Situation des wê: un cadre de la diaspora désavoue Méambly et alerte le président Ouattara

  • 08/09/2016
  • Source : Lebabi.net
Eugène Fié, premier président de l'association Perspectives Nouvelles pour Duékoué (PND), et ex-collaborateur d'Evariste Mémably, attire l'attention du président Ouattara sur la situation des Wê et en Côte d'Ivoire, dans cette interview réalisée via le web.

Le Guémon a payé un lourd tribut à la crise meurtrière de 2010-2011. 5 ans après, quel regard jetez-vous sur la situation à Duékoué?
Le Guémon a payé un lourd tribut aux crises de 2002, 2004 et la plus sauvage et meurtrière de 2011. Puisqu'il y a eu un génocide reconnu par la communauté internationale dont les organisations des droits de l'homme.

Les différentes crises dont nous continuons de payer les conséquences ne sont pas politiques vu que les victimes étaient des civils et une seule ethnie visée : les Wê. Il n'est pas facile de sortir de cette tragédie aussi facilement. Malgré l'échec de la Cdvr, le peuple Wê est resté digne dans la douleur.

En attendant les résultats des enquêtes pour que les coupables de cette bêtise humaine soient condamnés et les victimes dédommagées, la population fait elle-même sa réconciliation, sans les politiques.

Les gens qui se regardaient en chiens de faïence se parlent un peu, les dozos ne paradent plus dans les rues, la peur est surmontée malgré les conditions de vie difficile dues à l'expropriation de nos terres et forêts. Je peux dire qu’il y a eu une petite amélioration par rapport aux cinq dernières années. Le Guémon renait petit à petit de ses cendres.
 
Dans ce sens, vous avez mis sur pied Perspectives Nouvelles pour Duékoué (PND). Que devient-elle?
Le PND existe toujours. J'étais en fin de mes deux (2) ans de mandat à la tête de cette association et je n’ai pas voulu rempiler afin de répondre à d’autres obligations. En effet, le président du Conseil régional du Goémon m’avait nommé en tant que son représentant en Europe. J’ai donc passé le flambeau du PND à Mme Marcelle Mouo, l'actuelle présidente.

 
Qu’a donc fait cette structure pour la réconciliation et le développement des populations de Duékoué? 
Après la crise post-électorale, les amis et moi avons lancé un appel à tous les ressortissants de Duékoué en France, et partout en Europe, afin de trouver des solutions et faire des propositions de sortie crise. Le débat a tourné autour de quelles perspectives pour Duékoué d’où la naissance de PND.

L’analyse de toutes les suggestions et propositions ont abouti à l'élaboration de notre plate-forme indicative pour la réconciliation et la sortie de crise que nous avons remise à mains propres au président Alassane Ouattara, lors de son premier voyage en France, en tant que président de la République de Côte d’Ivoire. Je profite de l'opportunité que vous m’offrez pour dire encore merci au président de la République d'avoir accepté notre invitation à visiter à Duékoué, pour tout ce qu'il a fait et continue de faire pour cette ville.

Sans la réconciliation, la paix et la fraternité, le développement reste un vain mot. N’étant pas une Ong ni une association caritative, nous avons laissé l'humanitaire aux autres et pris le mal à la racine. C’est que les politiques ont instrumentalisé nos parents au profit de leurs intérêts égocentriques à telle enseigne qu'ils sont devenus un bétail électoral.

Alors, nous agissons beaucoup sur les politiques pour éclairer nos parents par nos critiques positives et nos conseils afin que ses crises ne se reproduisent plus jamais chez nous. Nous intervenons financièrement de façon individuelle et indirecte dans les ménages par des transferts d'argent.

Nous agissons le plus souvent auprès des associations ou Ong qui oeuvrent dans l’humanitaire à Duékoué. La dernière en date est celle de l'association «Appobassombo» avec qui nous avons organisé une soirée de collecte de fonds destinée aux femmes veuves et orphelins.
 
Vous avez demandé au président Ouattara de se rendre dans le Guémon pour apaiser les coeurs. L'objectif recherché a-t-il été atteint?
Pas totalement. L'enquête sur le génocide n'avance pas, les terres expropriées n'ont pas étés rendues à leurs propriétaires. Les victimes de cette barbarie n'ont pas été dédommagées et les coupables non identifiés. Les lois sur le foncier rural mal comprises car les chefs de terres n'ont pas étés associés, ce qui rend difficile la réconciliation.
 
