Au Soudan et au Tchad, la guerre, c’est la norme

  • 04/04/2017
  • Source : Le Monde Afrique
Dans certaines régions de ces pays, mais aussi au Soudan du Sud, la guerre est « un métier, un mode de vie et même une culture », explique le chercheur Jérôme Tubiana.

Des conflits ensanglantent différentes régions du Soudan presque sans interruption depuis l’indépendance du pays, il y a soixante ans. Mais en réalité, le Darfour, le Sud-Kordofan, le Nil Bleu, les collines de la mer Rouge et le Soudan du Sud (indépendant depuis 2011 mais toujours en guerre) souffrent d’une seule et même guerre qui s’est installée dans la durée.

Les communautés du Soudan et du Soudan du Sud, comme du Tchad voisin, fournissent des recrues en masse aux différentes forces en présence. Les civils, à commencer par ceux qui occupent des fonctions traditionnellement militarisées, sont recyclés en soldats de métier, contribuant à rendre floue la distinction entre civils et militaires.

Au Soudan, quarante-neuf ans de conflits

En 2009, le panel de l’Union africaine (UA) présidé par Thabo Mbeki requalifiait la crise du Darfour de « crise du Soudan au Darfour ». L’expression peut paraître alambiquée et ses implications n’ont été que partiellement prises en compte par les acteurs internationaux, soucieux de ménager le régime de Khartoum, qui se présente depuis longtemps comme un allié dans la lutte contre le terrorisme ainsi que, désormais, contre la migration. Mais comme l’accord de paix « global » qui l’a précédée en 2005, cette expression remet en cause la conception que le pouvoir central a réussi à imposer, y compris à nombre de ses ennemis déclarés : les guerres qui se sont succédé dans les différentes « périphéries » du Soudan ne seraient que des conflits locaux sans lien entre eux.

Ainsi Khartoum a réussi à isoler ces crises, bien que la revendication essentielle et commune des insurrections dans les différentes périphéries ne soit rien d’autre que la fin de la concentration du pouvoir et de la richesse, depuis l’indépendance du pays en 1956, dans les mains d’un cercle de plus en plus restreint. Les oscillations idéologiques – du marxisme à l’islamisme – de ce cercle sont moins importantes que le sens partagé d’appartenir au « centre » du Soudan, par opposition à ses « marges ». Si la crise du Darfour est bien une crise du Soudan, le pays, jusqu’en 2011 le plus vaste d’Afrique, apparaît bel et bien comme le théâtre d’un conflit national, aux enjeux nationaux, et qui dure depuis soixante ans presque sans interruption : l’une des guerres les plus anciennes et les plus meurtrières au monde.

On considère que la « première guerre civile » soudanaise, limitée au Sud-Soudan, commence en 1955, un an avant l’indépendance. Interrompu en 1972 par l’accord d’Addis-Abeba, le conflit reprend dès 1983 : la « deuxième guerre civile » s’étend du sud au nord du Soudan (régions du Sud-Kordofan, du Nil Bleu et de l’Est), et dure jusqu’à l’accord « global » de 2005. Les guillemets s’imposent ici car le seul véritable gain est la possibilité d’indépendance pour le Sud.

Lorsque cette dernière survient en 2011, la guerre reprend dans les régions du Sud-Kordofan et du Nil Bleu, grandes oubliées de l’accord, et continue au Darfour. Depuis que la violence a repris aussi au Soudan du Sud, la « troisième guerre civile » soudanaise couvre simultanément la quasi-totalité des périphéries de l’ancien Soudan, mais continue d’être traitée comme une série de conflits locaux.

En soixante ans, le Soudan aura donc connu quarante-neuf années de guerre et onze années de paix.

Le Tibesti, royaume des rébellions

Son cas n’est pas unique : au Tchad voisin, la première insurrection apparaît à peine trois ans après l’indépendance, en 1960, et n’a cessé, depuis, de se métastaser en d’innombrables mouvements dits « politico-militaires ». Le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), formé en 1966 à Nyala, au Darfour, est la matrice de tous ces mouvements jusqu’à aujourd’hui : le chef de la principale rébellion tchadienne, qui tente aujourd’hui de se reconstituer en Libye, y a fait ses classes dès l’âge de 14 ans, en 1978, avant de passer par d’autres mouvements...La suite sur Le Monde Afrique