Afrique du Sud : comment acheter un président

  • 26/12/2017
  • Source : Jeune Afrique
State capture, en français « captation de l’État » : phénomène de glissement furtif aboutissant à la mainmise des intérêts privés sur ceux de la collectivité. À l’œuvre en Russie, au Brésil, mais aussi, mais surtout, en Afrique.

À son niveau, vorace mais somme toute artisanal, Grace Mugabe s’y est essayée avec une prédilection pour les terres et tout ce qui tourne autour : fermes, laiteries, troupeaux, minoteries, champs de maïs. La première dame déchue du Zimbabwe avait l’appétit agricole, au point d’entraîner son vieux mari dans les abysses de la prédation. Mais Gucci Grace n’était qu’une petite frappe en regard du casse du siècle perpétré de l’autre côté du Limpopo par les trois frères Gupta : le plus grand scandale de l’Afrique du Sud postapartheid.

En moins de dix ans, Atul, Ajay et Rajesh Gupta, fils d’immigrants indiens, ont réussi le tour de force de s’offrir le président de la République, la moitié de son gouvernement, une demi-douzaine de PDG de sociétés d’État et les principaux responsables des services de sécurité de la première puissance économique du continent africain. Leur rôle dans la criminalisation d’une partie de la direction du parti au pouvoir, le glorieux ANC, a été déterminant, et comme en cette époque de mondialisation un délit qui se respecte ne saurait être que global, la saga des trois frères étend ses tentacules de Houston à Abou Dhabi, de Dubaï à Hong Kong, de Londres à New Delhi.

Success story

Cette version zouloue du Wall Street d’Oliver Stone commence en 1993, au lendemain de la libération de Nelson Mandela, dans une Afrique du Sud euphorique à qui tous les rêves de liberté et de prospérité semblent permis. Atul Gupta vend des chaussures, puis des ordinateurs. Le commerce marche bien, ses deux frères le rejoignent, et Sahara Computers, leur société, devient rapidement l’une des premières du pays dans son domaine.

Les Gupta, dont l’objectif est d’accéder au juteux marché des contrats d’État, ont l’idée d’utiliser la filière indienne de l’ANC pour approcher les cercles du pouvoir. Un ancien compagnon de Mandela, Essop Pahad, leur sert de mentor. Élu président en 1999, Thabo Mbeki n’est pas insensible à leur entregent, les emmène avec lui lors d’une visite en Inde, mais les tient à distance...