DJ Arafat, roi indéboulonnable du coupé décalé ?

  • 05/08/2018
  • Source : RFI
Personnage emblématique du coupé décalé, 100% connecté et sans cesse à la recherche du buzz sur Internet, l’Ivoirien DJ Arafat défraie régulièrement la chronique sur le plan extramusical, comme en témoignent ses récents déboires judiciaires. Tout en contrôlant encore son royaume, le chanteur-musicien trentenaire sait qu’il ne peut se contenter d’un statu quo artistique, que ce soit pour maintenir son rang ou pour conquérir un public plus large.

Place à la musique. Enfin. Après quelques semaines tourmentées, faisant suite à sa condamnation à un an de prison ferme par la justice de son pays pour avoir frappé un de ses danseurs, DJ Arafat a quitté Paris et retrouvé le continent africain pour une prestation dans un lieu branché de Yaoundé, au Cameroun, ce vendredi 3 août. Les frasques de l’Ivoirien, entre violence et mégalomanie, jalonnent sa carrière. Mais depuis près de quinze ans, elles n’ont jamais eu de conséquences désastreuses sur son statut.

L’univers du coupé décalé fonctionne selon un référentiel singulier, avec ses codes qu’il faut apprendre à décrypter : quand DJ Arafat s’adresse à “la Chine” et “les Chinois” à travers ses nombreux messages postés sur Internet, il ne fait aucunement allusion à un quelconque territoire et à sa population, mais… à tous ceux qui suivent ses faits et gestes en ligne. Soit plus de deux millions de personnes, à en croire les chiffres qui figurent sur sa page Facebook ! Une communauté, qu’il peut mobiliser à sa guise, et qu’il serait sûrement imprudent de prendre à la légère tant elle est acquise à sa cause. De quoi procurer un sentiment de puissance à son général-en-chef.

Le parallèle avec le géant d’Asie permet d’impressionner un peu plus les esprits, et donc la concurrence… Quand, à l’occasion des Awards du coupé décalé en octobre 2017, il félicite Serge Beynaud et le présente comme “le numéro deux du coupé décalé”, il réaffirme du coup sa place de numéro un ! Et s’il a été pris de court lorsque le chanteur Ariel Sheney, formé “à l’école du Yorogang” (le collectif de DJ Arafat) et valeur montante de la scène ivoirienne, a décidé de voler de ses propres ailes, il a préféré in fine calmer la situation, tout en rappelant qu’il était le patron…

En termes de communication, l’artiste ivoirien a toujours excellé. Les réseaux sociaux lui ont donné une tribune dont il se sert sans retenue, se filmant dès qu’il a quelque chose à dire à sa “Chine”. Au besoin en mélangeant les genres, comme lorsqu’il fait écouter, l’an dernier, un projet de remix d’hommage à Jonathan, la chanson qui l’a révélée en 2005, avec la participation de Maitre Gims… et fait en même temps la publicité d’une vodka dont la bouteille est en forme de lingot d’or !

La star franco-congolaise lui apporte son soutien depuis déjà plusieurs années à travers la structure qu’il a créée, Monstre marin Corporation, avec pour objectif de lui permettre de s’imposer hors des circuits africains. Les résultats, pour l’instant, se font attendre. Le succès en France de l’afro-trap, porté par MHD, n’a pas produit les effets indirects dont il aurait pu tirer bénéfice.

Yorogang et ses treize chansons, sur des registres différents (on trouve même un reggae), n’ont pas donné davantage de visibilité à celui qui se fait appeler aussi Beerus Sama, en référence au “dieu de la destruction” du manga Dragon Ball. “Abidjan sera détruit ce 1er janvier 2019”, prévient d’ailleurs l’artiste sur l’en-tête de sa page Facebook, laissant deviner qu’il prépare un séisme musical.

En attendant le prochain album, Ange Houon – le nom à l’état civil de l’artiste, fils de la sulfureuse chanteuse Tina Glamour et du musicien ingénieur du son Pierre Houon – égraine ses singles sur la Toile et les plateformes de téléchargement. Son récent single Dosabado est sorti en deux versions : l’une étiquetée “afro-décalée”, au texte minimaliste, et l’autre dans une mouture coupé-décalée classique, avec d’autres paroles, preuve que l’intéressé n’a pas tranché. Une façon de continuer à tâter le terrain, d’avancer prudemment.

Changer de positionnement musical, comme s’y est résolu son alter ego congolais Fally Ipupa pour conquérir le marché français, n’est pas sans risque. Pour garder son trône, il faut savoir affirmer son autorité, maitriser ses rivaux, mais surtout entretenir sa légitimité auprès du peuple pour la conserver. Un défi permanent pour DJ Arafat, 32 ans, s’il veut tenir sa couronne dans un pays où la moitié des 24 millions d’habitants a moins de 20 ans.