Adressage des rues à Abidjan/ La grande débrouille

  • 02/09/2014
  • Source : Fraternite Matin
6000 voies, 12820 carrefours, 1100 équipements urbains et 400 000 habitations recensés dans les 10 communes d’Abidjan, en 1997, par le Bnetd. Et pourtant, on éprouve encore des difficultés pour s’orienter. Les raisons.

 Comment localiser votre résidence ou une admi­nistration bien connue dans la ville d'Abid­jan ?» C'est l'exercice auquel quelques travailleurs de classe moyenne ont été soumis. Il s'agissait d'indiquer avec pré­cision l'adresse à toute per­sonne désireuse de retrouver un domicile, une administra­tion publique ou privée. Sans être obligé d'appeler l'informa­teur toutes les secondes pour l'orienter.
 
Ainsi, un habitant de la Riviera Palmeraie, dans la commune de Cocody, indique sa résidence comme suit : « A partir d'un centre commercial, aller de ce carrefour sur la gauche, et près du domicile d'une autorité ».Qui veut poursuivre le chemin au-delà, pourrait se retrouver chez une connaissance habitant « derrière Génie 2000. Donc arriver au feu de Faya, il faut prendre la rue à gauche, près de l’église évangélique Ephrata ».

Dans la même commune, mais cette fois dans le quartier Angré, une dame qui vit dans une cité, prend pour repère le « terminus du bus 81/82, non loin de la pharmacie Ste Marthe.» Pour une autre, qui se trouve dans le même périmètre, c'est la station d'essence P.I qui sert de lieu de rencontre avec l'hôte avant qu'il ne soit conduit à destination.
 
Pour cette résidente de la com­mune d'Adjamé, il en va autre­ment. C'est avec beaucoup aisance qu'elle localise chez elle, certaine que nul ne peut se perdre : « J'habite les 220 loge­ments, Grand Bloc, Escalier X. App. Y ».
 
En revanche, il faudra fournir quelques efforts pour qui souhaite faire la surprise à la col­lègue qui traverse, chaque jour, la lagune pour venir tra­vailler à Adjamé. « Je suis à Marcory Sicogi, à environ 50 mètres de l'église catholique Sainte Bernadette. Mais il faudra téléphoner ou s'infor­mer auprès d'une célèbre ven­deuse d'attiéké qui est ma voisine».
 
Dans la commune d'Abobo, rendre visite à un collègue au quartier Abobo Sagbé (der­rière rails) suppose qu'il faut « prendre pour repère l'église du Christianisme céleste. En­suite, arriver au deuxième carrefour ». Un autre qui ré­side à Abobo-Baoulé donne rendez-vous à ses connaissances au « carrefour Elite, première concession à gauche, troisième portail du bâtiment ».
 
B.L. habite la plus grande com­mune d'Abidjan, Yopougon. Pour le voir un week-end, il faut se rendre à « l'Académie de la mer, à 700 m, fin du gou­dron. Puis se diriger tout droit face à l'immeuble T. ».
 
Si vous voulez vous rendre à la Haute autorité de la communi­cation audiovisuelle (Haca), sise à Cocody II Plateaux, l'indi­cation qu'on vous donne est la suivante : « Côté école de police, tourner à droite avant la sta­tion T. Au deuxième carrefour, à gauche, tournez et allez tout droit, le regard tournée vers la gauche ».Récemment, l'institu­tion a été délocalisée à Angré.

Avec de telles indications, il n'est pas certain que dans la majorité des cas, sinon dans la totalité des situations présen­tées, le visiteur qui ne connaît pas la zone puisse se retrouver. Il perdra énormément de temps dans la marche. A force de chercher le domicile ou l'ad­ministration, il se "ruinera" pour payer la course en taxi-compteur. Autre conséquence : le visiteur ou l'invité qui peut être un parent, un ami, un col­lègue ou un partenaire d'af­faires, se décourage et décide de rebrousser chemin.

Et si cette difficulté de localisation peut être une chance pour qui­conque voudrait se cacher, elle pourrait en revanche s'avérer dramatique en cas de sinistre, notamment lorsque les sa­peurs-pompiers militaires vou­dront secourir des populations ou protéger leurs biens.
 