La division et les mésententes des cadres du Guémon serait l'une des racines des souffrances de la région. Le pensez-vous aussi?
C’est vrai que cette situation est l'une des causes réelles qui freinent le développement de Duékoué. Depuis l’époque de Oulaté et Gui Dibo, rien n'a changé avec la nouvelle génération.

On espérait qu’elle tirerait les leçons des conséquences du passé, bien au contraire, le mal s'est accentué, surtout sous la présidence de Laurent Gbagbo. Au moment où les autres régions avaient les conseils généraux, nos représentants d'antan ont empêché la région d'avoir un conseil général à cause des querelles de leadership.

Récemment, lors d’une cérémonie de remise de fonds et de matériels pour la construction des commissariats dans la région, le ministre de l'Intérieur a invité les cadres à s'entendre, de dépasser leur ego, sinon Duékoué se fera sans eux. J’ai trouvé très grave que nous n'ayons pas encore compris que l'union fait la force. Il faut que l'intérêt général prime et que nous sachions faire un consensus, sinon nous perdrons tout.
 

Et là, nous apprenons qu'il y a un divorce entre vous et Évariste Méambly, le président du Conseil régional du Guémon!
Ce n’est faux. Le président Méambly était à Paris où il a rencontré les ressortissants de notre région, et présenté son programme de société. Ensuite, il a souhaité avoir une représentation du Conseil général du Guémon en Europe.

Plusieurs personnes étaient volontaires, mais il a porté son choix sur moi pour présider la Représentation. J’avais décliné cette proposition parce que n’étant pas intéressé. Pour moi, le plus important était de réussir mon pari qui est de rassembler des fils et filles de la région pour un but commun.

Finalement, avec l’insistance des personnes présentes à son hôtel, lors de ma désignation, j'ai accepté sa proposition en la conditionnant à l’établissement un mandat en bonne et due forme du Conseil régional. Il avait déjà nommé des personnes à des différents postes dans cette représentation.

Plus d’un an après, supposons que nous n’ayons pas été à la hauteur, nous avons trouvé sa façon de nous remercier irrespectueuse, irresponsable et injurieuse. Il a prétexté qu’il veut nous permettre d’aller aux élections pour signifier, par écrit, la fin du mandat.

Mais quelle élection s’agit-il? On se demande alors le but et l'objectif de cette représentation? Et si j'avais engagé des sous à mes frais pour des locaux comme il me le demandait, et avait considéré toutes ses promesses, dans quelle situation nous serions? C’est pourquoi je rends grâce à Dieu de m’avoir épargné un tel problème.

Dernièrement, après avoir annoncé qu'il allait nous présenterait son fameux « plan Marshall » avec tous les détails des projets, village par village, il s’est éclipsé sans s'excuser auprès de la diaspora Wê du Guémon.

Est-ce parce qu'on est milliardaire qu’on ne doit pas avoir du respect pour sa communauté? Je suis plutôt soulagé de cette séparation parce que le titre de représentant devenait pour moi un problème au milieu de mes frères qui me tiennent co-responsable de ses actes. Je suis tranquille avec ma conscience car j'aime travailler avec méthode, dans l’honnêteté et le respect.
 

Concrètement, qu'est ce qui n'a pas marché?
Vous savez, lors de sa rencontre avec nous, c’était l’effervescence totale. Le reportage vidéo encore sur la toile peut en témoigner. Mais Méambly n’a pas tenu ses promesses. Il y a un problème de communication, il est toujours injoignable.

A un moment donné, tous les membres ont voulu qu’on rende le tablier, mais nous avons-nous lui avons renouveler notre confiance après une réunion technique que nous avons eue avec lui, à mon domicile.

Il avait promis faire face en urgence aux besoins de la représentation dès qu'il arrive à Abidjan; qu'il prenait sur lui-même de donner les moyens à la Représentation de travailler, si le Conseil refusait de nous octroyer un budget. Mais peine perdue, c’était encore des paroles en l’air. Je pense avoir eu raison de refuser l'investiture, j’imagine tout ce que que j’aurai eu comme soucis.


