Pourquoi le tir du missile nucléaire français M51 a-t-il échoué ?

  • 13/05/2014
  • Source : Le Monde.fr
L'échec, rarissime, avait été comme il se doit très peu commenté par les autorités de la défense. Il questionnait les capacités de la dissuasion nucléaire française. Le 5 mai 2013, un missile M51 de dernière génération avait été tiré (sans sa tête nucléaire) depuis le sous-marin lanceur d'engins Le Vigilant, avant de s'abîmer en mer au large de Penmarch, dans le Finistère. Aujourd'hui, c'est le délégué général pour l'armement (DGA), Laurent Collet Billon, qui fournit de premières explications.

L'occasion lui en a été donnée par la commission de la défense de l'Assemblée nationale, qui le recevait le 30 avril dans le cadre d'une série d'auditions sur la dissuasion nucléaire. Le compte rendu a été rendu public mardi 13 mai. Dès son lancement, le 5 mai 2013, le missile avait connu un fonctionnement « erratique », et il s'était autodétruit environ trente secondes plus tard.

Le tir d'essai était réalisé en conditions opérationnelles, et un tel échec ne s'était pas produit depuis 1996. Une enquête avait aussitôt été lancée, et des moyens considérables de détection avaient été mobilisés pour retrouver les débris, dans une zone de 900 km2 au large de la Bretagne. Il s'agissait du sixième tir de ce nouveau missile balistique intercontinental, qui doit emporter les têtes nucléaires océaniques de nouvelle génération à partir de 2015.

LACUNES DANS LA QUALITÉ ET L'INGÉNIÉRIE
La version officielle avait, d'emblée, écarté une défaillance du sous-marin lui-même, « la sortie du missile s'étant déroulée normalement », selon le ministère de la défense. Selon le DGA, sont en cause « des lacunes dans les plans qualité des industriels » et « les capacités d'ingénierie des systèmes complexes » de la filière, face à la complexité atteinte par la technologie des missiles balistiques. La « réappropriation » de ces capacités « est l'une des préoccupations de la DGA », a indiqué M. Collet-Billon.

« Nous avons demandé aux services concernés d'Airbus Defense & Space des efforts accrus, tant en matière d'ingénierie qu'en maîtrise de la qualité et de leurs sous-traitants, a-t-il affirmé devant les députés. Ces faiblesses, que nos propres services qualité ont constatées, doivent impérativement être corrigées. » Les enquêteurs qui ont analysé l'échec du tir d'essai, a-t-il ajouté, « appellent à des efforts à la fois dans le management et dans l'attention portée aux outils d'ingénierie système ».

L'enjeu est important, car la technologie du M51 est également appliquée au domaine civil, pour les fusées Ariane. La DGA a jugé que la reconstitution des enquêteurs était « fiable », ce qui, selon M. Collet-Billon, « permet d'apporter des mesures correctives efficaces ». Un essai raté est un essai utile dès lors qu'on en tire les leçons, professent les experts de la dissuasion. A l'occasion, le délégué pour l'armement révèle, sans préciser si les choses sont liées, que « certains groupes industriels ont subi des attaques informatiques de grande ampleur » et que dans ce domaine, « beaucoup de progrès restent à faire » en matière de protection.