La numérotation des rues, une étape du processus
 
C’est justement ces enjeux, notamment l’orientation quotidienne des citoyens, la sécurisation des personnes et des biens, mais aussi des raisons économiques (distribution du courrier postal, collecte de l’impôt) qui justifient la nécessité de l’adressage des rues et des habitations. Une question d’intérêt national à laquelle l’Etat de Côte d’Ivoire a tenté d’apporter une réponse en 1996, en lançant le projet de « numérotation et de dénomi­nation des rues ».

L'adressage des rues se définit comme un procédé visant à « donner des identifications : code, numéro ou nom aux rues pour implan­ter ensuite les panneaux qui indiquent le nom, le numéroou le code de ces rues aux car­refours », indique Pascal Ra-koto Malala, responsable technique du projet numérota­tion et dénomination des rues au Bureau national d'études techniques et de développe­ment (Bnetd).
 
L'exécution du projet avait été confiée au Bureau national d'études techniques et de déve­loppement (Bnetd). Le projet qui a effectivement démarré et dont les traces sont encore visi­bles dans certaines communes du District d'Abidjan n'est pas arrivé à son terme.

Pour des raisons budgétaires. Le coup d'État militaire de 1999, puis la crise militaro-politique de 2002 qui a duré une décennie l'ont mis sous l'éteignoir. De­puis lors, chaque commune a tenté d'exploiter à sa manière les acquis de cette numérota­tion et dénomination des rues. Mais sans jamais étendre le processus à la dénomination des habitations.
 
Le problème qui persiste, c'est que la majorité des Ivoiriens, et des Abidjanais plus précisé­ment, a du mal à intégrer dans leur conscience les noms des rues secondaires. Qui, en plus, n'ont aucun lien direct avec les habitations. Seuls les axes prin­cipaux leur sont familiers.

Entre autres, l'autoroute du Nord, l'autoroute d'Abobo, les boulevards Nangui Abrogoua, Général de Gaulle, Bvd de la République, Mitterrand, Latrille scindé en deux (Martyrs/Latrille), Bvd de France devenu Bvd Marie-Thérèse Houphouét-Boigny, Bvd Valé­rie Giscard d'Estaing, Bvd du Gabon, Bvd de l'Université, Rue 12, Rue du Canal, Rue du Commerce, Rue des Princes, Rues des Jasmins, etc.
 
Panneau d'adressage de rues à abidjan
 
Cependant, contrairement à la plupart des communes de la ville d'Abidjan, Treichville bé­néficie d'un plan complet, de numérotation et de dénomina­tion des rues et qui s'étend aux habitations. Outre la célèbre Rue 12, les noms des avenues (16, 38...), du boulevard Nanan Yamousso sont bien ancrés dans les habitudes. L'héritage colonial y est pour quelque chose.

A un degré moindre, les communes du Plateau et de Cocody bénéficient certes de plan d’adressage. Seulement, les usagers ne s'y réfèrent pas tou­jours là-dessus pour leur orien­tation.

En dehors des axes principaux, les autres moyens d'orientation sont les édifices publics ou pri­vés de renom : les mairies ou hôtels de ville, la Présidence de la République, les ministères, les grands hôtels, les sièges des institutions, les banques, les centres commerciaux, les mar­chés, les stations à essence, les hôpitaux, les écoles, les églises et les mosquées, le carrefour (mauritanien, à Abobo) ; carre­fours menuiserie, Siporex, Sable (à Yopougon) ; carrefour de la Vie, Mahou, Chu; (à Cocody), devant les ex-salles de cinéma transformées en églises (Li­berté, Boissy, Saguidiba, dia­logue), ou en fonction des ilots et des lots.
 
A Cocody, commune huppée, qui bénéficie d'un tracé parfait et d'une numérotation des rues, avec une mention sur des plaques métalliques, c'est rare­ment que les chauffeurs de taxi sont orientés sur la base de cet adressage. Et pourtant, des rues existent portant les noms de personnalités célèbres dont cer­taines ne sont plus de ce monde. Des personnalités qui, au préalable, ont donné leur ac­cord par écrit, comme l'exige la loi. Entre autres, Rue Siméon Aké, Jeanne Gervais, Rue Mar­cellin Yacé, Avenue Jean Mer­moz, Rue Alpha Blondy (du nom de la star du reggae mon­dial toujours en activité), etc.
 