 
Dans le courrier qui met fin au mandat de la Représentation, il vous soupçonne d'être un adversaire, un traître.
Moi traite ? Je n'ai pas une âme de traitrise et je ne sais pas ce qu'il appelle être un traite. Après avoir fait un pied de nez au gouvernement lors du lancement de la campagne présidentielle de 2015, suivi de ses menaces à Mabri dans les journaux, je lui ai exprimé mon désaccord en tant que son représentant sur son attitude en lui signifiant que nous ne voulons plus la guerre dans notre région.

Au sein de la diaspora Wê également, des voix se sont élevées pour dénoncer son comportement parce que notre éducation veut que la hiérarchie soit respectée. En dehors des frasques dont il nous a habitués, il n'est jamais là au moment où la région qu'il prétend défendre a besoin de lui. Si c'est cela ce qu'il appelle être un traitre, alors je suis d'accord. Méambly montre de l’inconséquence. Moi, je suis assis sur des valeurs. Ma dignité, le respect et l'humilité ne se monnaient pas, je préfère perdre des amis et conserver mes valeurs sur lesquelles je repose.


 
N'est-ce pas que, véritablement, vous avez des intentions politiques?
Le moment venu, je vous tiendrez informer. Personne ne peut m'empêcher d'avoir des intentions politiques. Je suis resté auprès des icônes de la politique à Duékoué, notamment messieurs Gbaya Jacques, Podé Pascal, le ministre Paul Gui Dibo (que la terre de nos ancêtres leurs soit légère). Auprès d’eux, j'ai beaucoup appris sans faire la politique. J'ai été plusieurs fois approché par des partis politiques, mais chaque fois, j'ai poliment décliné l’offre par rapport à ma vision pour Duékoué: l’unité, la paix. Je ne voulais pas m’afficher pour X ou Y.
 
La Côte d'Ivoire a connu des moments chauds récemment. Des Ivoiriens décrient la gestion de Ouattara. Quel est votre regard de la situation?
Sans être alarmiste, la situation est très grave et risque d’exploser, si le Président Ouattara ne trouve pas des solutions rapides pour soulager la population qui souffre de plus en plus de la cherté de la vie, de la précarité et cette paupérisation galopante dans un pays où il n'y a pas de social. C'est grave! Il faut connaitre l'esprit des Ivoiriens, lents à la révolte mais intrépides quand ils se révoltent, et c'est toujours pour une bonne cause.

Le peuple en a ras-le-bol des promesses n'ont tenues. Des milliers d'Ivoiriens vivent en dessous du seuil de pauvreté, beaucoup dans l'informel, et ne demandent pas mieux que de voir une amélioration de leurs conditions de vie.

S'il a eu le plébiscite du peuple à la dernière élection, c'est par reconnaissance du travail abattu en si peu de temps. Mais le gouvernement doit sortir de l'auto-satisfaction, de la marginalisation des peuples, de la politique d’exclusion, la corruption galopante au sommet de l'État. Les grandes victimes de cette gestion sont la jeunesse, avec le phénomène des microbes, ainsi que les femmes.

Ce sont des bombes à retardement. Il faut éviter que cela explose. Le président doit être attentif et être à l’écoute de la grogne sociale. Il y a un monde silencieux très mécontent qui ne dit pas son nom qui gronde, ce n'est qu'un signal.

Personne ne peut se revendiquer ce mouvement alors qu'il fasse très attention. Son entourage lui ment. Il faut qu’il comprenne qu’il y a une vraie fracture sociale qui nécessite une politique adaptée à la croissance, inclusive, capable de diversifier les ressources de la croissance afin que chaque Ivoirien bénéficie des retombés économiques de cette croissance dont parle tant le gouvernement.
 
Craignez-vous une résurgence de la violence dans votre pays?
Oui! Si l'État reste sourd à ces cris de détresse. On a vu l'exemple du Brésil avec Dilma Rousself, et en Roumanie avec Ceausescu qui a été chassé par la population à cause de la faim. Et même chez nous, sous la présidence de Bédié. Plus de porcs à Gabriel-gare, plus de bananes plantains, il a suffi une petite revendication de primes des militaires pour déclencher un mouvement suivi par toute la population qui a chassé le président, malgré son appel à la désobéissance civile. Le président Ouattara a toutes les solutions et je pense qu'il va y remédier bientôt. Rappelez-nous que le président Houphouet-Boigny a dit « qu’un homme qui a faim n'est pas un homme libre ».