Jacques Laffite, vainqueurs de six Grands Prix de F1 entre 1977 et 1981, a dû arrêter sa carrière après un accident qui a failli lui coûter l’usage de ses deux jambes sur le circuit de Grande-Bretagne.
Le consultant d’Eurosport estime que le crash de Jules Bianchi, toujours dans un état critique au Japon, va servir à améliorer ce qui peut encore l’être en termes de sécurité. Même si «rouler à 300 km/h sans se mettre en danger» sera toujours impossible.
C’est le premier accident grave en F1 depuis vingt ans. Est-ce que vous pensiez que ça n’arriverait plus jamais?
Il faut que tout le monde ait conscience que le sport automobile est dangereux. Une sortie de piste à 300 ou à 350 km/h, ça peut provoquer un impact fatal pour le pilote concerné, malgré toutes les mesures de sécurité qu’on ait pu mettre en place.
Ces mesures sont-elles suffisantes?
Il n’y a pas photo entre la Formule 1 des années 80 et celle d’aujourd’hui. A l’époque, à la moindre sortie de route, on finissait à l’hôpital. Si vous saviez le nombre de garçons morts ou salement amochés que j’ai vus dans ma carrière… Les évolutions technologiques ont tout changé en F1.
Par exemple?
Les coques carbones, qu’on appelle les cellules de survies autour du pilote, sont remarquablement bien faites. Depuis la mort de Senna, tout a été repensé. Les roues ne peuvent plus se détacher pour finir dans le public ou ailleurs, on a remplacé les pneus par des rails en techpro pour absorber les chocs, on a mis des espèces de tarmac à la place du gravier pour empêcher les embardées...c’est beaucoup plus sûr qu’avant.
Pourtant, cela n’a pas empêché l’accident de Jules Bianchi…
Il y a toujours des choses auxquelles on n’a pas pensé. Qui aurait pu imaginer que la voiture de Jules allait finir dans une grue sur la piste? Maintenant, on sait qu’il ne faut plus voir ces grues. De la même manière qu’il aurait fallu faire ralentir davantage les pilotes avant le virage en question, autour des 140 km/h, parce que c’est beaucoup plus difficile de freiner sous la pluie. Quand on voit le choc de Jules avec la grue, c’est déjà un miracle que ce pauvre garçon ne soit pas décédé sur le coup.
La F1 avait-elle oublié qu’elle pouvait vivre des moments aussi tragiques?
Non, je crois que le monde de la F1 a ça dans un coin de la tête en permanence, même si les pilotes refusent d’y penser. Quand on est au volant, on croit tous que notre voiture est plus forte que les autres, qu’on est plus malins, et que ça ne nous arrivera jamais. C’est comme ça que je raisonnais, et j’ai eu un grave accident, c’est donc que je raisonnais mal. Mais on ne peut pas se permettre de penser à ça.
Comme celui d’Ayrton Senna en 94, pensez-vous que cet accident va encore permettre de pousser les mesures de sécurité plus loin?
Malheureusement, il faut souvent en passer par des catastrophes pour progresser. Il y a encore des circuits mal faits, des rails mal positionnés…mais on ne pourra jamais rouler à 300km/h sans se mettre en danger, les gens doivent le comprendre.
Propos recueillis par Julien Laloye
La voiture de Jules Bianchi après son accident au Japon, le 5 octobre 2014. - PIXATHLON/SIPA