Une carte riche en informations exploitée par les Tic
 
Et pourtant, la Carte Michelin sur le réseau routier consacrée au District d'Abidjan et utilisée souvent par les touristes et les hôteliers est riche en données. Selon une réceptionniste d'un grand hôtel d'Abidjan, elle offre de réelles possibilités, puisqu'elle « comporte de nombreux noms de boule­vards et de rues ». Elle recon­naît, cependant, qu'il se pose un véritable « problème de re­connaissance et de conver­gence ». Cette cartographie est d'ailleurs l'un des répertoires sur lesquels s'appuie Google Maps pour guider des citoyens à l’heure de la technologie.
 
Ainsi, les citoyens friands des Technologies de l'information et de la communication (Tic) se servent de leur smartphone, IPad, IPhone, tablette ou Gps, pour localiser leur destination, tracer le chemin et évaluer la distance à parcourir dans un temps déterminé. Même si Abidjan n'est pas encore au même niveau que celui des pays développés.
 
Le chauffeur, principal guide des hôtels de luxe
 
Toutefois, les grands réceptifs hôteliers préfèrent recourir aux véhicules avec chauffeur parce que maîtrisant les principales artères de la ville et dignes de confiance. « Le chauffeur de taxi ou voiture à chauffeur est le principal moyen orienta­tion », confie un agent d'hôtel.
 
Surtout que la grande partie de la clientèle des hôtels de luxe est constitué d'hommes d'af­faires dont les activités se dé­roulent soit sur place, soit dans des endroits bien connus. En dépit de la non maîtrise de la numérotation, l'agent de l'hôtel explique « l'absence de stress »dans la gestion de la clientèle par « le mode de transport qui facilite le dépla­cement. Puisqu'il s'appuie tou­jours sur un conducteur.

Lequel joue, en plus de sa mis­sion principale, le rôle de guide (touristique) ». Ainsi, « le plan de la ville n'est demandé que par simple curiosité ». Celle de mouvement par le mode de transport. Alors que dans les pays développés, les trains, métros, tramways sont les moyens de locomotion de la majorité des populations.
 
Absent du programme des auto-écoles
 
Les usagers des taxis-comp­teurs se retrouvent face à deux catégories de conducteurs. Ceux qui maîtrisent le plan de la ville d'Abidjan et qui embar­quent sans rechigner les clients -sauf sur le coût de la course en fonction des embouteillages ou la distance — et ceux qui avouent ne pas connaître le quartier ou la commune.

Chauffeurs et clients utilisant plus des codes par habitude que la numérotation des rues, c'est généralement le client qui oriente le conducteur quant aux détails. En revanche, si le client a le malheur de tomber sur un chauffeur qui ne connaît pas la destination mais ne l'avoue pas, les conditions sont réunies pour tourner en rond et finir avec une note salée.

C'est malheureusement la mésaven­ture que vivent parfois certains voyageurs qui ne sont pas ac­cueillis à l'aéroport ou à la gare ou des vacanciers de la dias­pora qu'on tente d'escroquer. Interrogé sur le rôle des auto-écoles dans l'appropriation de la numérotation par les chauf­feurs professionnels, notam­ment de taxi et les citoyens en général, le directeur de Stop auto-école, à Cocody, Casimir Logby, engage « la responsabilité de l'Etat ».

Estimant que c'est un programme « docile à enseigner ». Néanmoins, il admet que ce devrait être « une formation obligatoire pour les chauffeurs professionnels de taxi ».Selon lui, il faudrait des moyens conséquents et du temps, environ « six mois, pour former les chauffeurs professionnels ».
 
Ces moyens passent par la dé­nomination des habitations; lesquelles doivent être en rap­port avec les rues. Ce qui n'est pas le cas actuellement. Ce tra­vail relève de la compétence ex­clusive de l'État, explique-t-il.

Ensuite, il doit doter les auto-écoles de matériels didactiques (plans). Enfin, un soutien fi­nancier, parce qu'autant la durée nécessaire pour la for­mation est longue, autant le coût est élevé. En attendant, ce directeur d'auto-école conseille aux hôteliers de « mettre à la disposition des touristes des plans » de la ville d'Abidjan comme c'est le cas dans les grandes villes du monde.
 
PAULIN N. ZOBO