’ai eu le privilège et la chance de travailler longtemps aux côtés du président Houphouët-Boigny. C’est lui qui m’a formé, c’est lui qui m’a conduit dans toutes les allées du pouvoir. Donc, venir ici lui rendre hommage aux côtés des autres frères de Côte d’Ivoire, c’est un moment très émouvant, mais en même temps, c’est un moment que je pense que nous devons saisir pour entrer en nous-mêmes et nous interroger : « est-ce-que nous avons fait ce qu’il attendait de nous ? Sinon, comment améliorer notre comportement ». Je crois qu’aujourd’hui, c’est vraiment la question et je suis venu aussi comme tout le monde, m’incliner sur sa tombe et aussi prendre des résolutions. »

 Émile Constant Bombet : « C’est une occasion d’interpellation de chacun d’entre nous »
 
 « Il faut se rappeler ce que le président Houphouët-Boigny disait : « le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu. Faisons en sorte que nous n’ayons jamais à le regretter ». Si nous jetons un regard rétrospectif sur les 20 dernières années, je crois que le bonheur, nous le regrettons. 20 ans pour moi, c’est une occasion d’interpellation de chacun d’entre nous pour une vraie prise de conscience afin que dans l’harmonie et la fraternité, nous puissions imiter l’acte d’Houphouët-Boigny. C’est-à-dire une Côte d’Ivoire une et indivisible et qui s’est donné une vision de développement et d’avenir ».

Charles Konan Banny: « Nous devons méditer sur l’homélie de l’évêque »
 
 « Nous devons méditer sur l’homélie de l’évêque. Nous devons l’intérioriser  et mettre en rapport cette homélie avec ce qu’a fait le père fondateur que nous célébrons. D’abord, il s’est battu toute sa vie pour que la paix vienne, s’installe en Côte d’Ivoire et il a utilisé toutes les formules, notamment ‘’la paix ce n’est pas un vain mot, la paix c’est un comportement’’. En fait, il voulait dire que c’est une série de comportements.

Il y a des comportements qui sont antinomiques de la paix. Il faut mettre l’homélie de l’évêque en rapport avec cette parole du président Félix Houphouët-Boigny. Est-ce que nous nous comportons comme des gens de paix ? Deuxième chose, c’est un homme de Dieu et tous ceux qui travaillent pour la paix seront appelés des fils de Dieu. Est-ce que nous voulons être des fils de Dieu puisque nous allons le rencontrer un jour ou l’autre, c’est sûr. Il nous demandera : ‘’qu’avez-vous fait pour la paix, l’amour ?’’ Je suis très heureux que ces paroles fortes aient été prononcées par un véritable homme de Dieu.

C’est un beau cadeau qu’il nous fait à l’occasion du 20ème anniversaire du départ de Félix Houphouët-Boigny. Il n’a pas oublié de saluer, au début de son homélie, la mémoire de Nelson Mandela qui est parti, 20 ans presque jour pour jour. Nous devons méditer sur la parole de l’évêque, avec le départ de ces deux géants de l’Afrique. Si nous voulons être appelés fils de Dieu, soyons des apôtres de la paix. C’est que je peux dire, en ma qualité de citoyens et de fils de Yamoussoukro et à ma qualité aussi de fils spirituel de Félix Houphouët-Boigny et ma qualité de président de la commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. »
 
 
 
Propos recueillis par Blaise BONSIE